Compte-rendu du séminaire IPI–LES du 23 novembre 2023 à Genève

Le séminaire conjoint de l’IPI et du LES-CH sur les «Développements récents en droit des marques» célébrait sa 20ème édition le 23 novembre 2023 à Genève. Pour cet anniversaire, les organisateurs sont revenus sur les 20 ans d’existence du séminaire et ont salué la confiance et l’intérêt des participants. Le séminaire s’est ensuite déroulé selon son format habituel consistant en une présentation scientifique, un tour d’horizon de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral et de la jurisprudence de l’Union européenne, suivis d’une présentation des nouveautés de l’IPI. Ce compte-rendu reprend l’essentiel des points développés par les intervenants.

Das gemeinsame Seminar des IGE und des LES-CH über die «Neusten Entwicklungen im Markenrecht» feierte am 23. November 2023 in Genf seine zwanzigste Ausgabe. Anlässlich dieser Jubiläumsausgabe blickten die Organisatoren auf die letzten 20 Jahre des Seminars zurück und lobten das Vertrauen und Interesse der Teilnehmenden. Das Seminar fand in seinem üblichen Format statt, das aus einer wissenschaftlichen Präsentation, einem Überblick über die Rechtsprechung des Bundesverwaltungsgerichts und die Rechtsprechung der Europäischen Union bestand, gefolgt von einer Präsentation mit Neuigkeiten des IGE. Der nachfolgende Bericht gibt die wesentlichen Punkte wieder, die von den Referenten besprochen wurden.

Ghislain Guigon-Sell,
Ph. D., expert en marques à l’IPI, Berne.

I. Introduction: 20 ans de développements en droit des marques

Le séminaire conjoint de l’IPI et du LES-CH sur les «Développements récents en droit des marques» célébrait ses vingt ans le 23 novembre 2023 à Genève. Dans leur mot de bienvenue et d’introduction, les organisateurs, Michèle Burnier, membre du Comité Suisse du LES-CH, et Eric Meier, vice-directeur et chef de la Division Marques & Designs de l’IPI, ont remercié les participants pour leur confiance et leur intérêt constant pendant les vingt ans d’existence de ce séminaire. Ils ont souligné l’importance de la participation des représentants des tribunaux et de l’EUIPO. Michèle Burnier a salué l’IPI pour se prêter chaque année à l’exercice de la rencontre avec ses utilisateurs.

II. Risque de confusion en droit des signes distinctifs – de la notion à l’appréciation

Me Maud Fragnière, avocate chez Kasser Schlosser Avocats, a ouvert ce séminaire avec une analyse de l’appréciation de la notion de risque de confusion en droit des signes distinctifs fondée sur la jurisprudence récente dans les domaines du droit des marques, des raisons de commerce et de l’application de la loi fédérale contre la concurrence déloyale (LCD).

La notion de risque de confusion, comme l’a rappelé Maud Fragnière en début d’exposé, est la même dans tous les domaines du droit des signes distinctifs (ATF 127 III 160 ss consid. 2a, «Securitas»): un risque de confusion existe lorsque la fonction distinctive du signe antérieur est atteinte par l’utilisation du signe le plus récent. En outre, la doctrine distingue entre le risque de confusion direct, lorsque les destinataires prennent le signe tiers pour le signe protégé, et le risque de confusion indirect, lorsque les destinataires croient qu’il y a des liens juridiques ou économiques (en l’occurrence inexistants) entre l’utilisateur du signe tiers et le titulaire du signe protégé.

Pour autant, le risque de confusion «ne s’apprécie pas forcément selon les mêmes critères dans les différents domaines du droit» (TF, sic! 2020, 34 consid. 3.1.1, «Arveron SA/Arveyron-Rhône Sàrl»). Les critères d’appréciation sont différents. En droit des marques, le risque de confusion s’apprécie notamment en fonction du principe de spécialité, selon lequel il ne peut y avoir un risque de confusion que si les produits et services revendiqués sont similaires (sous réserve de la marque de haute renommée). En droit des raisons de commerce, la jurisprudence se montre notamment plus stricte lorsque les entreprises ont des activités identiques ou similaires, ou qu’elles exercent leurs activités dans un périmètre géographique restreint; l’on constate que le risque de confusion est plus facilement admis si les destinataires sont les mêmes (ATF 131 III 572 ss consid. 4.4, «Atlantis/Atlantis»). Enfin, en relation avec la LCD, le risque de confusion peut par exemple découler du fait que les entreprises utilisant un signe similaire exercent leurs activités dans un périmètre géographique restreint (TF du 13 octobre 2006, 4C.240/2006, «Modissa/Modesa Stoffe + Vorhänge»). L’exposé de Maud Fragnière portait sur l’analyse de l’application de ces critères dans la jurisprudence récente.

Concernant le risque de confusion entre des signes comprenant un patronyme, Maud Fragnière s’est d’abord intéressée à l’arrêt du Tribunal fédéral (ci-après TF) du 1er octobre 2018, 4A_83/2018, «Pachmann Rechtsanwälte AG/Bachmann Rechtsanwälte AG» en droit des raisons de commerce. Dans cet arrêt, tout en reconnaissant la rareté du nom «Pachmann», qui lui confère un caractère distinctif fort, le TF a nié l’existence d’un risque de confusion entre ces deux signes, au motif que la structure «patronyme+avocats+forme sociale» est usuelle pour les études d’avocats et que l’on ne saurait interdire à une personne d’utiliser son nom dans sa raison de commerce. Cette décision peut par exemple être comparée à la décision d’opposition de l’IPI no 9245 du 2 avril 2009 «McGREGOR/Mr GREGORY (fig.)» en droit des marques. Dans celle-ci, les parties opposées revendiquent des produits similaires de la classe 18. Selon l’IPI, les différences entre les deux signes, notamment l’ajout du «Y» final et d’un graphisme, ne sont pas aptes à occulter la présence commune du radical «GREGOR», considéré comme élément essentiel. L’IPI a donc admis le risque de confusion entre ces signes.

Pour apprécier encore le poids de l’élément essentiel en droit des marques, Maud Fragnière est revenue sur l’arrêt du Tribunal administratif fédéral (ci-après TAF) du 18 mars 2019, B-6783/2017, «UBER/uberall (fig.)». Les deux marques concernées revendiquent notamment des produits et services partiellement identiques, partiellement similaires des classes 9 et 42. Le TAF, relevant que le signe UBER est intégralement repris dans le signe attaqué et en compose le début, a retenu un risque de confusion. Ainsi, l’ajout d’un élément final différent («all») et l’adjonction d’un élément figuratif n’ont pas été jugés aptes à occulter la reprise intégrale du signe opposant.

