Le sĂ©minaire annuel sur les «DĂ©veloppements rĂ©cents en droit des marques» sâest tenu Ă GenĂšve le 17 novembre 2022. Cette 19Ăšme édition du sĂ©minaire IPI-LES, coorganisĂ©e par lâInstitut FĂ©dĂ©ral de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (IPI) et la Licensing Executives Society Switzerland (LES-CH), a connu un intĂ©rĂȘt sans prĂ©cĂ©dent de la part des milieux intĂ©ressĂ©s avec un nombre record dâinscrits pour participer aux discussions sur les thĂšmes dâactualitĂ© prĂ©sentĂ©s.
Das jĂ€hrliche Seminar zum Thema «Neueste Entwicklungen im Markenrecht» fand am 17. November 2022 in Genf statt. Diese 19. Ausgabe des IPI-LES-Seminars, das vom Eidgenössischen Institut fĂŒr Geistiges Eigentum (IGE) und der Licensing Executives Society Switzerland (LES-CH) mitorganisiert wurde, erfreute sich eines beispiellosen Interesses seitens der interessierten Kreise mit einer Rekordzahl von angemeldeten Teilnehmern, die an den Diskussionen ĂŒber die vorgestellten aktuellen Themen teilnahmen.
Ghislain Guigon-Sell,
Ph. D. (Oxford-GenĂšve), expert en marques Ă lâIPI, Berne.
Dans son mot de bienvenue et dâintroduction, MichĂšle Burnier, membre du ComitĂ© Suisse de la LES-CH, sâest rĂ©jouie de lâengouement des milieux intĂ©ressĂ©s pour les problĂ©matiques abordĂ©es lors de ce sĂ©minaire. AprĂšs une courte prĂ©sentation des confĂ©renciers et du programme, elle a soulignĂ© lâimportance du thĂšme des NFTs pour le droit des marques afin dâexpliquer la grande place accordĂ©e Ă la discussion de cette thĂ©matique dans le programme de ce sĂ©minaire.
Eric Meier, vice-directeur et chef de la Division Marques & Designs de lâIPI, a ouvert ce sĂ©minaire avec un exposĂ© sur les nouveautĂ©s de lâInstitut dans quatre domaines: les demandes et dĂ©lais de traitement, la pratique en matiĂšre de marques, les Directives de lâIPI et la digitalisation.
Eric Meier a dâabord prĂ©sentĂ© lâĂ©volution des demandes dâenregistrement de marques suisses. Celles-ci ont connu un net recul, aprĂšs un exercice financier 20/21 record (20'018 dĂ©pĂŽts entre juillet 2020 et juin 2021). Durant lâexercice financier 21/22, lâIPI a reçu un peu plus de 17'700 demandes et la tendance Ă la baisse sâest accentuĂ©e depuis lâĂ©tĂ© 2022 avec un nombre de dĂ©pĂŽts infĂ©rieur Ă 17'000 prĂ©vu pour lâexercice financier 2022-2023; soit un niveau lĂ©gĂšrement infĂ©rieur Ă la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant la pandĂ©mie. Dans le mĂȘme temps, depuis juillet 2021, les enregistrements internationaux avec dĂ©signation Ă la Suisse ont nettement augmentĂ© au point de dĂ©passer le nombre de dĂ©pĂŽts nationaux. Plus de 19'000 dĂ©signations Ă la Suisse sont attendues pour lâexercice financier en cours. Il est possible que cette tendance sâinverse ensuite Ă lâimage du recul observĂ© pour les dĂ©pĂŽts nationaux. Dans les autres secteurs, le nombre de demandes adressĂ©es Ă lâIPI est stable dans lâensemble, Ă lâexception des nouvelles oppositions dont le nombre a augmentĂ© de 10% depuis lâĂ©tĂ© 2022. Le nombre des demandes affecte mĂ©caniquement la durĂ©e de traitement des dossiers, qui reste de façon gĂ©nĂ©rale trĂšs courte, selon Eric Meier. Le dĂ©lai de traitement pour le premier examen des demandes nationales a notamment baissĂ© Ă quatre mois en Ă©tĂ© 2022 et devrait encore baisser Ă trois mois dâici mi-2024. Pour le premier examen des enregistrements internationaux dĂ©signant la Suisse le dĂ©lai Ă©tait de dix Ă onze mois au moment du sĂ©minaire et sera encore rĂ©duit Ă moyen terme. Eric Meier a soulignĂ© que la prioritĂ© pour lâexercice financier 22/23 a Ă©tĂ© mise sur lâexamen subsĂ©quent des demandes dâenregistrement, autrement dit sur lâexamen faisant suite Ă une prise de position du dĂ©posant aprĂšs le premier examen. Le dĂ©lai dâexamen subsĂ©quent pour toutes les prises de position reçues Ă partir du 1er juillet 2022 est fixĂ© Ă quatre mois maxi|mum. Pour les prises de position plus anciennes, une Ă©quipe a spĂ©cialement Ă©tĂ© mise sur pied pour traiter aussi vite que possible ces dossiers: elle en traite sept Ă dix par semaine. En rĂ©ponse Ă une question de lâauditoire, Eric Meier a encore prĂ©cisĂ© que cette Ă©quipe Ă©tait composĂ©e dâexperts et dâexpertes en marques chevronnĂ©s, dâun chef de section examen (Stephan von Allmen) et de lui-mĂȘme.
Dans la deuxiĂšme partie de son exposĂ©, Eric Meier a prĂ©sentĂ© les dĂ©veloppements de la pratique de lâIPI en matiĂšre de motifs absolus dâexclusion. Ă ce propos, il fut dâabord question de deux projets de simplification de la pratique: le premier concernant le besoin de libre disposition des dĂ©signations gĂ©ographiques, le second concernant les marques contenant une croix. Il a toutefois prĂ©cisĂ© que ces simplifications de la pratique seront dâune portĂ©e rĂ©duite comparĂ©e Ă la simplification de la pratique en matiĂšre de limitation de la liste des produits et services pour les marques contenant une indication de provenance entrĂ©e en vigueur le 1er mars 2022. Il a ensuite Ă©voquĂ© la mise Ă lâĂ©tude de deux pratiques communes dĂ©veloppĂ©es dans le cadre du programme de convergence, lancĂ© en 2011, rĂ©unissant lâEUIPO, les offices nationaux et les associations dâusagers dans un rĂ©seau europĂ©en de la propriĂ©tĂ© intellectuelle. Comme lâa rappelé Eric Meier, la Suisse, reprĂ©sentĂ©e par lâIPI, joue un rĂŽle actif dans ce programme pour faire valoir son point de vue dans les procĂ©dures de consultation et les discussions, le but Ă©tant de reprendre les pratiques communes dĂ©veloppĂ©es au niveau europĂ©en lorsque le droit suisse le permet. Douze pratiques communes ont Ă©tĂ© dĂ©veloppĂ©es dans le cadre de ce programme de convergence et deux dâentre elles ont Ă©tĂ© reprises par la Suisse: les pratiques communes 3 et 5 relatives, respectivement, Ă lâexamen du caractĂšre distinctif des marques combinant des Ă©lĂ©ments verbaux et figuratifs dans la procĂ©dure dâenregistrement et Ă lâexamen de lâimpact des Ă©lĂ©ments non distinctifs/faiblement distinctifs sur le risque de confusion (cf. texte âčwww.tmdn.orgâș). Les deux nouvelles pratiques communes dont lâĂ©ventuelle reprise, partielle ou totale, est actuellement en cours dâanalyse sont les pratiques communes PC8 et PC9 concernant, respectivement, la question de lâusage de la marque sous une forme diffĂ©rente de celle qui a Ă©tĂ© enregistrĂ©e et celle du caractĂšre distinctif des marques tridimensionnelles contenant des Ă©lĂ©ments verbaux et/ou figuratifs lorsque la forme nâest pas distinctive. LâIPI est Ă©galement impliquĂ© dans un projet de nouvelle pratique commune, PC14, relative Ă lâexamen des marques contraires Ă lâordre public et aux bonnes mĆurs. Trois autres domaines de la pratique de lâIPI sont Ă©galement en cours dâanalyse. PremiĂšrement, comme lâIPI lâa communiquĂ© dans sa Newsletter, suite Ă la dĂ©cision du Tribunal fĂ©dĂ©ral du 6 avril 2022 dans lâaffaire opposant la FIFA Ă PUMA SE (ATF 148 III 257 ss), lâInstitut envisage de modifier sa pratique relative aux marques renvoyant Ă des Ă©vĂšnements (cf. Newsletter No 4/2022 «Informations juridiques» et Newsletter 2022/07-09-1 «Marques et designs», disponibles sous âčwww.ige.ch/de/newsletter-no-4/2022-informations-juridiques-/-newsletter-2022/07-09-1-marques-et-designsâș). DeuxiĂšmement, lâIPI examine la signification pour sa pratique de lâarrĂȘt rĂ©cent BUTTERFLY (TF du 8 septembre 2022, 4A_158/2022) dans lequel le Tribunal fĂ©dĂ©ral a confirmĂ© la jurisprudence FIORETTO (ATF 116 II 609 ss) selon laquelle les rĂ©fĂ©rences Ă des formes ou des motifs, qui sont rĂ©pandus sans ĂȘtre toutefois typiques des produits, peuvent ĂȘtre enregistrĂ©es en tant que marques. TroisiĂšmement, lâIPI travaille sur les enjeux posĂ©s par les NFTs et les «biens virtuels» sur sa pratique en matiĂšre de classification et dĂ©signation des produits et services concernĂ©s, de caractĂšre distinctif, de similaritĂ© et dâusage pour maintenir le droit Ă la marque. Ces Ă©volutions de la pratique sont en cours de consultation auprĂšs des milieux intĂ©ressĂ©s ou le seront prochainement (cf. Ă©galement la Newsletter 2022/12 «Marques et Designs» concernant plusieurs des dĂ©veloppements de la pratique de lâIPI en matiĂšre de marques annoncĂ©s dans ce paragraphe; disponible sous âčwww.ige.ch/de/newsletter-2022/12-marques-et-designsâș).
