
La traditionnelle Journée romande du droit de la concurrence organisée par l’Association suisse du droit de la concurrence (ASAS) et le Centre Patronal en collaboration avec le CEDIDAC, s’est tenue à Lausanne le 8 novembre 2023. Lors de cette 14ème édition, les développements récents en matière de droit de la propriété intellectuelle et de LCD ont été présentés. La présente contribution résume quelques arrêts importants dans ces deux domaines.
Die traditionelle «Journée romande du droit de la concurrence», die von der Schweizerischen Vereinigung für Wettbewerbsrecht (ASAS) und dem Centre Patronal in Zusammenarbeit mit CEDIDAC organisiert wurde, fand am 8. November 2023 in Lausanne statt. Bei dieser 14. Ausgabe, wurden die letzten Entwicklungen im Bereich des geistigen Eigentumsrechts und des UWG vorgestellt. Der vorliegende Beitrag fasst einige wichtige Urteile in diesen beiden Bereichen zusammen.
Melina Haralabopoulos,
avocate, LL.M. (Stanford).
Le Tribunal fédéral a été amené à examiner la notion d’«allégations inexactes» au sens de l’article 3 al. 1 let. a LCD à deux reprises, dans l’arrêt 4A_79/2021 du 16 février 2023 puis dans l’arrêt 4A_491/2022 du 21 février 2023.
Dans ces deux affaires, le Tribunal fédéral a rappelé la distinction entre une allégation de fait et une opinion juridique: ne peut être inexacte qu’une affirmation dont la véracité peut être vérifiée, c’est-à-dire une affirmation de fait. Lorsqu’une opinion juridique est exprimée, il y a lieu d’examiner si les affirmations factuelles sur lesquelles elle se fonde sont vraies et si les règles de droit générales et abstraites invoquées existent. En revanche, la subsomption n’est pas une affirmation de fait et ne peut dès lors pas constituer une allégation inexacte au sens de l’article 3 al. 1 let. a LCD.
Dans le cadre de l’arrêt 4A_79/2021 du 16 février 2023, le Tribunal fédéral s’est également prononcé sur la publication du jugement au sens de l’article 9 al. 2 LCD. La recourante invoquait une violation de cette disposition, au motif que l’instance inférieure avait ordonné une publication dans des journaux qui bénéficiaient d’un écho plus important que celui généré par l’allégation litigieuse. Le Tribunal fédéral a rejeté cet argument au motif que l’objectif de la publication inclut le maintien de la clientèle du demandeur, de sorte que le choix des journaux peut se fonder sur le lieu de résidence de la majorité des utilisateurs des services du lésé. De plus, il convient de tenir compte du bouche à oreille dans ce lieu. Ainsi, la publication peut en pratique atteindre un lectorat plus large que les personnes ayant eu connaissance de l’allégation litigieuse.
La condamnation d’un call center sur le fondement de l’article 5 al. 1 let. u LCD a été confirmée dans l’arrêt 6B_978/2020 du 16 novembre 2022. Le call center en question était accusé d’avoir appelé une trentaine de particuliers qui avaient pourtant spécifié une renonciation à la publicité au moyen d’une astérisque dans l’annuaire téléphonique. La recourante se prévalait de l’existence d’une «relation commerciale» avec les personnes appelées, de sorte que l’article 5 al. 1 let. u LCD ne trouverait pas application. Elle indiquait avoir utilisé par erreur des numéros de téléphones provenant du fichier clients d’une filiale avec lesquelles ces personnes entretenaient une «relation commerciale», pour une campagne de produits d’une autre filiale, sans lien avec les personnes appelées. Le Tribunal fédéral a rejeté l’existence d’une «relation commerciale» au sens de l’article 5 al. 1 let. u LCD en indiquant que cette notion doit être interprétée de manière restrictive afin de satisfaire à l’objectif de protection qu’elle poursuit, à savoir endiguer les dérives du télémarketing.
Le Tribunal fédéral s’est prononcé une seconde fois dans l’affaire «Merck» dans l’arrêt 4A_570/2022 du 16 mars 2023.
Les recourantes invoquaient tout d’abord l’absence de qualité pour agir des demanderesses. L’article 55 LPM exige l’existence une atteinte imminente, par exemple un risque de réitération. Le Tribunal fédéral a rappelé que ce risque était présumé lorsque le contrevenant contestait le caractère illicite du comportement incriminé et que le renversement de cette présomption était soumis à des exigences strictes, non remplies en l’espèce.
Le Tribunal fédéral a ensuite examiné l’objection de péremption soulevée par les recourantes. En matière de violations en lien avec l’utilisation d’une marque sur internet, celui qui soulève l’argument de péremption doit démontrer la date à partir de laquelle le site était orienté vers la Suisse, partant la date à partir de laquelle il existait une violation des marques suisses des intimées. Selon le Tribunal fédéral, les éléments produits par les recourantes ne permettaient pas de démontrer cette date, de sorte que l’objection a été rejetée.