Maud Fragnière s’est ensuite tournée vers les signes comprenant des acronymes, en commençant par le droit des raisons de commerce et l’arrêt TF du 29 janvier 2019, 4A_541/2018, «SRC Wirtschaftsprüfungen GmbH/SRC Consulting GmbH». La société SRC Wirtschaftsprüfungen propose des services financiers et fiduciaires, tandis que la société SRC Consulting, qui a son siège au même lieu, propose notamment des conseils en gestion d’entreprise. Partant de sa jurisprudence selon laquelle un acronyme qui ne peut qu’être épelé est doté d’une force distinctive faible, le TF a écarté tout risque de confusion en déclarant que la différence entre «Wirtschaftsprüfungen» et «Consulting» était suffisante. Selon Maud Fragnière, le critère de proximité géographique n’a pas été correctement appliqué par les juges en l’espèce. En effet, ce critère ne vise pas uniquement le risque de confusion pour les clients, mais aussi pour les personnes en recherche d’emploi ou les autorités. Tenant compte de l’ensemble de ces cercles, le risque de confusion apparaît pourtant évident.

Pour rendre compte de l’analyse différenciée dans le domaine des marques, Maud Fragnière a alors cité quatre arrêts concernant des signes contenant un acronyme: l’arrêt TF du 27 avril 2018, 4A_617/2017, «GEM/GEM (Genève en marche)», l’arrêt TAF du 26 janvier 2022, B-3264/2020, «EQ/EQART», l’arrêt TAF du 1er février 2022, B-1306/2021, «YT/EYT (fig.)» et l’arrêt TAF du 17 novembre 2020, B-4311/2018, «DPAM/DMAP». Dans chacune de ces affaires, les produits et/ou services de la marque opposante et de la marque attaquée sont partiellement ou totalement fortement similaires, partiellement identiques. Premièrement, les titulaires des marques «GEM» et «GEM (Genève en marche)» sont «deux entités actives en Suisse romande (en particulier à Genève) dans le même domaine, à savoir la politique». Sur cette base, le TF a admis un risque de confusion au motif que «Genève en marche» s’apparente à un slogan, composé de deux éléments appartenant au domaine public qui n’influencent en principe pas ou peu l’impression d’ensemble. Deuxièmement, pour les marques «EQ» et «EQART», le TAF, reconnaissant qu’il existe une faible similitude visuelle entre les deux marques, a considéré qu’elles présentent un contenu sémantique proche pour l’élément «E-», qui est courant pour les désignations de véhicules motorisés à propulsion électrique. Le TAF a finalement retenu l’existence d’un risque de confusion indirect au motif que «EQ» peut être compris comme le commencement de «EQART». Le TAF a confirmé que la lettre initiale «E-» est courante comme renvoi à la motorisation à propulsion électrique dans l’affaire opposant la marque «YT» à la marque «EYT (fig.)». Selon les juges administratifs, il est évident que «EYT» se décompose en «E-YT». Dans ce cas, sur le plan sémantique, la marque attaquée est perçue comme une variation de la marque opposante, à savoir la forme électrique de YT. Il y a donc lieu d’admettre au moins un risque de confusion indirect. Enfin, dans l’arrêt TAF B-4311/2018, le TAF n’a pas estimé que les destinataires du signe «DMAP» décomposeront celui-ci en «D-MAP». Selon le tribunal, «DPAM» et «DMAP» sont donc des signes visuellement très similaires et il existe un risque de confusion entre eux.

Puis Maud Fragnière est revenue sur l’arrêt du TAF du 13 mars 2018, B-684/2017, opposant la marque «QUANTEX» à la marque «Quantum CapitalPartners». Ces deux marques sont enregistrées pour des services fortement similaires et en partie identiques des classes 35 et 36. Hormis l’élément supplémentaire «CapitalPartners» (jugé accessoire dans l’impression d’ensemble car descriptif), ces signes se distinguent en outre par les terminaisons «-EX», et «-um» à «QUANT-». Néanmoins, le TAF, confirmant la décision de l’IPI, a admis un risque de confusion dans cette affaire, compte tenu de l’identité ou de l’homogénéité constatée des services. Selon Maud Fragnière, une décision en matière de raison de commerce aurait abouti à un tout autre résultat.

Maud Fragnière s’est ensuite penchée sur la décision du TF relative au risque de confusion entre les raisons de commerce «altrimo AG» et «atrimos immobilien gmbh» (TF du 16 juillet 2019, 4A_125/2019). La société atrimos immobilien gmbh est située dans un canton différent mais à trente minutes de voiture de la société altrimo AG. Elles sont toutes deux actives dans la gestion d’immeubles. Le TF a, dans cette affaire, estimé qu’«altrimo» et «atrimos» sont deux désignations de fantaisie qui se distinguent considérablement par leur sonorité tant en raison des syllabes (al-tri-mo contre a-tri-mos) qu’en raison de l’accentuation (altrímo ou ált rimo contre átrimos). De plus, «Atrimos» évoquant la langue grecque, les deux signes suscitent des associations d’idées très différentes. Par conséquent, malgré le même nombre de syllabes, le même enchaînement de voyelles a-i-o et le même secteur d’activité, le TF a jugé qu’il n’existe pas de risque de confusion entre ces deux raisons de commerce.

Toujours en droit des raisons de commerce, le TF a également nié l’existence d’un risque de confusion entre les signes «ARVERON SA» et «Arveyron-Rhône Sàrl» (TF du 8 août 2019, 4A_167/2019). Les deux entreprises sont pourtant actives dans le domaine immobilier et ont leur siège à Genève. «Arveron» et «Arveyron» étant en outre similaires visuellement et du point de vue auditif, la discussion doit se concentrer sur l’élément additionnel «-Rhône». Pour les juges, puisque cet élément désigne un fleuve étendu, il ne sera pas compris comme une indication de la zone géographique dans laquelle la société défenderesse serait établie ou offrirait ses services. Selon le TF, l’impression globale qui ressort du signe litigieux permet ainsi d’écarter un risque de confusion avec celui de Arveron SA. À cet égard, Maud Fragnière a précisé que l’analyse sous l’angle du droit des marques ne conduit pas à un résultat différent.