Eric Meier est ensuite revenu sur le projet dâharmonisation des Directives de lâIPI annoncĂ© dans la Newsletter No 4/2022 «Informations juridiques» et la Newsletter 2022/07-09-1 «Marques et designs» de lâIPI (disponible sous âčwww.ige.ch/de/newsletter-no-4/2022-informations-juridiques-/-newsletter-2022/07-09-1-marques-et-designsâș). Lâobjectif du projet, lancĂ© il y a un peu plus dâun an, est la publication de Directives harmonisĂ©es pour la partie gĂ©nĂ©rale, la procĂ©dure formelle dâenregistrement et la tenue du registre dans les domaines des designs, des marques et des brevets. De telles Directives, qui nâexistent actuellement que pour les marques, permettront une plus grande transparence et une prĂ©visibilitĂ© accrue des dĂ©cisions de lâIPI. Ce fut lâoccasion pour Eric Meier de rappeler que, depuis le 1er juillet 2021, les procĂ©dures de dĂ©pĂŽts et la tenue des registres pour les marques, designs et brevets sont centralisĂ©es Ă lâIPI dans la section «DĂ©pĂŽts et Registres», dirigĂ©e depuis le 1er novembre 2022 par Julie Poupinet. LâentrĂ©e en vigueur des Directives harmonisĂ©es est prĂ©vue au 1er juillet 2023, aprĂšs consultation des milieux intĂ©ressĂ©s. ParallĂšlement Ă ce projet dâharmonisation, lâInstitut travaille Ă lâactualisation des autres parties des Directives en matiĂšre de marques, celles consacrĂ©es aux enregistrements internationaux, Ă lâexamen des marques et aux procĂ©dures dâopposition et de radiation pour dĂ©faut dâusage. Lâactualisation vise Ă prendre en compte les changements intervenus au niveau de la pratique et de la lĂ©gislation, tout en mettant Ă jour les rĂ©fĂ©rences issues de la jurisprudence. Il sâagit dâun travail dâenvergure sachant que, depuis le 1er janvier 2019, le Tribunal administratif fĂ©dĂ©ral a rendu prĂšs de 150 arrĂȘts et le Tribunal fĂ©dĂ©ral a rendu une quinzaine dâarrĂȘts. Plusieurs domaines sont concernĂ©s: les sondages dâopinion en relation avec lâimposition dâun signe comme marque, les marques tridimensionnelles, les signes simples, les signes protĂ©gĂ©s par des lois spĂ©ciales, les marques figuratives consistant en la reprĂ©sentation fidĂšle des produits pour lesquelles elles sont revendiquĂ©es.
Dans la derniĂšre partie de sa prĂ©sentation, Eric Meier a mis en Ă©vidence les changements rĂ©cents en matiĂšre de digitalisation et cyberadministration. Il a notamment men|tionnĂ© le remplacement, en mars 2022, du systĂšme «IR-Online» par un nouveau service en ligne pour le dĂ©pĂŽt des demandes dâenregistrement international de marques et la digitalisation, au printemps 2022, des processus pour le traitement des annuitĂ©s de brevets et des prolongations de designs avec lâintroduction du code QR. Ces changements ont Ă©tĂ© communiquĂ©s par Newsletter au cours de lâannĂ©e 2022 (voir âčwww.ige.ch/fr/prestations/informations/newsletters/marquesâș). Concernant les changements Ă venir, lâIPI travaille au dĂ©veloppement de nouvelles fonctionnalitĂ©s pour le compte courant auprĂšs de lâIPI (notamment demande de dĂ©bit en ligne et informations sur les transactions) et Ă lâextension des services de la cyberadministration aux designs, brevets et certificats complĂ©mentaires de protection (communication Ă©lectronique des Ă©crits de lâInstitut, base de donnĂ©es, modifications en ligne du registre). En outre, il est prĂ©vu de remplacer lâorgane de publication Swissreg. Tous ces travaux se font en collaboration avec des reprĂ©sentants des utilisateurs.
Le sĂ©minaire sâest poursuivi par un tour dâhorizon de la jurisprudence communautaire rĂ©cente prĂ©sentĂ© par Emmanuelle Limouzy, du Cabinet Marchais & AssociĂ©s. LâexposĂ© portait dâabord sur la jurisprudence du Tribunal de lâUnion EuropĂ©enne (TUE), puis sur celle de la Cour de Justice de lâUnion EuropĂ©enne (CJUE), suivant un ordre chronologique.
La prĂ©sentation dâEmmanuelle Limouzy de lâarrĂȘt «ULTRA AIR GMBH C/EUIPO (TUE du 4 fĂ©vrier 2022, T-67/21) apportait un Ă©clairage sur les diffĂ©rents effets juridiques des procĂ©dures dâannulation dâune marque fondĂ©e sur des motifs absolus (absence de caractĂšre distinctif) et de rĂ©vocation dâune marque fondĂ©e sur des motifs relatifs (dĂ©faut dâusage). En principe, une procĂ©dure de dĂ©chĂ©ance pour dĂ©faut dâusage peut conduire Ă une dĂ©claration de non-usage empĂȘchant la transformation de la marque de lâUnion europĂ©enne en une marque nationale, tandis que si lâenregistrement dâune marque europĂ©enne est dĂ©clarĂ© nul (sur motifs absolus) il est possible Ă son titulaire de transformer ladite marque en marque nationale: les effets territoriaux de ces deux procĂ©dures sont donc diffĂ©rents, en principe. Mais, en lâoccurrence, la requĂ©rante avait demandĂ© la dĂ©chĂ©ance dâune marque aprĂšs avoir requis son annulation et alors que la procĂ©dure dâannulation Ă©tait en cours. Selon le TUE, lâenregistrement de la marque ayant Ă©tĂ© annulĂ©, lâEUIPO a, Ă juste titre, dĂ©clarĂ© sans objet la procĂ©dure de dĂ©chĂ©ance pour dĂ©faut dâusage, Ă©tant donnĂ© que lâannulation de la marque revient Ă considĂ©rer que celle-ci nâa jamais Ă©tĂ© enregistrĂ©e. Le TUE a considĂ©rĂ© que la transformation, entre temps, de la marque de lâUnion europĂ©enne annulĂ©e en marque nationale dans le registre des marques de lâOffice des brevets et des marques allemand nâĂ©tait pas pertinente en lâespĂšce: en effet, le recours devant la chambre de recours de lâUnion europĂ©enne ne pouvait pas, en tout Ă©tat de cause, conduire Ă la radiation de lâenregistrement de ladite marque allemande.