Les recourantes ont également invoqué l’absence de possibilité de géoblocage des plateformes LinkedIn et Twitter pour argumenter que leurs pages sur les sites en question ne constituaient pas un usage en Suisse. Le Tribunal fédéral s’est référé à sa décision «Merck I»1, dans laquelle il a retenu que la Recommandation commune concernant la protection des marques, et autres droits de propriété industrielle relatifs à des signes, sur l’internet, adoptée par l’Assemblée de l’Union de Paris et l’Assemblée générale de l’OMPI en 2001 («Recommandation commune») pouvait servir d’appréciation pour l’existence d’un lien suffisant avec la Suisse. Dans ce contexte, la possibilité de limiter territorialement la consultation de pages internet doit certes être prise en compte dans la pesée des intérêts et les critères de la Recommandation commune doivent être interprétés de manière large. Toutefois, on ne peut pas déduire de cette décision qu’un lien commercial avec la Suisse serait exclu en l’absence de possibilité de géoblocage. Au contraire, il convient toujours de procéder à une appréciation globale des circonstances concrètes. Le Tribunal fédéral a considéré que les recourantes n’avaient ainsi pas démontré en quoi l’instance cantonale aurait violé le droit fédéral.
L’arrêt 4A_154/2023 du 17 juillet 2023 concerne un enregistrement de marque effectué suite à une scission de sociétés. L’affaire opposait deux sociétés dont le patrimoine appartenait à la recourante avant d’être transféré à l’intimée suite à une scission. La recourante, titulaire de la marque antérieure «BAUR AU LAC», avait agi contre l’intimée en concluant à la radiation de la marque «CLUB BAUR AU LAC», enregistrée postérieurement par l’intimée pour des services similaires. Elle avait été déboutée en première instance, l’autorité cantonale considérant que les droits sur la marque «CLUB BAUR AU LAC» avaient été transférés à l’intimée dans le cadre de la scission et que les parties avaient ainsi convenu, du moins implicitement, d’une coexistence des deux signes distinctifs litigieux. Le Tribunal fédéral, après avoir rappelé l’article 8 CC, a procédé à une interprétation selon le principe de la confiance et conclu à l’absence d’autorisation contractuelle: le simple fait que le signe «CLUB BAUR AU LAC» (non enregistré) a coexisté avec la marque «BAUR AU LAC», tant avant qu’après la scission, ne permet pas de conclure, selon les règles de la bonne foi, à un droit contractuel de l’intimée de déposer CLUB BAUR AU LAC. Le Tribunal fédéral a donc donné raison à la recourante et annulé la décision cantonale.
La Cour de justice genevoise s’est prononcée sur un sujet qui pourrait faire couler beaucoup d’encre: la personnalisation, ou «customisation», de montres. Dans deux affaires, qui font l’objet des arrêts ACJC/188/2023 et ACJC/224/2023, une maison horlogère a agi contre des sociétés actives dans la personnalisation de montres, sur les fondements de la LPM et la LCD. Les sociétés en question proposaient à leurs clients des services de personnalisation, consistant à modifier la montre et ses composants, notamment en changeant les aiguilles, le cadran ou même le mouvement de la montre, pour la rendre «unique». Cette activité nécessitait de retirer la marque horlogère du produit avant de l’appliquer à nouveau.
La Cour de justice a retenu que ce comportement constituait une violation des droits à la marque de la demanderesse. Elle a rappelé que le principe de l’épuisement ne vaut que pour le produit original, non modifié. Le titulaire d’une marque est seul habilité à décider quels produits sont commercialisés sous sa marque. Partant, la remise sur le marché par un tiers de produits de marque modifiés constitue une violation de la LPM. Il en va de même du comportement consistant à déposer et réapposer une marque2.
La Cour de justice a également retenu une violation de la LCD en lien avec le «co-branding» effectué par les défenderesses, qui avaient apposé leur propre marque aux côtés de celles de la demanderesse, sur la montre mais aussi sur leur site internet.
En matière d’enregistrements, le Tribunal administratif fédéral a admis l’enregistrement en Suisse de la marque internationale no 1’028’240 [pomme] (fig.) pour des produits de la classe 9. Selon le Tribunal administratif fédéral, si le caractère descriptif d’une marque s’examine en principe de manière abstraite, en prenant en compte la manière dont la marque est enregistrée et non l’utilisation prévue, une exception existe pour les produits achetés dont le contenu est essentiel plutôt que le produit lui-même, tels que les CD, DVD et magazines. Dans ces cas, le Tribunal administratif fédéral a considéré qu’il convenait d’analyser la descriptivité d’un point de vue concret, en tenant compte du fait que les possibilités de présenter le contenu de manière créative sont limitées et que les autres concurrents ont un intérêt à la fonction d’information sur le contenu. Le Tribunal administratif fédéral a relevé qu’un tel intérêt n’avait pas été démontré en l’espèce et qu’il n’existait pas de lien thématique suffisamment déterminé ou reconnaissable entre une pomme et les produits revendiqués. Partant, le Tribunal administratif fédéral a conclu à l’absence de descriptivité et de besoin de libre disponibilité de la marque, qui peut être admise à l’enregistrement.
La Journée romande du droit de la concurrence est organisée chaque année par L’Association suisse du droit de la concurrence (ASAS) en collaboration avec le Centre Patronal et le CEDIDAC. L’édition 2024 se tiendra le 12 novembre 2024.
Fussnoten:
1 |
ATF 146 III 225 ss. |
2 |
A l’heure où ces lignes s’apprêtent à être publiées, l’arrêt ACJC/188/2023 vient d’être annulé par le Tribunal fédéral et la cause renvoyée à la cour cantonale pour nouvelle décision dans le sens des considérants (TF du 19 janvier 2024, 4A_171/2023). Le Tribunal fédéral a notamment considéré que l’activité consistant à personnaliser un objet de marque sur demande de son propriétaire en vue de son usage personnel ne constituait pas un usage «dans les affaires», partant ne portait pas atteinte à la fonction distinctive de la marque. |