Se tournant vers l’application de la LCD, Maud Fragnière a évoqué la décision du TF du 13 octobre 2006, 4C.240/2006, «Modissa/Modesa Stoffe + Vorhänge». Modissa était une boutique de couture bien connue à Zurich, tandis que Modesa Stoffe + Vorhänge était une raison sociale inscrite dans une autre ville de Suisse alémanique voulant ouvrir une enseigne à Zurich. Il y avait donc ici un conflit entre droit des raisons sociales et LCD, nécessitant une balance des intérêts. Le TF a retenu, qu’étant donné la similarité des deux signes («Modissa», «Modesa») et la proximité des secteurs d’activité (couture, tissus et textiles), le consommateur moyen, déterminant, peut croire qu’il existe un lien économique entre les parties, de sorte qu’il existe au moins un risque de confusion indirect. C’est donc à juste titre, selon le TF, que l’instance précédente a considéré que la défenderesse avait créé un risque de confusion réprouvé par le droit de la concurrence (art. 3 let. d LCD), que la demanderesse, s’étant construite une notoriété locale avec son magasin sur le territoire de la ville de Zurich, n’a pas à subir.

Il fut encore question de l’Arrêt 4A_630/2018 du 17 juin 2019 concernant le risque de confusion du signe «Swiss Avia Consult Sàrl» avec la raison de commerce «AVIA SA». Maud Fragnière a rappelé l’historique de la jurisprudence pour les cas «AVIA» afin d’expliquer pourquoi le TF, dans cet arrêt, a considéré que le signe litigieux «avia» revêt un caractère fantaisiste excluant d’emblée toute discussion sur un éventuel besoin absolu de libre disposition (pour l’historique: TF du 6 janvier 1980, C.164/1980, «Avio-Leasing AG c/Avia AG et consorts»; TF du 23 avril 1991, 4C.348/1990 «Aviatour AG c/AVIA Mineralöl AG et consorts»; TF, sic! 2000, 399 consid. 2 à 5, «Avia AG et consorts c/Aviareps Airline Management GmbH»). Maud Fragnière a souligné que, dans ce dossier, la recourante fait en vain référence à l’absence de confusions effectives ou concrètes entre les raisons sociales, puisque de telles confusions ne sont que des indices d’un risque de confusion (selon les circonstances).

Enfin, Maud Fragnière est revenue sur l’arrêt 4A_152/2020 du 26 octobre 2020, «OTTO’S/OTTO» du TF, dans lequel la question était de savoir si le suisse Otto’s pouvait valablement s’opposer à la pénétration du marché suisse par l’allemand Otto, sur la base de la LCD (puisque sa marque est postérieure). Dans sa décision, les juges fédéraux ont reconnu au suisse Otto’s une grande notoriété régionale, construite sur une position forte sur le marché suisse. De cette position sur le marché découle un risque de confusion évident entre les signes Otto’s et Otto, à tout le moins indirect. Maud Fragnière n’a alors pas manqué de préciser que certains auteurs ont sévèrement critiqué cette décision, y voyant le retour du contournement des normes de propriété intellectuelle par la LCD.

De son analyse, Maud Fragnière a conclu qu’il existe une approche différenciée entre raisons sociales et marques: la marque bénéficie d’un champ de protection bien plus large que la raison de commerce, d’où l’importance du dépôt de marque. Par contre, la raison de commerce n’est pas soumise au principe de spécialité, ce qui peut apporter une couverture intéressante. Il faut, selon Maud Fragnière, également tenir compte de la LCD qui permet d’obtenir une protection régionale absolue pour les enseignes locales qui ont acquis une notoriété locale.

III. Jurisprudence du Tribunal administratif fédéral 2022/2023

La parole fut ensuite donnée à Sabine Büttler, greffière au TAF, pour la présentation des principaux arrêts rendus pendant l’exercice 2022/2023. L’exposé de Sabine Büttler consistait en quatre parties: procédure, motifs absolus d’exclusion, motifs relatifs d’exclusion, radiation [défaut d’usage].

1. Procédure

Dans l’arrêt B-4767/2022 du 27 septembre 2023 s’est posée la question de la validité des documents présentés par le titulaire d’une marque pour inscrire dans le registre des marques une restriction du droit de disposer. Pour rappel, en vertu de l’art. 30 let. b OPM, «sur présentation d’une déclaration du titulaire ou d’un autre document valable, l’IPI enregistre […] les restrictions au pouvoir de dispositions ordonnées par des tribunaux ou des autorités chargées de l’exécution forcée […].» Un document est valable lorsqu’il constitue une base sûre pour la tenue du registre. En l’espèce, selon le TAF, une simple copie de l’ordonnance de mesures provisoires prise par le tribunal civil allemand ne suffit pas, puisque ce document ne contient aucune disposition concernant la tenue du registre des marques suisses. D’autre part, la recourante ne présente aucun titre exécutoire du tribunal compétent suisse (art. 40 al. 3 OPM en relation avec art. 53 ss CL).

Par note du 30 avril 2021, l’Allemagne a dénoncé la Convention du 13 avril 1892 entre la Suisse et l’Allemagne concernant la protection réciproque des brevets, dessins, modèles et marques. Sur ce sujet, Sabine Büttler a cité deux arrêts. Premièrement, dans l’arrêt B-6169/2020 du 2 octobre 2023, «Adventuridge/Adventure (fig.), Adventure Highland Creek (fig.)», le TAF a considéré que la convention CH-D demeure applicable (consid. 5.2.4), pour autant que la période d’utilisation déterminante soit antérieure à la date d’entrée en vigueur de cette dénonciation, soit le 31 mai 2022. Ainsi, seuls les moyens de preuve se rapportant à des actes accomplis en Allemagne à partir du 1er juin 2022 ne sont plus pris en compte. Deuxièmement, dans l’arrêt B-1139/2022 du 22 mai 2023, «Hispano Suiza», le TAF a retenu que la Convention CH-D demeure aussi applicable à toute procédure de radiation pour défaut d’usage prévue par les art. 35a-35c LPM (consid. 4.2).