LâarrĂȘt «HEITEC AG C/EUIPO» (TUE du 9 fĂ©vrier 2022, T-520/19) sur lequel est ensuite revenue la confĂ©renciĂšre concernait lui la production hors dĂ©lai en premiĂšre instance par lâEUIPO de moyens de preuve de lâusage sĂ©rieux dâune marque. Dans cet arrĂȘt, les juges ont considĂ©rĂ© que le caractĂšre «supplĂ©mentaire» et pertinent des moyens de preuve ajoutĂ©s nâest quâune condition nĂ©cessaire mais pas suffisante pour leur recevabilitĂ©: quelle que soit lâĂ©tape de la procĂ©dure Ă laquelle les preuves supplĂ©mentaires ont Ă©tĂ© produites hors dĂ©lai, la partie concernĂ©e doit non seulement dĂ©montrer leur pertinence mais aussi justifier dâune raison valable pour lâirrespect du dĂ©lai.
Il fut alors question de lâarrĂȘt «NOWHERE CO. LTD C/EUIPO» (TUE du 16 mars 2022, T-281/21), dans lequel le TUE a jugĂ© que les procĂ©dures dâopposition et dâaction en annulation formĂ©es avant le 31 dĂ©cembre 2020 et sur la base dâun droit antĂ©rieur protĂ©gĂ© au Royaume-Uni nâĂ©taient pas rendues sans objet par lâentrĂ©e en vigueur du BREXIT.
Puis lâexposĂ© dâEmmanuelle Limouzy sâest portĂ© sur les motifs absolus de refus dâenregistrement et, en particulier, sur le trĂšs intĂ©ressant arrĂȘt «ETABLISSEMENT AMRA C/EUIPO et EXPRESSION, ESTUDIO CREATIVO SL» (TUE du 30 mars 2022, T-264/21), concernant une marque tridimensionnelle reprĂ©sentant une forme de botte de rebond:
Dans cet arrĂȘt, qui annule une dĂ©cision de la Chambre de recours de lâEUIPO, le Tribunal de lâUnion europĂ©enne a jugĂ© que les Ă©lĂ©ments verbaux et figuratifs bidimensionnels compris dans le signe ne sont pas essentiels Ă la forme reprĂ©sentĂ©e et que, par consĂ©quent, leur influence dans lâimpression dâensemble est mineure. Seule la forme reprĂ©sentĂ©e est ici essentielle Ă la marque non-conventionnelle dĂ©posĂ©e. Or cette forme, selon le Tribunal, est purement fonctionnelle pour une botte de rebond et ne confĂšre donc pas de caractĂšre distinctif Ă la marque tridimensionnelle. Cette dĂ©cision fait Ă©cho Ă la pratique commune PC9, concernant le cara|ctĂšre distinctif des marques tridimensionnelles combinant une forme tridimensionnelle non-distinctive Ă des Ă©lĂ©ments verbaux et/ou figuratifs bidimensionnels, Ă©voquĂ©e prĂ©cĂ©demment dans lâexposĂ© dâEric Meier et dont lâIPI envisage la reprise partielle ou totale (cf. la Newsletter 2022/12 «Marques et Designs», disponible sous âčwww.ige.ch/de/newsletter-2022/12-marques-et-designsâș).
Toujours en relation avec une marque non-conventionnelle, Emmanuelle Limouzy est revenue sur lâarrĂȘt «DEICHMANN SE C/EUIPO â MUNICH SL» (TUE du 4 mai 2022, T-117/21) concernant lâaction en nullitĂ© relative Ă lâenregistrement de la marque de position suivante:
Dans cette affaire, la requĂ©rante a demandĂ© lâannulation de lâenregistrement de la marque pour dĂ©faut de caractĂšre distinctif. Les juges du Tribunal de lâUnion europĂ©enne ont rejetĂ© cette requĂȘte au motif quâen lâabsence de certitudes concernant le caractĂšre distinctif du signe du point de vue du consommateur moyen, le caractĂšre distinctif peut ĂȘtre prĂ©sumĂ©, notamment, au regard de lâexistence de marques similaires. En lâoccurrence, la requĂ©rante elle-mĂȘme avait enregistrĂ© une marque comparable.
Sâagissant de la dĂ©chĂ©ance de marque pour dĂ©faut dâusage sĂ©rieux, la confĂ©renciĂšre a encore considĂ©rĂ© les arrĂȘts «THINK DIFFERENT» (TUE du 8 juin 2022, T-26/21 Ă T-28/21). Dans ceux-ci, le TUE a rejetĂ© le recours de la sociĂ©tĂ© Apple Inc. Ă lâencontre dâune dĂ©cision de dĂ©chĂ©ance de ses trois marques verbales «THINK DIFFERENT» pour dĂ©faut dâusage: les Ă©lĂ©ments de preuve dâusage fournis par Apple Ă©taient insuffisants.
Enfin, lâarrĂȘt «Louis Vuitton Malletier/EUIPO â Wisniewski» (TUE du 17 octobre 2022, T-275/21) dĂ©montre une fois de plus quâil est trĂšs difficile de faire reconnaĂźtre au niveau europĂ©en le caractĂšre distinctif acquis par lâusage. Dans cette affaire, qui concerne lâenregistrement Ă titre de marque de lâUnion europĂ©enne dâun Ă©chantillon de sa cĂ©lĂšbre toile Ă damier, Louis Vuitton Malletier a introduit un recours contre une dĂ©cision de la cinquiĂšme chambre de recours de lâEUIPO rĂ©affirmant que le caractĂšre distinctif acquis par lâusage dans lâensemble de lâUnion europĂ©enne nâest pas dĂ©montrĂ©. Le TUE a confirmĂ© la dĂ©cision de la cinquiĂšme chambre de recours en rappelant que, si une marque est dĂ©pourvue de caractĂšre distinctif originaire ab initio dans lâensemble des Ătats Membres de lâUnion, alors le caractĂšre distinctif acquis par lâusage doit ĂȘtre dĂ©montrĂ© pour lâensemble du territoire de lâUnion; ce que la recourante nâa pas Ă©tĂ© en mesure de faire.
Dans la seconde partie de son exposĂ©, Emmanuelle Limouzy a prĂ©sentĂ© trois dĂ©cisions de la Cour de Justice de lâUnion EuropĂ©enne (CJUE). LâarrĂȘt «MAXXUS GROUP GMBH & CH.KG» (CJUE du 10 mars 2022, C-183/21) est instructif quant Ă la relation entre le droit national des Ătats membres et le droit communautaire. En lâespĂšce, le droit national allemand prĂ©voit une distinction entre la charge de lâexposĂ© des faits et la charge de la preuve. Une des consĂ©quences de cette distinction pour le droit des marques national allemand est que le requĂ©rant dans une procĂ©dure de radiation dâune marque pour dĂ©faut dâusage doit rendre vraisemblable le dĂ©faut dâusage dans lâexposĂ© des faits lorsquâil dĂ©pose sa requĂȘte. Mais le droit de lâUnion ne fait pas de distinction entre la charge de lâexposĂ© des faits et la charge de la preuve. Ceci implique notamment que, dans la procĂ©dure de radiation de marque pour dĂ©faut dâusage, la charge des moyens de preuve repose entiĂšrement sur la partie dĂ©fenderesse dans le droit communautaire (cf. en particulier lâart. 19 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement europĂ©en et du Conseil, du 16 dĂ©cembre 2015, rapprochant les lĂ©gislations des Ătats membres sur les marques). En lâoccurrence, la demande de dĂ©chĂ©ance pour dĂ©faut dâusage a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e le 28 novembre 2019, soit aprĂšs lâĂ©chĂ©ance du dĂ©lai imparti aux Ătats membres pour transposer la directive 2015/2436 dans le droit national. Dans ce contexte, au moment du dĂ©pĂŽt de la demande de dĂ©chĂ©ance pour dĂ©faut dâusage, câest le droit de lâUnion qui prĂ©vaut: la distinction entre la charge de lâexposĂ© des faits et la charge de la preuve prĂ©vue par le droit allemand ne sâapplique plus et il nâest donc pas nĂ©cessaire Ă la requĂ©rante de rendre vraisemblable le dĂ©faut dâusage.