Sabine Büttler a ensuite saisi l’occasion des arrêts B-4761/2022 et B-4752/2022 du 16 octobre 2023, «Prosegur/Prosegur Società di vigilanza (fig.), Prosegur» pour attirer l’attention de l’assistance sur la question de la coordination des procédures d’opposition et de radiation. Dans cette affaire, il s’agissait de déterminer si la décision de l’IPI de suspendre des procédures d’opposition jusqu’à droit connu sur la procédure de radiation parallèle était conforme au droit. Conformément à l’art. 23 al. 4 OPM, l’IPI peut suspendre la procédure d’opposition lorsque la décision concernant l’opposition dépend de l’issue d’une procédure de radiation pour défaut d’usage, d’une procédure civile ou de toute autre procédure. Selon l’art. 24d al. 2 OPM, l’IPI peut suspendre la procédure [de radiation], lorsque la décision concernant la radiation dépend de l’issue d’une procédure civile ou d’une autre procédure. Une lecture parallèle des art. 23 al. 4 OPM et art. 24d al. 2 OPM indique que le Conseil fédéral avait prévu la suspension de la procédure d’opposition lorsqu’une procédure de radiation était pendante et non l’inverse. La doctrine plaide pour l’harmonisation des procédures d’opposition et de radiation devant l’IPI. La jurisprudence du TAF va dans la même direction. On peut penser à une forme d’harmonisation consistant en la jonction des causes ou en une autre coordination comme par exemple la suspension d’une procédure jusqu’à droit connu dans l’autre. En l’espèce, compte tenu du large pouvoir d’appréciation de l’instance inférieure (consid. 5.3.2) et du fait que celle-ci agit en accord avec ses Directives (consid. 6.4.2), le mode de coordination choisi par l’IPI est bien conforme au droit (consid. 7).

L’arrêt B-4031/2022 du 9 mai 2023, «Bevpazmi/Bevzimla» fut l’occasion d’un rappel relatif au retrait de la procédure déclenchée par l’opposition. Dans cette affaire, les parties opposées ont trouvé un accord à l’amiable et la recourante demande que la procédure de recours devant le TAF soit radiée faute d’objet. Elle joint à sa demande une copie de l’accord de règlement entre les parties, dans lequel celles-ci conviennent de retirer l’opposition et le recours, et une copie du courrier de l’intimée adressé à l’IPI, dans lequel celle-ci retire son opposition. Sur cette base, le TAF a admis que toute la procédure déclenchée par l’opposition devient sans objet, que la décision de l’IPI devient caduque et que la marque attaquée reste inscrite au registre des marques. Toutefois, comme l’a utilement rappelé Sabine Büttler, le seul retrait du recours (sans accord sur le retrait de l’opposition), entraîne lui l’entrée en force de la décision attaquée.

2. Motifs absolus d’exclusion

Entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, le TAF a rendu dix arrêts sur les motifs absolus d’enregistrement de marque. Parmi ceux-ci, Sabine Büttler a d’abord présenté l’arrêt B-4137/2021 du 1er février 2023, «TRUEDEPTH», dans lequel le TAF a non seulement retenu que le signe est laudatif pour divers produits électroniques en classe 9 (consid. 6.2), mais aussi que le co-usage actif du mot «depth» par la concurrence démontre un besoin relatif de libre disposition de cet élément (consid. 6.1.3). Le TF a par la suite confirmé cette décision dans son arrêt 4A_178/2023 du 8 août 2023.

Sabine Büttler est ensuite revenue sur l’arrêt B-4493/2022 du 26 juillet 2023, «[Apfel] (fig.)». Ce signe, consistant en une représentation fidèle à la nature d’une pomme particulière en deux dimensions, était déposé pour divers produits en classe 9, dont des enregistrements sonores, vidéos et cinématographiques ainsi que pour les supports de données correspondants. La question est de savoir si le signe consiste en une référence visuelle au thème des produits revendiqués de la classe 9. Dans cet arrêt, le TAF a retenu que les marques pour les produits et services ayant un contenu thématique doivent être examinées en tenant compte de l’intérêt réel du marché: notamment il faut tenir compte de l’intérêt des co-fournisseurs à la fonction d’information sur le contenu (consid. 4.4 et 4.8). Il a également considéré que le signe déposé n’est pas une référence typique pour des contenus des produits en cause (consid. 4.8.2). Sur cette base notamment, le TAF a décidé qu’en raison de l’absence d’indices d’un large usage exclusivement ou de manière déterminante sur les pommes, on ne peut pas déduire un intérêt actuel pour le marché ou un besoin de disponibilité de la marque. La représentation d’une pomme en relation avec les produits en cause, ne sera pas perçue comme une description directe de leur contenu. Une simple allusion ne suffit pas (consid. 4.9.2). Le TAF a toutefois précisé que si cette image était utilisée à titre de marque pour des médias traitant thématiquement de pommes, le signe serait alors utilisé […] comme une marque figurative tridimensionnelle et perdrait par conséquent sa protection (consid. 4.9.2 in fine).​1

Sabine Büttler s’est alors tournée vers la question des motifs d’exclusion en lien avec les pictogrammes considérée dans l’arrêt B-2418/2022 du 25 octobre 2023, «Stiftung Schweizerische Schule für Blindenführhunde Allschwil (fig.)». La marque litigieuse est constituée d’un élément verbal descriptif et d’une représentation d’un chien avec un harnais considérée par le TAF comme «très stylisée» (consid. 4.5). Celui-ci définit un pictogramme comme une représentation figurative et symbolique ayant généralement un caractère d’indication ou d’invitation (consid. 4.6). Il a retenu en l’espèce que la représentation du chien […] suit une règle interne sous-jacente qui n’est pas le fruit du hasard. […] l’élément figuratif est une performance créative» (consid. 4.9). Dans l’ensemble, conclut le TAF, l’image abstraite du chien dote le signe de caractère distinctif. À noter qu’à l’issue de la présentation de Sabine Büttler, plusieurs participants au séminaire ont reconnu ne pas être convaincus par cet argument des juges administratifs.

Il fut ensuite question de l’imposition de la marque dans le commerce. Sur ce thème, Sabine Büttler a dans un premier temps présenté l’arrêt B-2461/2020 du 12 mai 2023, «Schweizerische Ärztezeitung» dans lequel il s’agissait notamment de définir le cercle des destinataires concernés par les «revues spécialisées dans le domaine de la profession de médecin» en classe 16. Après avoir rappelé que le produit doit être défini objectivement et qu’une limitation thématique ne change rien à la nature même du produit, le TAF a considéré que les produits pertinents s’adressent non seulement aux médecins mais aussi au personnel soignant, aux personnes en formation dans le domaine médical, ainsi qu’à toute personne intéressée (consid. 4.3.6). En l’espèce, la question de savoir si la marque s’est imposée uniquement auprès d’un des cercles concernés (en l’occurrence, les médecins) peut rester ouverte, puisque le titulaire doit rendre vraisemblable le fait que la marque s’est imposée dans tous les cercles de destinataires concernés (consid. 6.5.).

Dans un second temps, il s’est agi du caractère imposé de la marque tridimensionnelle suivante dans l’arrêt B-3904/2021 du 29 août 2023, «[emballage] (3D)»:

Celle-ci était déposée pour les produits suivants en classe 16: «Papier, carton et produits en ces matières, non compris dans d’autres classes pour l’emballage industriel de nourriture sous forme liquide et/ou de boissons; conteneurs d’emballage et matières pour l’emballage en papier ou fait en papier glace avec des matières plastiques pour l’emballage industriel de nourriture sous forme liquide et/ou de boissons». Les parties se rejoignent pour dire que les produits en question sont destinés à des experts de l’industrie d’emballage. Dans cette affaire, le TAF a considéré que, quand bien même il n’est pas exclu que la marque «Tetra Pak» se soit imposée auprès des destinataires finaux pour des emballages en carton destinés à des aliments liquides et surtout des boissons, cette éventualité ne concerne pas une forme spécifique et ne saurait être étendue au cercle de spécialistes ici concernés (consid. 6.2.4). Le consommateur verra un «Tetra Pak» dans tous les emballages en carton plié contenant des aliments liquides, mais pas dans une forme en particulier, celle déposée ou une autre.

3. Motifs relatifs d’exclusion

Entre le 1er novembre 2022 et le 31 octobre 2023, le TAF a rendu treize arrêts portant sur les motifs relatifs d’exclusion. Sabine Büttler est revenue dans son exposé sur trois arrêts dans lesquels la thématique du degré de connaissance élevé s’est avérée centrale.

Elle s’est d’abord intéressée à l’arrêt B-4104/2021 du 5 décembre 2022, «Capri-Sun/Prisun». Dans celui-ci, le TAF a retenu que les résultats du sondage, censés indiquer un prétendu degré de connaissance élevé de la marque opposante, ne peuvent pas être pris en compte en raison des lacunes techniques dudit sondage. En l’espèce, il manque des indications sur la composition du cercle des personnes interrogées et sur les questions posées; de plus, le nombre de participants au sondage (500) semble trop faible (consid. 7.4.3.). Les pièces produites ne démontrent pas que la marque opposante possède un degré de connaissance élevé (7.4.4).

Sabine Büttler a alors présenté l’arrêt B-2729/2019 du 8 février 2023, «Genius Bar/GeniusAcademy (fig.)» où s’est posée la question de la relation entre degré de connaissance élevé et principe de spécialité. En l’espèce, la recourante a rendu vraisemblable l’usage, dans ses magasins, du nom «GENIUS BAR» pour un point de service où les clients peuvent bénéficier de support technique concernant les produits de la recourante (consid. 7.2.5). Mais les pièces présentées ne démontrent pas l’usage de «GENIUS BAR» directement en lien avec les produits de la classe 9 pour lesquels la marque opposante est déposée (consid. 7.2.5). En vertu du principe de spécialité, quand bien même il s’avérerait que la marque «GENIUS BAR» est dotée d’un degré de connaissance élevé en Suisse en relation avec d’autres produits et services, elle ne pourrait pas transférer ce degré de connaissance élevé aux produits revendiqués pour la marque attaquée [au-delà de la similarité] (consid. 7.2.6.). Dès lors, le TAF a conclu à l’absence de risque de confusion.

4. Défaut d’usage

La dernière partie de l’exposé de Sabine Büttler était consacrée au défaut d’usage. Dans l’arrêt B-6169/2020 du 2 octobre 2023, «ADVENTURIDGE/Adventure (fig.), Adventure Highland Creek (fig.)», les juges administratifs ont rappelé le droit suisse concernant la déclaration sur l’honneur: celle-ci est qualifiée de simple allégation de partie. Néanmoins, elle doit être prise en compte dans le cadre de la libre appréciation des preuves et peut, en combinaison avec d’autres pièces, contribuer à rendre vraisemblable l’usage. En l’espèce, ni la déclaration sur l’honneur ni un autre document fourni par la plaignante n’indique précisément les chiffres de ventes ou d’affaires effectivement atteints pour les produits désignés sous sa marque (consid. 5.5.5). Dans ces conditions, quand bien même la recourante rend vraisemblable une offre en Allemagne, les pièces concernant une prétendue vente ont une valeur probante faible. L’usage sérieux n’est donc pas rendu vraisemblable.

Enfin, l’arrêt B-1137/2022 du 17 mai 2023, «LA HISPANO-SUIZA» concernait la procédure de radiation pour défaut d’usage. Dans cet arrêt le TAF a considéré que demander la radiation d’une marque «historique» (enregistrée depuis 1948) n’est pas un abus de droit. En l’espèce, les produits concernés appartiennent au segment du luxe pour lequel l’exigence d’utilisation est moins étendue que pour les produits de masse. Toutefois, même pour les produits de luxe, l’usage de la marque ne peut se limiter à une simple intention d’utilisation (consid. 5.10). Comme l’a justement rappelé Sabine Büttler, selon le TAF, les communiqués de presse, le messaging sur les réseaux sociaux et la mise en ligne du site web sont considérés comme de simples annonces (consid. 5.11).

IV. Marques, dessins et modèles de l’UE – Jurisprudence 2023

Le séminaire s’est poursuivi avec le tour d’horizon de la jurisprudence communautaire de 2023 en matière de marques, dessins et modèles présenté par Arnaud Folliard-Monguiral, département Affaires juridiques de l’EUIPO. L’exposé d’Arnaud Folliard-Monguiral consistait en trois parties: la première relative à l’exercice des droits dans des arrêts récents de la cour de justice de l’Union Européenne (ci-après CJUE), la deuxième concernant les marques et la troisième à propos des dessins et modèles.