Dans lâarrĂȘt «Heitec AG/Heitec Promotion GmbH â RW» (CJUE du 19 mai 2022, C-446/20) sur lequel est finalement revenue MaĂźtre Emmanuelle Limouzy, la Cour de Justice de lâUE a rappelĂ© que le dĂ©lai de forclusion par tolĂ©rance (cinq annĂ©es consĂ©cutives suivant la connaissance de lâusage dâune marque postĂ©rieure) peut ĂȘtre interrompu Ă la suite dâune lettre de mise en demeure Ă une condition: Ă savoir quâen lâabsence de rĂ©ponse satisfaisante, le titulaire de la marque antĂ©rieure Ă lâorigine de la lettre doit introduire un recours juridiquement contraignant «dans un dĂ©lai raisonnable». En lâespĂšce, cette condition nâĂ©tait pas remplie: le simple envoi dâune lettre de mise en demeure nâa donc pas suffi.
Le sĂ©minaire sâest poursuivi par la prĂ©sentation de lâĂ©volution de la jurisprudence du Tribunal Administratif FĂ©dĂ©ral (ci-aprĂšs, TAF) par Yann Grandjean, greffier au TAF. Yann Grandjean est revenu sur les principaux arrĂȘts dans le domaine des marques rendus par les Juges administratifs en 2022 concernant la procĂ©dure, lâenregistrement de marques, les oppositions et les radiations.
Dans le domaine de la procĂ©dure, Yann Grandjean sâest dâabord penchĂ© sur la question de la recevabilitĂ© formelle des recours en lien avec les arrĂȘts B-303/2022 et B-5546/2021 du 2 mars 2022 «(fig.)/(fig.)» (SKODA). Dans cette affaire, le TAF a dĂ©clarĂ© irrecevable un acte de recours dĂ©posĂ© sans motivation, mais accompagnĂ© dâune demande de suspension. En principe, le recourant doit prĂ©senter, au |moment du dĂ©pĂŽt, les conclusions ou motifs du recours. Ă teneur de lâart. 52 PA, il existe certes une exception Ă ce principe: lorsque lâautoritĂ© de recours, jugeant que les conclusions ou les motifs du recourant ne sont pas suffisamment clairs, lui impartit un dĂ©lai de 30 jours pour rĂ©gulariser lâacte de recours au moyen dâune motivation idoine. En lâespĂšce, le TAF a considĂ©rĂ© quâune demande unilatĂ©rale de suspension ne tombe pas sous le coup de cette exception, mais constitue une manĆuvre dilatoire (abus de droit). Il fut ensuite question de lâarrĂȘt «GALADRIEL» (B-5149/2021 du 25 mai 2022), concernant un recours contre un acte de lâIPI notifiĂ© aux parties. Dans cet acte, lâIPI constatait la vraisemblance du dĂ©faut dâusage tout en renvoyant Ă la dĂ©cision finale, sur la base de ce constat, lâexamen de la vraisemblance de lâusage. Dans cette affaire, tout en jugeant le recours irrecevable (au motif quâil ne sâen prend pas Ă une dĂ©cision), les juges administratifs ont considĂ©rĂ© que la recourante avait de bonnes raisons de recourir contre lâacte attaquĂ© car lâIPI nâaurait pas dĂ» rendre cet acte. En effet, selon les juges administratifs, contrairement aux apparences, lâacte notifiĂ© de lâIPI ne revĂȘt pas les caractĂ©ristiques matĂ©rielles dâune dĂ©cision, car il ne contient pas dâĂ©lĂ©ments visant Ă produire des effets juridiques et parce quâil ne constate pas non plus des droits ou des devoirs individuels concrets. Concernant la procĂ©dure encore, Yann Grandjean a attirĂ© lâattention de lâauditoire sur les arrĂȘts B-2637/2021 et B-2756/2021 du 18 novembre 2021 «miu miu (fig.)». Dans cette affaire, une demande de dĂ©bats publics avait Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e par une des parties, invoquant le droit Ă des dĂ©bats publics dĂ©coulant de la Convention EuropĂ©enne des Droits de lâHomme. Il existe toutefois des exceptions Ă lâapplication de ce droit, notamment lorsque lâobjet des dĂ©bats est une question de droit ou de recevabilitĂ© de portĂ©e rĂ©duite. En lâoccurrence, le litige portait uniquement sur une question de frais et dĂ©pens devant lâIPI: une question de droit de portĂ©e rĂ©duite. La demande de dĂ©bats publics a donc Ă©tĂ© rejetĂ©e.
Yann Grandjean sâest ensuite tournĂ© vers deux arrĂȘts relatifs Ă lâenregistrement de marque. Dans lâarrĂȘt B-3981/2021 du 6 avril 2022 «Nemiroff» (fig.), le TAF a considĂ©rĂ© que câest bien la reproduction de la marque dans le registre des marques, et non sa reproduction dans swissreg.ch, qui est dĂ©terminante pour lâexamen de la marque; et ce quand bien mĂȘme la seconde reproduction est plus dĂ©taillĂ©e que la premiĂšre. Sur cette base, les juges administratifs ont estimĂ© que les caractĂ©ristiques de la forme tridimensionnelle Ă©taient purement esthĂ©tiques et fonctionnelles mais que lâĂ©lĂ©ment verbal reproduit deux fois sur la forme, malgrĂ© sa taille et le manque de dĂ©tail de la reproduction dans le registre, dotait le signe de caractĂšre distinctif. Dans la dĂ©cision B-6390/2020 du 4 octobre 2022 «A.I. Brain», attaquĂ©e au Tribunal FĂ©dĂ©ral, le TAF a rappelĂ© que lâexamen de la question de la comprĂ©hension du vocabulaire anglais par le public cible doit sâapprĂ©cier au cas par cas et non de maniĂšre systĂ©matique. Le vocabulaire anglais de base, considĂ©rĂ© en principe comme connu du public, ne se limite pas aux mots les plus simples. Si les lexiques (par exemple, les vocabulaires pour dĂ©butants) offrent un indice quant Ă lâappartenance dâun terme au vocabulaire anglais de base, cet indice ne suffit pas forcĂ©ment Ă dĂ©terminer si le public cible comprendra le terme en question.
Dans la troisiĂšme partie de son exposĂ©, consacrĂ©e aux arrĂȘts du TAF en matiĂšre dâopposition, Yann Grandjean a dâabord attirĂ© lâattention de lâauditoire sur la dĂ©cision B-3239/2021 du 16 mars 2022 «STOPLANNER/STOA». Dans celle-ci, le Tribunal a admis le recours formĂ© par la titulaire de la marque opposĂ©e «STOA» (CH 754162) Ă lâencontre de la dĂ©cision de lâIPI admettant lâopposition basĂ©e sur la marque opposante antĂ©rieure «STOPLANNER» (IR 1419807). Tout en tenant compte Ă la fois du principe selon lequel le dĂ©but du mot suscite plus dâattention et du fait que les services en cause sont identiques ou fortement similaires, le Tribunal a considĂ©rĂ© quâen vertu de la signification quâelles confĂšrent aux signes, les terminaisons «-a» et «-planner» apparaissent trĂšs diffĂ©rentes dans lâimpression dâensemble. En particulier, mĂȘme si lâĂ©lĂ©ment «-planner» est en lâoccurrence descriptif des services, il ne peut ĂȘtre ignorĂ©. En vertu de ces diffĂ©rences, la marque attaquĂ©e STOA est reconnue comme un signe propre et indĂ©pendant de la marque opposante. Dans lâarrĂȘt B-4669/2019 du 25 novembre 2021 «CARGLASS (fig.)/CARGEST», prĂ©sentĂ© ensuite par Yann Grandjean, le TAF a, contrairement Ă lâIPI, estimĂ© que le caractĂšre notoirement connu de la marque opposante «CARGLASS (fig.)» (CH 492 956) lui confĂšre un champ de protection plus Ă©tendu, malgrĂ© le fait que ladite marque manque de caractĂšre distinctif originaire. Enfin, Yann Grandjean est revenu sur lâarrĂȘt B-361/2021 du 17 fĂ©vrier 2022 «Valser (fig.)/Valser Bier â Das Original Bernstein OberbrĂ€u» (cf. ATAF 2022 IV/1). Dans celui-ci, les juges administratifs, se basant sur lâart. 3 al. 1 let. c LPM, ont retenu, contre lâIPI, que la protection dâune marque enregistrĂ©e comme marque imposĂ©e sâĂ©tend non seulement aux produits identiques mais Ă©galement aux produits similaires, quand bien mĂȘme la marque en question appartient au domaine public en relation avec ces derniers. Ainsi, dans le cas dâespĂšce, le risque de confusion entre la marque opposante «Valser (fig.)» (CH 689 694) et la marque opposĂ©e «Valser Bier â Das Original Bernstein OberbrĂ€u» (CH 744 975) a Ă©tĂ© admis alors que la marque opposĂ©e a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en relation avec des biĂšres, mais non la marque opposante, qui a Ă©tĂ© enregistrĂ©e Ă titre de marque imposĂ©e en relation avec des eaux minĂ©rales.