1. Exercice des droits (CJUE)

Arnaud Folliard-Monguiral est, dans un premier temps, revenu sur l’arrêt C-148/21 du 28 décembre 2022, «Christian Louboutin/Amazon» concernant deux recours de Christian Louboutin qui soutenait qu’Amazon a fait illégalement usage d’un signe identique à la marque dont il est titulaire pour des produits identiques. Une place de marché «hybride» comme Amazon qui regroupe des annonces émanant d’elle-même et de vendeurs tiers est susceptible de faire un acte «d’usage» de la marque identifiant les produits de ce tiers, pour sa propre communication commerciale. En l’espèce, la CJUE a considéré que l’appréciation globale des circonstances pertinentes, y compris la perception des utilisateurs, repose notamment sur le mode de présentation des annonces et le niveau d’intégration des services entourant la vente. La Cour précise toutefois que la nature uniforme des opérations commerciales d’Amazon lui donne l’apparence d’un vendeur ou distributeur aux yeux du public, par opposition à un «opérateur indépendant» du vendeur tiers.

Dans l’arrêt C-104/22 du 27 avril 2023, «Lännen MCE Oy/Berky GmbH», la CJUE a opéré une distinction entre, d’une part, le référencement payant d’une annonce publicitaire par un moteur de recherche dont le domaine de premier niveau correspond à celui d’un territoire national et, d’autre part, le seul référencement de photographies par des balises méta correspondant à la marque protégée. Dans le premier cas, le référencement cible le territoire national pertinent rendant le tribunal de cet État compétent au titre du territoire sur lequel le fait de contrefaçon a été commis. Ceci n’est pas le cas pour le second type de référencement, en particulier si ces photographies sont publiées sur un site avec un domaine de premier niveau générique.

L’arrêt C-655/21 du 19 octobre 2023, «G. ST. T./Rayonna prokurata Burgas» posait la question de la possibilité d’une peine plancher, automatique et incompressible en cas de récidive d’acte de contrefaçon de marque. La CJUE a retenu qu’une telle peine plancher ne répond pas au principe de proportionnalité, garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union, dès lors qu’une telle peine ne peut pas être modulée selon la gravité de l’infraction.

Dans l’arrêt C-832/21 du 7 septembre 2023, «Beverage CityGmbH/Advance Magazine publishers Inc.», présenté ensuite par Arnaud Folliard-Monguiral, il était question de la compétence internationale s’étendant à l’ensemble de l’Union des tribunaux nationaux. En l’occurrence, en vertu de cette compétence, un tiers domicilié en Pologne, distributeur exclusif des produits du défendeur principal, domicilié en Allemagne, peut être assigné en justice devant un tribunal allemand pour des faits commis en Pologne. La CJUE a également rappelé dans cet arrêt que la qualité de codéfendeur ne dépend pas d’un lien structurel ou organisationnel vis-à-vis du défendeur principal.

Finalement, dans l’arrêt C-654/21 du 8 juin 2023, «LM/KP», la CJUE a estimé qu’une action reconventionnelle en nullité de l’UE peut concerner un ensemble de produits et services plus large que celui invoqué lors de l’action principale en contrefaçon.

2. Marques

Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite présenté trois recours contre des décisions des chambres de recours de l’EUIPO concernant les motifs absolus d’exclusion d’enregistrement. Le premier, l’arrêt T-2/21 du 24 mai 2023, «Emmentaler Switzerland/EUIPO» concernait la marque collective. Par exception, les signes désignant la provenance géographique de produits peuvent être enregistrés à titre de marque collective. Mais, le Tribunal, suivant l’EUIPO, a retenu qu’en raison de son emploi générique dans l’UE et de la normalisation de ses caractéristiques, l’appellation «Emmentaler» se réfère à un type de fromage, non à une provenance géographique. Ainsi l’exception susmentionnée ne s’applique pas en l’espèce.

Dans l’arrêt T-10/22 du 5 juillet 2023, «Wajos GmbH/EUIPO», le Tribunal a jugé que le fait que les caractéristiques essentielles d’une forme ont, outre une fonction fonctionnelle, une fonction ornementale, n’est pas pertinent et ne constitue pas une caractéristique non-fonctionnelle supplémentaire.

Finalement, dans l’arrêt T-415/22 du 11 octobre 2023, «République de Chypre/EUIPO» il s’agissait de déterminer comment la notion de risque de confusion doit être comprise et appréciée en relation avec des marques de certification. À cet égard, le Tribunal a d’abord relevé que cette notion doit être adaptée à la fonction essentielle des marques de certification. Notamment, un tel risque est établi lorsque le public croit à tort que les produits visés par la marque de certification antérieure et ceux visés par la marque demandée proviennent tous de personnes autorisées par le titulaire à utiliser ladite marque de certification. Cependant, l’examen du risque de confusion sur la certification est soumis aux mêmes critères que ceux applicables aux marques individuelles, y compris l’impact du caractère distinctif de la marque antérieure sur sa portée de protection.

3. Dessins et modèles

Dans la dernière partie de son exposé consacrée au thème des dessins et modèles, Arnaud Folliard-Monguiral a d’abord présenté l’arrêt T-505/21 du 29 mars 2023, «installations pour la distribution de fluides» dans lequel le tribunal de l’UE a rappelé que les caractéristiques usuelles (par exemple, la surface lisse des ballons) et imperceptibles d’un dessin ne traduisent pas un «choix spécifique» du créateur (§ 33-35, 47). En l’espèce, le titulaire du dessin n’a pas démontré que des considérations autres que fonctionnelles jouent nécessairement un rôle dans la conception d’un jouet (§ 61). En conséquence, le tribunal a rejeté le recours et, ainsi, accueilli la demande en nullité du dessin ou modèle litigieux.

Arnaud FOLLIARD-MONGUIRAL s’est ensuite tourné vers l’arrêt T-231/21 du 19 octobre 2022, «Poteau» concernant le dessin ou modèle ci-dessous:

Sur cette affaire très intéressante, Arnaud Folliard-Monguiral a souligné que le dessin ou modèle en question pouvait certes sembler entièrement fonctionnel. Cependant, le tribunal a considéré en l’espèce qu’«il existe des circonstances objectives, notamment les avis d’experts, l’existence de modèles alternatifs et le fait que le produit concerné soit visible par le public et de grande taille, qui montrent que des considérations esthétiques ont été prises en compte par le créateur pour deux caractéristiques de l’apparence du produit». Dès lors le tribunal a rejeté la demande en nullité du dessin ou modèle contesté.

Dans l’arrêt C-472/21 du 16 février 2023, «Monz Handelsgesellschaft International», la CJUE est revenue sur la notion d’«usage normal» au cours duquel la visibilité d’une pièce de produit complexe est appréciée. «L’usage normal» doit couvrir les actes qui se rapportent à l’utilisation principale d’un produit ainsi que d’autres actes pouvant raisonnablement être accomplis lors d’une telle utilisation et qui sont habituels du point de vue de l’utilisateur final. De tels actes comprennent notamment ceux qui peuvent être accomplis avant ou après que le produit a rempli sa fonction principale, tels que le stockage et le transport de celui-ci, à l’exception de l’entretien, du service et de la réparation (§ 51-55).

Enfin, dans l’arrêt T-617/21 du 22 mars 2023, «Chalumeaux à souder (partie de –)», le tribunal a retenu qu’un consommable, en l’occurrence une électrode pour un chalumeau à souder, n’était pas une pièce de ce produit complexe. Le tribunal a motivé cette décision par l’absence de lien solide et durable avec le produit complexe, la vente séparée du chalumeau, l’achat et le remplacement régulier de l’électrode et son caractère interchangeable.

En conclusion de sa présentation, Arnaud Folliard-Monguiral a annoncé la réforme prochaine du droit européen des dessins ou modèles par l’adoption d’un règlement et d’une directive attendus pour juin 2024. Cette réforme concernera la représentation (3D, mouvements, etc.) des dessins et modèles, la notion de produit (dématérialisée), la clause de réparation, la limitation au droit exclusif, le transit et l’alignement des dispositions procédurales sur le régime de la marque de l’Union européenne (EUTM).

V. Nouveautés de l’IPI

Il fut alors temps pour Eric Meier, vice-directeur et chef de la Division Marques & Designs de l’IPI, de présenter les nouveautés de l’IPI relatives au délai de traitement des demandes, à la digitalisation, à l’évolution de la pratique en matière de marque et à la future procédure simplifiée de destruction des petits envois contenant des contrefaçons.

Eric Meier a dans un premier temps donné des informations sur le projet relatif à la réduction de la durée de traitement des demandes en matière de marques. L’IPI travaille depuis 2019 à la réduction des délais dans l’examen des marques. Le but est d’offrir aux utilisateurs une durée de traitement des demandes aussi courte que possible, tout en maintenant la qualité du travail. Au cours des derniers mois, l’IPI a mis l’accent sur le traitement des réponses à la suite d’une prise de position du déposant après une notification de refus. Ce délai est de maximum 4 mois depuis mi-2022. Graphique à l’appui, Eric Meier a aussi mis en évidence la réduction considérable des délais de premier examen: de 15 semaines en juillet 2022 à 8 semaines au 4ème trimestre 2023. Le traitement de ces dossiers s’effectue de manière méthodique selon une approche «premier arrivé, premier servi». La priorité actuelle porte sur les délais de premier examen pour les enregistrements internationaux désignant la Suisse. Dans les autres domaines, notamment dans la procédure d’opposition, les délais de traitement sont très courts. Eric Meier a indiqué que l’IPI consultera les milieux intéressés à la réunion annuelle de printemps avec les représentants des associations de la propriété intellectuelle à l’IPI à propos de la question de savoir jusqu’où ces délais doivent être réduits. La définition et la gestion des délais de traitement des demandes doivent prendre en compte les inévitables variations du nombre de demandes d’enregistrement soumises à l’IPI. Eric Meier a montré que les variations les plus importantes sont celles constatées avant et après la pandémie de COVID-19.

En matière de digitalisation, Eric Meier a rappelé que l’IPI vise à mettre en place des interfaces clients entièrement numériques pour tous les titres de protection. Dans cette optique, l’IPI a franchi une nouvelle étape mi-2023 avec le déploiement de nouvelles bases de données pour les brevets, designs et certificats complémentaires de protection. Celles-ci sont d’utilisation plus aisée que Swissreg tout en étant aussi complètes que ce dernier. Si Swissreg demeure à ce jour l’organe officiel de publication, l’IPI travaille à son remplacement, en intégrant celui-ci dans la nouvelle plate-forme contenant les différentes bases de données. Comme annoncé dans sa Newsletter 2023/06-1 Marques et Designs, l’IPI a parallèlement étendu les services électroniques existant pour les marques aux autres titres de protection dans trois domaines: la modification du registre en ligne, la communication électronique des écrits de l’IPI et le compte utilisateur. Même si les modifications de registre en ligne peuvent être saisies en tant que visiteur, le compte utilisateur présente plusieurs avantages pour les titulaires de marques et leur mandataire: notamment, la consultation en tout temps des requêtes, la possibilité de demander des modifications du registre pour plusieurs titres ou demandes simultanément et la réduction, en règle générale, du nombre de documents justificatifs à fournir. L’IPI a également introduit un nouveau service permettant de donner l’ordre de débit d’un compte courant en ligne (informations disponibles sur la page «Compte d’utilisateur pour les services en ligne» du site internet de l’IPI). Ce service présente de nombreux avantages pour les utilisateurs. Lors de son lancement public en juillet 2023, 11% des ordres de débit des comptes courants ont été donnés en ligne. Ce chiffre est depuis en constante augmentation et a atteint 27% fin octobre 2023. Eric Meier a donc incité les participants au séminaire possédant un compte courant à l’IPI à utiliser ce nouveau service, plus convivial et rapide. Toutes les informations relatives au service en ligne «Ordre de débit du compte courant» sont disponibles sur le site internet de l’IPI.

Eric Meier s’est alors tourné vers la partie principale de sa présentation axée sur l’évolution de la pratique. En préambule, il a rappelé que la stratégie de l’IPI dans ce domaine est de mettre à la disposition des utilisateurs des procédures qui soient aussi simples, rapides et harmonisées que possible. Il est important que les entreprises puissent obtenir des décisions sur leurs demandes de protection dans les meilleurs délais et que celles-ci soient conformes au droit suisse et aussi prévisibles que possible. Bien que les enregistrements étrangers ne lient pas l’IPI, il est dans l’intérêt des utilisateurs, notamment des entreprises tournées vers l’exportation, que la pratique de l’IPI soit autant que possible harmonisée avec celle de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Par conséquent, l’IPI tient compte de plusieurs dimensions pour le développement de la pratique: la jurisprudence du TAF et du TF, le droit de l’Union européenne, des critères d’examen aussi simples que possible et la prévision des décisions. Eric Meier a ensuite illustré ces dimensions au moyen d’exemples récents d’évolutions de la pratique de l’IPI. À la suite de ce préambule, il est revenu sur trois projets en cours de réalisation.