Enfin, dans le domaine des radiations, Yann Grandjean a prĂ©sentĂ© en premier lieu la question de la lĂ©gitimation active et de lâintĂ©rĂȘt Ă agir dans le cadre de lâarrĂȘt B-65/2021 du 4 janvier 2022 «Visartis». Dans cette affaire, un recours a Ă©tĂ© formĂ© contre une radiation partielle, notamment au motif que, parallĂšlement Ă la procĂ©dure de radiation, les parties sont engagĂ©es dans une procĂ©dure dâopposition, dans laquelle le dĂ©faut dâusage nâest pas invoquĂ©. Ă cet Ă©gard, le TAF a confirmĂ© la jurisprudence selon laquelle un intĂ©rĂȘt Ă agir nâest pas nĂ©cessaire dans une procĂ©dure de radiation et il a rappelĂ© que les procĂ©dures de radiation et dâopposition sont indĂ©pendantes, quand bien mĂȘme elles concernent les mĂȘmes marques, notamment parce |quâelles ont des objets diffĂ©rents. Une procĂ©dure dâopposition dĂ©jĂ engagĂ©e dans laquelle le dĂ©faut dâusage nâest pas invoquĂ© ne justifie pas lâannulation dâune dĂ©cision de radiation pour dĂ©faut dâusage. LâarrĂȘt B-2382/2020 du 18 janvier 2022 «PIERRE DE COUBERTIN» fut ensuite citĂ© par Yann Grandjean en relation avec la question des griefs invoquĂ©s dans la procĂ©dure de radiation. En lâespĂšce, la radiation Ă©tait dĂ©posĂ©e entre autres avec des arguments du droit civil tirĂ©s de la concurrence dĂ©loyale. Mais, selon lâart. 35a al. 1 LPM, seuls les arguments tirĂ©s du dĂ©faut dâusage et de lâusage sont recevables dans la procĂ©dure de radiation. Yann Grandjean sâest de nouveau penchĂ© sur cet arrĂȘt, conjointement avec les arrĂȘts B-605/2021 du 14 septembre 2022 «Trillium» et B-2153/202 du 2 mai 2022 «SWISSVOICE», lorsquâil fut temps dâaborder la derniĂšre, mais non la moindre, problĂ©matique de son exposĂ©: la vraisemblable du dĂ©faut dâusage. Concernant les moyens pour rendre vraisemblable un tel fait nĂ©gatif, Yann Grandjean a rappelĂ© quâen droit, il est nĂ©cessaire (i) que la vĂ©racitĂ© apparaisse plus Ă©levĂ©e que son inexactitude, (ii) quâil soit fait appel Ă un faisceau dâindices et (iii) que les allĂ©gations soient majoritairement vraies. Dans ce cadre, un rapport de recherche dâusage, sur internet, Ă©tabli par un tiers est certes considĂ©rĂ© comme un moyen appropriĂ© pour rendre vraisemblable le dĂ©faut dâusage dâune marque; mais un seul moyen de le rendre vraisemblable, comme celui-ci, nâest en principe pas suffisant. Le nombre dâindices nĂ©cessaires pour la vraisemblance de dĂ©faut dâusage dĂ©pend des circonstances particuliĂšres du dossier et sâexamine au cas par cas. Concernant le champ de protection, si le dĂ©faut dâusage est rendu vraisemblable pour un produit tandis que son usage nâest pas rendu vraisemblable, la radiation pour dĂ©faut dâusage doit-elle uniquement porter sur le produit en question ou peut-elle ĂȘtre Ă©tendue? Selon le confĂ©rencier, elle peut ĂȘtre Ă©tendue, mais avec retenue, conformĂ©ment Ă lâart. 35b al. 2 LPM. La radiation de tous les produits revendiquĂ©s quand le dĂ©faut dâusage a Ă©tĂ© rendu vraisemblable uniquement pour un produit nâest en principe pas admissible (cf. arrĂȘt B-2153/2020 «SWISSVOICE»). En outre, si lâon peut se dĂ©fendre contre une demande de radiation en ne contestant que la vraisemblance du dĂ©faut dâusage, allĂ©guer lâusage nâest pas suffisant: encore faut-il que lâusage de la marque soit rendu vraisemblable en lien avec lâensemble des produits et services revendiquĂ©s (cf. arrĂȘt B-605/2021 TRILLIUM). Dans le cadre de lâarrĂȘt B-2153/2020 «SWISSVOICE», le litige ne portait pas sur le dĂ©faut dâusage de la marque, mais sur son absence dâusage pour des produits de provenance suisse: car la marque avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e avec une liste de produits limitĂ©e Ă la provenance suisse. En lâespĂšce, lâIPI avait considĂ©rĂ© que la provenance indiquĂ©e sur lâemballage des produits, Ă savoir, «Made in China», rendait vraisemblable le dĂ©faut dâusage selon la provenance indiquĂ©e dans lâenregistrement. Yann Grandjean a, Ă cet Ă©gard, prĂ©cisĂ© que la loi Swissness rendait possible en thĂ©orie quâun produit soit Ă la fois «Made in China» et de provenance suisse, dans certaines circonstances oĂč les matiĂšres premiĂšres utilisĂ©es, provenant majoritairement de Chine, ne sont pas disponibles en quantitĂ© suffisante en Suisse et oĂč lâassemblage se fait en Suisse. Mais quand bien mĂȘme, les juges administratifs ont estimĂ© que la charge de la preuve pour dĂ©montrer la vraisemblance du «dĂ©faut de provenance» serait dĂ©raisonnablement trop lourde pour le requĂ©rant. LâIPI peut donc, lĂ©gitimement, se baser sur la provenance indiquĂ©e sur lâemballage des produits pour examiner la vraisemblance du dĂ©faut de provenance.
AprĂšs une courte pause, il fut temps dâaborder le thĂšme principal de ce sĂ©minaire: celui des enjeux du dĂ©veloppement rapide du marchĂ© des NFTs pour la propriĂ©tĂ© intellectuelle et, en particulier, le droit des marques. Ce thĂšme, sur lequel portaient les deux prĂ©sentations de Caroline Perriard et Yaniv Benhamou, a donnĂ© lieu Ă une discussion vive et intellectuellement trĂšs enrichissante.
La prĂ©sentation de Caroline Perriard, intitulĂ©e «NFTs et Smart Contracts ou JNFs et Contrats Intelligents», a offert Ă lâauditoire des clĂ©s de comprĂ©hension importantes sur lâunivers des NFTs. Caroline Perriard a commencĂ© par dĂ©finir ce quâest un NFT et un Smart Contract. «NFT» est lâacronyme de «non-fungible token», traduit par «jeton non-fongible» en français. Les NFTs sont des actifs numĂ©riques qui ne peuvent ĂȘtre dĂ©tenus que par une seule personne Ă la fois. Contrairement aux jetons des crypto-monnaies, qui existent par millions ou milliards dâexemplaires, les NFTs reprĂ©sentent un jeton numĂ©rique unique. Câest parce quâils sont uniques et non-substituables que les NFTs sont «non-fongibles». Le contrat intelligent ou «Smart Contract» est liĂ© au NFT car il permet de dĂ©finir comment les NFTs peuvent ĂȘtre exĂ©cutĂ©s. Ces contrats dĂ©terminent notamment les conditions de revente du NFT Ă de nouveaux propriĂ©taires par le biais, par exemple de places de marchĂ© NFT oĂč les NFTs sont mis aux enchĂšres. Le Smart Contract est un programme informatique autonome, exĂ©cutĂ© lorsque les conditions prĂ©dĂ©terminĂ©es sont remplies: les parties contractantes dĂ©terminent les conditions du contrat puis les traduisent en programme informatique. Fondamentalement, le code reprĂ©sente un certain nombre dâinstructions et de conditions qui dĂ©crivent les scĂ©narios possibles de futures transactions. La majoritĂ© des contrats intelligents sont rĂ©digĂ©s sur le protocole Ethereum oĂč les frais de transactions (dits gas fees) sont devenus importants en raison de son succĂšs.