Le premier concerne la modification de la pratique en matière de classification des produits virtuels, des jetons non fongibles (NFT) et des services fournis dans des environnement virtuels. Cette modification fait l’objet d’un nouveau chapitre des Directives de l’IPI, dont le projet a été mis en consultation auprès des milieux intéressés. Selon la nouvelle pratique, qui reflète les décisions prises lors de la session du Comité d’experts de l’Union de Nice de mai 2023, les produits virtuels téléchargeables sont classés dans la classe 9 et doivent être désignés précisément. En outre, la manière dont un service est fourni n’a en principe aucune incidence sur sa classification, sauf si cette manière ou le lieu de sa fourniture (physique ou virtuel) modifie la finalité ou le résultat du service. Quant aux jetons non fongibles (NFT), il ne s’agit pas de produits au sens de la Classification de Nice et ils ne peuvent donc pas être classés en tant que tel. Ces modifications sont à présent publiées dans les Directives de l’IPI en matière de marques du 1.1.2024, ci-après Directives, partie 2, ch. 4.16, disponible sous ‹https://www.ige.ch/fr/prestations/documents-et-liens/marques›.

Le deuxième projet en cours, sur lequel les milieux intéressés seront consultés, concerne la similarité entre des produits virtuels et des produits réels. La question qui se pose, par exemple, est celle de savoir si une chaussure virtuelle téléchargeable (en classe 9) est similaire à une chaussure réelle en classe 25. À cet égard, Eric Meier a d’abord mentionné le projet de Directives de l’EUIPO 2024 (partie C, section 2, chap. 2, ch. 5.9) dans lequel est dressée une liste de facteurs pertinents pour apprécier leur similarité. Puis il a cité la doctrine suisse, et notamment la thèse de Doctorat de Sevan Antreasyan selon laquelle le cercle des destinataires pourrait être considéré comme semblable et, dans le prolongement de ce critère, ces produits pourraient être reconnus comme complémentaires.​2 Enfin, il a mentionné que le 4 septembre 2023, l’IPI a organisé une rencontre avec les milieux intéressés au cours de laquelle tous les participants se sont accordés pour dire que la similarité entre les biens physiques et les biens virtuels est envisageable selon les critères d’examen actuels.

Le troisième projet évoqué par Eric Meier concerne les signes renvoyant au contenu thématique des produits ou des services concernés. Dans son arrêt B-4493/2022 du 26 juillet 2023, «[Apfel] (fig.)», le TAF a confirmé sa jurisprudence selon laquelle l’examen de tels signes est soumis à des critères d’examen particuliers, non applicables aux &cbr;autres motifs de refus (consid. 4.4; voir également dans un autre contexte, TF 4A_492/2022, consid. 4.2.1, «(fig.)»; TF 4A_178/2023, consid. 6.4.3, «Truedepth»).​3 Face à cette jurisprudence, l’IPI a décidé de revoir sa pratique actuelle selon laquelle les indications qui se réduisent à une désignation neutre du thème possible des produits ou des services concernés sont refusées à l’enregistrement (cf. Newsletter 2023/07-09 Marques et Designs du 28 septembre 2023, disponible sous ‹www.ige.ch/de/newsletter-2023/07-09-marques-et-designs›, consulté le 26 février 2024). L’arrêt [Apfel] du TAF porte sur une marque figurative et, selon cet arrêt, un tel signe doit être «typique» pour être refusé. Le TAF indique clairement au consid. 4.8. comment apprécier cette notion pour de tels signes: pour être considéré comme «typique», le signe doit faire l’objet d’un large usage auprès d’autres fournisseurs en tant que renvoi au même contenu thématique. Eric Meier a souligné à ce propos qu’il faut garder à l’esprit que très peu de cas sont concernés et qu’une marque figurative comprendra très souvent des éléments stylistiques conférant au signe dans son ensemble un caractère distinctif suffisant et permettant d’exclure tout besoin de disponibilité. La question se pose par ailleurs de déterminer si le critère de la typicité est aussi valable pour les marques verbales. À cet égard, Eric Meier a rappelé que le TAF se réfère plusieurs fois à sa jurisprudence relative à des marques verbales ou combinées dans laquelle il n’est pas fait appel au critère de la typicité (not. TAF B-7663/2016, «Super Wochenende [fig.]»; B-1759/2007, «Pirates of the Caribbean»). L’analyse en cours a donc deux objectifs. Premièrement, assouplir la pratique pour ne plus refuser un signe au seul motif qu’il peut renvoyer à un thème possible. Deuxièmement, préciser les critères d’examen pour les marques figuratives et verbales, en s’orientant sur la pratique de l’EUIPO et en tenant compte du cadre donné par le TAF. Les milieux intéressés seront aussi consultés à ce sujet.

Eric Meier a terminé sa présentation en offrant aux participants des informations récentes sur la future procédure simplifiée de destruction de petits envois contenant des contrefaçons, proposée dans un projet de loi fédérale en cours d’examen devant le parlement au moment du séminaire. Toutes les informations relatives à cette loi sont disponibles sur la page «Instauration d’une procédure simplifiée de destruction de petits envois contenant des contrefaçons» sur le site internet de l’IPI.

En conclusion de son exposé, Eric Meier a invité tous les participants à s’abonner à la Newsletter Marques et Designs de l’IPI pour être informés régulièrement sur les nouveautés de l’IPI: ‹www.ige.ch/fr/prestations/informations/newsletters›, consulté le 26 février 2024.

Fussnoten:

1

Concernant cet arrêt, voir également ci-dessous le compte-rendu de la présentation d’Eric Meier relatif à l’évolution de la pratique de l’IPI.

2

S. Antreasyan, Réseaux sociaux et mondes virtuels: contrat d’utilisation et aspects de propriété intellectuelle, 2016, 193 s.

3

Concernant l’arrêt [Apfel], voir également ci-dessus le compte-rendu de la présentation de SABINE BÜTTLER, chapitre III.2.