Caroline Perriard a ensuite illustrĂ© les usages des NFTs au moyen dâexemples. Le premier Ă©tait celui dâune sociĂ©tĂ© de jeux qui utiliserait la technologie blockchain pour intĂ©grer les NFTs dans un jeu de cartes Ă collectionner numĂ©riques. Les cartes Ă collectionner NFT ainsi créées seraient uniques. Les joueurs pourraient sâaffronter dans des tournois en ligne Ă partir de ces cartes et les dĂ©veloppeurs pourraient utiliser les contrats intelligents pour rĂ©compenser les meilleurs joueurs avec des cartes Ă collectionner NFT en Ă©dition spĂ©ciale. Dans le domaine du jeu, on peut Ă©galement concevoir des NFTs de compagnie de type Tamagotchi mais |uniques qui grandissent si on en prend soin et dĂ©pĂ©rissent sinon. Le deuxiĂšme exemple consistait en lâusage des NFTs par les grandes entreprises pour reprĂ©senter les produits dans leurs chaĂźnes dâapprovisionnement, ce qui permet un suivi exact de leur emplacement sur la blockchain et une collecte fiable et rapide des donnĂ©es. Les donnĂ©es dâexpĂ©dition et de stockage peuvent ĂȘtre tĂ©lĂ©chargĂ©es sur la blockchain et les transferts de NFTs peuvent ĂȘtre exĂ©cutĂ©s automatiquement Ă lâaide de contrats intelligents. En outre, ces magasins peuvent rĂ©compenser les clients avec des NFTs lorsquâils achĂštent des produits spĂ©cifiques ou vice versa. Ă terme, on pourrait imaginer des rĂ©compenses basĂ©es sur les NFTs remplaçant les systĂšmes de fidĂ©lisation classiques de dĂ©taillants. Enfin, le troisiĂšme exemple prĂ©sentĂ© consistait dans les NFTs de type POAP (proof-of-attendance-protocole). Ces NFTs sont offerts aux participants Ă des Ă©vĂ©nements virtuels dans un mĂ©tavers, tel Decentraland: par exemple, une galerie dâart numĂ©rique peut vous rĂ©compenser de votre visite par un NFT gratuit prouvant votre visite.
Dans la partie suivante de son exposĂ©, Caroline Perriard a briĂšvement prĂ©sentĂ© comment lâon peut acheter des NFTs sur des plateformes dâĂ©change comme Binance, qui dispose de sa propre crypto-monnaie, Binance Coin «BNB». GrĂące Ă son systĂšme «BscScan», il est possible dâexplorer la Blockchain de Binance pour rechercher des transactions, des adresses, des jetons, des prix ou dâautres activitĂ©s ayant lieu sur la plateforme. Pour le marchĂ© dâĆuvres dâart virtuelles, le systĂšme fournit la preuve de lâidentitĂ© du crĂ©ateur: il est possible de visualiser son portefeuille, ce qui rend plus aisĂ© dâidentifier dâĂ©ventuelles tentatives de vols dâĆuvres dâart virtuelles. En outre, les artistes peuvent obtenir des royalties sur les ventes secondaires de leurs Ćuvres. Caroline Perriard a rappelĂ© quâil est bon de savoir quâen vendant une Ćuvre digitale identifiĂ©e au moyen dâun NFT, les crĂ©ateurs ne vendent pas forcĂ©ment lâĆuvre dâart elle-mĂȘme. Plus exactement, câest un actif sous forme de jeton reprĂ©sentant lâĆuvre dâart qui est vendue; ce qui signifie que le crĂ©ateur conserve en rĂ©alitĂ© les droits de propriĂ©tĂ© sur lâĆuvre elle-mĂȘme. Cette subtilitĂ© est souvent ignorĂ©e, mais il est important pour les crĂ©ateurs de bien la comprendre, car elle implique quâils conservent les droits de merchandising sur leurs crĂ©ations mĂȘme aprĂšs leur vente en tant que NFTs. Les artistes ont le choix, exprimĂ© dans le Smart Contract, dâinclure ou non les droits de propriĂ©tĂ© au moment de la vente dâun NFT. Caroline Perriard a encore expliquĂ© quâil est gĂ©nĂ©ralement plus aisĂ© dâacheter un bien virtuel identifiĂ© par un NFT que de le crĂ©er: en gĂ©nĂ©ral, il suffit de connecter son portefeuille Ă une place de marchĂ© NFT et de cliquer sur un bouton dâachat. Mais il est essentiel de le faire sur des places de marchĂ© NFT dignes de confiance. Car si vous connectez votre portefeuille Ă un site malveillant, vous risquez de leur donner la capacitĂ© de voler vos NFTs et votre capital en crypto-monnaie. Acheter des NFTs nâest pas le seul moyen dâen acquĂ©rir: comme indiquĂ© ci-dessus, il est par exemple possible dâen acquĂ©rir en jouant Ă des jeux, en interagissant dans le mĂ©tavers ou en participant Ă des Ă©vĂšnements virtuels dans Decentraland ou Sandbox.
Caroline Perriard a ensuite mis en valeur les avantages et inconvĂ©nients des Smart Contracts dans le domaine des droits dâauteur en prĂ©sentant le projet rĂ©alisĂ© par la musicienne Imogen Heap. En 2015, Heap a distribuĂ© sa nouvelle chanson «Tiny Human» comme test sur le site Mycenia qui utilise la Blockchain Ethereum. LâidĂ©e de dĂ©part Ă©tait quâattacher des Ćuvres musicales liĂ©es Ă des contrats intelligents sur le web devait permettre de payer immĂ©diatement les ayant-droit, les artistes, et ce sans intermĂ©diaire et quel que soit le service de streaming dans lequel le morceau est diffusĂ©. LâexpĂ©rience a toutefois suscitĂ© plus de buzz que de revenus. Il faut Ă©galement ajouter que le codage dans le contrat intelligent de concepts juridiques nĂ©cessitant une interprĂ©tation comme les exceptions ou le «fair use» apparait compliquĂ© techniquement et juridiquement.
Caroline Perriard a conclu son exposĂ© en Ă©voquant les risques potentiels en matiĂšre de PI que prĂ©sentent les NFTs. Il y a dâabord des risques liĂ©s aux contrats imparfaitement codĂ©s. Ă cet Ă©gard, elle a Ă©voquĂ© le hack dâEthereum de 2016, rendu possible par un contrat intelligent imparfaitement codĂ©, qui a permis aux hackers de dĂ©rober un montant en crypto-monnaie Ă©quivalent Ă 150 millions de dollars amĂ©ricains. Le fait que la redevance pour les ayant-droit soit rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e automatiquement ou le fait que le NFT soit liĂ© Ă une blockchain posent Ă©galement des problĂšmes: si la blockchain disparait, le NFT disparait Ă©galement. En outre, il existe de nombreuses questions ouvertes dans le domaine de la propriĂ©tĂ© intellectuelle concernant les droits de propriĂ©tĂ© de portefeuilles numĂ©riques, les diffĂ©rences de droit relatifs Ă lâobjet numĂ©rique et au jeton auquel il est associĂ© ou encore aux droits de crĂ©er les NFTs. Beaucoup reste donc encore Ă dĂ©velopper dans le domaine de la propriĂ©tĂ© intellectuelle relatif aux NFTs et aux contrats intelligents.
Il fut alors temps pour MaĂźtre Yaniv Benhamou, professeur Ă la FacultĂ© de droit/Digital Law Center (DLC) de lâUniversitĂ© de GenĂšve, de dĂ©mystifier les dĂ©fis liĂ©s aux NFTs tout en prĂ©sentant les opportunitĂ©s que ces technologies crĂ©ent pour les entreprises, notamment en lien avec leurs droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle.
Pour introduire sa prĂ©sentation, Yaniv Benhamou a soulignĂ© que lâintĂ©rĂȘt des NFTs est quâils crĂ©ent de nouveaux marchĂ©s en permettant de crĂ©er lâunique dans le domaine numĂ©rique. Si le phĂ©nomĂšne Ă©tait Ă la base artistique avec les NFTs dâart (p.ex. Cryptopunk en 2017 et Bored Ape Yacht Club en 2021), les marques ont pris le relais dans la perspective de sâĂ©tendre sur de nouveaux marchĂ©s avec lâĂ©quivalent de USD 9 milliards en transactions en 2022. En relation avec les marques, la problĂ©matique est de savoir dans quelle mesure la protection dâune marque traditionnelle enregistrĂ©e pour des services ou des biens physiques peut ĂȘtre Ă©tendue Ă un NFT ou, sinon, comment enregistrer une marque en relation avec un NFT. Yaniv Benhamou est alors revenu sur sa prĂ©sentation quâil avait donnĂ©e en 2018, conjointement avec Sevan Antreasyan, au sĂ©minaire IPI/LES de 2018 concernant lâapplication des marques aux biens numĂ©riques. Pour que lâauditoire se rende compte de lâengouement rĂ©cent pour les NFTs, il a prĂ©cisĂ© quâĂ lâĂ©poque les de|mandes dâenregistrement de marques dĂ©signant des «produits virtuels» se limitaient Ă quelques centaines, tandis quâil existe aujourdâhui 75'000 marques enregistrĂ©es pour dĂ©signer des «produits virtuels».â1 Mais il subsiste plusieurs dĂ©fis dâenvergure pour le droit des marques en lien avec les NFTs: la classification des produits virtuels et des NFTs dans la procĂ©dure dâenregistrement et lâexamen de lâusage et de la similaritĂ© pour lâexamen des motifs relatifs dâexclusion.
Concernant la classification, le problĂšme fondamental est quâil nâexiste pas de libellĂ©s spĂ©cifiques pour les produits virtuels et les NFTs, et pas non plus dâapproche harmonisĂ©e de leur classification. Ainsi, les offices nationaux, comme lâEUIPO et lâIPI, ont Ă©mis rĂ©cemment des communications considĂ©rant les NFTs comme des produits virtuels relevant de la classe 9, qui doivent ĂȘtre prĂ©cisĂ©s par une indication du produit virtuel concernĂ©, comme par exemple des «montres virtuelles» ou des «chaussures virtuelles» (cf. Ă ce propos la Newsletter no 2022/06 «Marques et designs» de lâIPI, disponible sous âčhttps://www.ige.ch/de/newsletter-2022/06-marques-et-designsâș). Mais la volontĂ© de tout catĂ©goriser en classe 9 ne reflĂšte pas la complexitĂ© des usages des NFTs et des marques qui y sont liĂ©es. Ă ce sujet, Yaniv Benhamou a donnĂ© lâexemple du titulaire Tiffany (joaillerie) qui a enregistrĂ© sa marque pour ses 250 NFTs (appelĂ©s des NFTiff) qui sont rĂ©servĂ©s aux dĂ©tenteurs des Cryptopunk créés en 2017 et leur permettent dâacquĂ©rir un pendentif (rĂ©el) imitant sur mesure le Cryptopunk (virtuel) de son dĂ©tenteur. Pour couvrir lâensemble des usages de ses NFTs, Tiffany a enregistrĂ© sa marque non seulement en relation avec des produits de la classe 9, mais Ă©galement avec des services en classes 35 et 41 (respectivement des services de vente en ligne et de divertissements en ligne).
Afin de rendre compte de ces diffĂ©rents usages, Yaniv Benhamou a proposĂ© une typologie des usages des NFTs, dont il a rappelĂ© la dĂ©finition, soit des jetons numĂ©riques uniques dĂ©ployĂ©s sur une blockchain et visant Ă certifier la propriĂ©tĂ© dâun bien matĂ©riel (par exemple, un tableau ou un bien immobilier) ou numĂ©rique (images numĂ©riques, collectibles, avatars). La premiĂšre catĂ©gorie dâusage concerne les produits. Pour une typologie, il propose de distinguer deux grandes catĂ©gories, selon que le NFT est associĂ© Ă un bien ou un service. La premiĂšre catĂ©gorie consiste en la reprĂ©sentation virtuelle dâun bien existant dans le monde physique («rĂ©plique dâun Ă©quivalent physique») ou la reprĂ©sentation virtuelle dâun bien virtuel sans Ă©quivalent dans le monde physique. La seconde catĂ©gorie concerne lâutilisation du NFT comme moyen dâaccĂšs Ă des services. Pour cette seconde catĂ©gorie dâusage, Yaniv Benhamou a mentionnĂ© deux exemples: celui de «Hennessy 8», qui donne accĂšs Ă des services commerciaux (de la classe 35) permettant dâobtenir des coffrets spĂ©ciaux de boissons alcoolisĂ©es Ă travers la vente dâun NFT sur Blockbar; et celui de Starbucks, dont la plateforme Odyssey permet Ă sa communautĂ© de fans dâacquĂ©rir des jetons de fidĂ©litĂ© avec des avantages. Sous lâangle du droit des marques, la question posĂ©e est de savoir si la protection de la marque traditionnelle (enregistrĂ©e au dĂ©part en relation avec des produits physiques) sâĂ©tend aux mondes virtuels, ou si des enregistrements spĂ©cifiques aux mondes virtuels sont nĂ©cessaires. Yaniv Benhamou a alors citĂ© deux affaires en cours qui devraient contribuer Ă clarifier cette question en lien avec la premiĂšre catĂ©gorie dâusage des NFTs. La premiĂšre affaire concerne Nike qui demande le retrait des NFTs en trois dimensions reprĂ©sentant virtuellement des Nike physiques sur StockX, tandis que StockX revendique que le NFT ne joue ici quâun rĂŽle de reprĂ©sentation graphique de la chaussure physique en vue de la revente de cette derniĂšre sur le marchĂ© secondaire; la deuxiĂšme affaire concerne HermĂšs qui demande le retrait de la vente de NFT de sacs purement virtuels (des «metaBirkins» inspirĂ©s mais pas identiques aux sacs Birkin HermĂšs), tandis que le crĂ©ateur digital (Mason Rothschild) revendique un usage loyal, artistique et transformatif.
Concernant la premiĂšre catĂ©gorie dâusage des NFTs, et en particulier les rĂ©pliques virtuelles de produits physiques, Yaniv Benhamou a mis en Ă©vidence la tendance actuelle Ă ne pas Ă©tendre la marque enregistrĂ©e pour des biens physiques aux biens virtuels et Ă catĂ©goriser plutĂŽt les «produits virtuels» selon leur nature, Ă savoir comme «Fichiers numĂ©riques tĂ©lĂ©chargeables, (cas Ă©chĂ©ant authentifiĂ©s par des NFTs)». Mais, selon lui, on aurait pu Ă©galement les ranger selon leur destination, dans la classe analogue aux biens physiques (dans ce cas, par exemple, les «chaussures virtuelles» seraient rangĂ©es en classe 25, avec les produits chaussants) ou bien comme des services de marketing en classe 35 (placement de produits dans les environnements virtuels), en classe 41 (pour des produits utilisĂ©s pour le divertissement) ou en classe 42 (comme logiciels en tant que services). Yaniv Benhamou a, Ă ce propos, Ă©galement rappelĂ© la proposition de formulation faite dans la thĂšse de Doctorat de Sevan Antreasyan et qui a Ă©tĂ© rappelĂ© lors de leur exposĂ© conjoint de 2018: «Biens virtuels [Ă©ventuellement «authentifiĂ©s par NFT»], Ă savoir [type Ă spĂ©cifier, par exemple. «vĂȘtements virtuels»]. Concernant la premiĂšre catĂ©gorie dâusage des NFTs, Yaniv Benhamou a encore distinguĂ© celui-ci du cas particulier dâun NFT qui nâest quâun certificat de vente ou une interface graphique pour garantir le transfert du bien physique. Lâexemple de ce dernier type dâusage est le cas du supermarchĂ© virtuel Wallmart, oĂč chaque produit virtuel nâest quâune interface graphique 3D reprĂ©sentant lâachat du produit physique: ici la marque «traditionnelle» (apposĂ©e sur les produits physiques) devrait sâĂ©tendre aux mondes virtuels, permettant ainsi au tiers de lâutiliser sur le marchĂ© secondaire, comme sâen dĂ©fend le distributeur StockX pour revendre des Nike. Yaniv Benhamou relĂšve toutefois que, dans certains cas, la valeur du NFT est telle (p.ex. NFTs Nike sur StockX) que lâon peut considĂ©rer quâelle est indĂ©pendante de la valeur du bien reprĂ©sentĂ©. Dans ce cas, lâapproche de NFT comme «simple interface graphique» pourrait difficilement ĂȘtre retenue.
|Concernant la seconde catĂ©gorie dâusage des NFTs en lien avec des marques pour des services, oĂč le NFT est utilisĂ© pour donner accĂšs Ă des services, on peut, selon Yaniv Benhamou, partir du principe que la notion de services est indĂ©pendante de lâenvironnement (virtuel ou non) dans lequel le service est proposĂ©. DĂšs lors, la protection du droit des marques en relation avec des services dans le monde physique devrait sâĂ©tendre aux services du mĂȘme type fournis dans les mondes virtuels, sans nĂ©cessitĂ© de nouveau dĂ©pĂŽt de la marque.
Yaniv Benhamou sâest ensuite tournĂ© vers les problĂ©matiques des moyens de preuve dâusage et de la similaritĂ© de la marque, lesquelles sont notamment pertinentes dans lâexamen du caractĂšre imposĂ© dâune marque, dans la procĂ©dure de radiation ou la procĂ©dure dâopposition. Lâexamen de lâusage sĂ©rieux dâune marque en relation avec des NFTs pose des problĂšmes particuliĂšrement dĂ©licats. La vraisemblance de lâusage sĂ©rieux possĂšde notamment une dimension Ă©conomique, avec des Ă©lĂ©ments de preuve concernant le chiffre dâaffaires gĂ©nĂ©rĂ© ou les moyens publicitaires engagĂ©s: le problĂšme qui se pose ici est que les NFTs sont parfois vendus gratuitement Ă la suite de leur crĂ©ation, pour ensuite ĂȘtre revendus sur les marchĂ©s secondaires pour des sommes pouvant atteindre des millions. Le CryptoPunk 4156, par exemple, mis Ă disposition gratuitement en 2017, a Ă©tĂ© revendu pour dix millions de dollars US. Le rapport entre lâusage et le chiffre dâaffaires est donc diffĂ©rent des marchĂ©s classiques. La dimension gĂ©ographique de lâexamen de lâusage, lâusage en Suisse, pose Ă©galement des problĂšmes Ă©tant donnĂ© que la blockchain, oĂč se trouve les NFTs, est une technologie dĂ©centralisĂ©e: la localisation de lâusage de la marque en lien avec des NFTs demande donc un traçage des transactions financiĂšres ou un accĂšs aux donnĂ©es dâusagers, ce qui pose des problĂšmes de confidentialitĂ© et de rĂ©glementation. Concernant la similaritĂ© entre les biens virtuels et les biens physiques ayant la mĂȘme fonction dans le monde physique (par exemple, un sac virtuel comme le Metabirkin et un sac rĂ©el comme le Birkin dâHermĂšs), elle sera difficilement admise en raison de la nature et de la classification diffĂ©rentes de ces produits. Mais, pour Yaniv Benhamou, ces produits sont au moins «substituables», lorsque le cercle de destinataire est semblable. Ceci est en tout cas le cas avec les produits Ă haute valeur (le Cryptop) et cette substituabilitĂ© pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une dimension de la similaritĂ© des produits.
Dans la derniĂšre partie de son exposĂ©, Yaniv Benhamou a mentionnĂ© les autres domaines du droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle concernĂ©s par le dĂ©veloppement des marchĂ©s des NFTs. Dans le domaine de la concurrence dĂ©loyale, qui permet de protĂ©ger le titulaire dâune marque contre des usages parasitaires de tiers, il a Ă©voquĂ© lâarrĂȘt Juventus, dans lequel le tribunal du commerce de Rome a sanctionnĂ© la plateforme Blockeras pour avoir vendu des NFTs associĂ©s au club de la Juventus et Ă son joueur Bobo Vieri, non seulement au motif de la violation du droit des marques mais Ă©galement au motif que le comportement de Blockeras a Ă©tĂ© jugĂ© dĂ©loyal: il faisait croire Ă lâexistence dâun lien officiel entre la plateforme et le club de la Juventus. Yaniv Benhamou est ensuite revenu sur un thĂšme dĂ©jĂ Ă©voquĂ© par Caroline Perriard, Ă savoir sur le fait que la vente de NFTs nâimplique pas le transfert des droits dâauteur. Concernant cet aspect du droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, il a mentionnĂ© le fait que le dernier Cryptopunk vendu (4156) lâa Ă©tĂ© pour plusieurs millions de dollars amĂ©ricains, sans transfert de droits dâauteur. Il a Ă©galement Ă©voquĂ© le litige opposant le cinĂ©aste Quentin Tarantino Ă la sociĂ©tĂ© de production Miramax, concernant des scĂšnes du film «Pulp Fiction» NFTs mintĂ©es par Tarantino sans lâaccord de Miramax. Dans cette affaire, le rĂ©alisateur a plaidĂ© quâil avait conservĂ© certains droits et quâil avait ajoutĂ© des commentaires audios aux scĂšnes NFTs. Yaniv Benhamou a alors relevĂ© que les incertitudes concernant les droits dâauteur en lien avec les NFTs conduisent de plus en plus de praticiens Ă inclure par prĂ©caution dans les nouveaux contrats de cession des clauses spĂ©cifiquement relatives aux NFTs, alors mĂȘme quâils ignorent sâil y aura crĂ©ation de NFT et donc si ces clauses seront pertinentes. Enfin, Yaniv Benhamou a mentionnĂ© les droits concernant les noms de domaines dĂ©centralisĂ©s, comme les noms de domaine dâEthereum.ENS (pour «Ethereum Name Services»), qui sont proposĂ©s sous forme de token NFT sur la plateforme Ethereum. Ces NFTs dâun nouveau type sâĂ©changent actuellement Ă prix dâor sur les marchĂ©s. Selon les derniers chiffres, 301'000 nouvelles demandes dâenregistrement de noms de domaine auraient Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es dans les mois prĂ©cĂ©dant le sĂ©minaire, en gĂ©nĂ©ral par des firmes dĂ©sireuses de se rĂ©server les noms de domaine les concernant (par exemple, la compagnie Puma a achetĂ© le nom de domaine «puma.eth» dĂ©but 2022). Juridiquement, en cas dâabus ou dâautres litiges relatifs Ă ces noms de domaine (par exemple, si un tiers enregistre «nike.eth» ou «LES.eth»), en raison de la nature des NFTs, il est trĂšs difficile de faire valoir ses droits car il est difficile de dĂ©terminer lâidentitĂ© de lâacheteur du nom de domaine et de mettre en Ćuvre des droits sur ces technologies dĂ©centralisĂ©es.
En conclusion de ce riche sĂ©minaire, Eric Meier a pu exprimer la position de lâIPI concernant les dĂ©fis posĂ©s par les NFTs dans le domaine du droit des marques. Il a soulignĂ© que lâIPI a pris pleine conscience des problĂ©matiques concernĂ©es: non seulement la classification des produits et services mais Ă©galement les motifs absolus dâexclusion, les questions dâusage et de similaritĂ©. Il a indiquĂ© que la pratique de lâIPI est en dĂ©veloppement sur ces questions dâactualitĂ© et que le comitĂ© dâexperts de lâUnion de Nice se rĂ©unira dĂ©but mai (du 1er au 5 mai 2023) Ă lâOMPI Ă GenĂšve pour discuter de la problĂ©matique de la classification des produits et services en lien avec les NFTs et les biens virtuels.
Fussnoten:
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Ces chiffres se basent sur les affirmations du confĂ©rencier et nâont pas Ă©tĂ© vĂ©rifiĂ©s par lâauteur du prĂ©sent rapport. |