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Berichte / Rapports

La Ligue internationale du droit de la concurrence (LIDC) tient chaque annĂ©e son congrĂšs annuel. Lors de ce congrĂšs, deux questions liĂ©es au droit de la concurrence, respectivement au droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et/ou au droit de la concurrence dĂ©loyale, ont Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©es. À l’issue du CongrĂšs, un rapport international approfondi sur chaque question est rĂ©digĂ© sur la base des rapports nationaux prĂ©parĂ©s en amont et des discussions qui ont lieu pendant le CongrĂšs. Le rapport international prĂ©sente les diffĂ©rences et les points communs entre les diffĂ©rents systĂšmes juridiques reprĂ©sentĂ©s lors du CongrĂšs. La prĂ©sente contribution rĂ©sume le rapport national suisse sur la Question B «Comment devons-nous aborder la question des emballages copiĂ©s?»

Die Internationale Liga fĂŒr Wettbewerbsrecht (LIDC) veranstaltet jedes Jahr ihren Jahreskongress. WĂ€hrend dieses Kongresses werden zwei Fragen im Zusammenhang mit dem Wettbewerbsrecht bzw. dem ImmaterialgĂŒterrecht und/oder dem unlauteren Wettbewerbsrecht untersucht. Am Ende des Kongresses wird auf der Grundlage der im Vorfeld vorbereiteten nationalen Berichte und der wĂ€hrend des Kongresses gefĂŒhrten Diskussionen ein umfassender internationaler Bericht zu jeder Frage erstellt. Der internationale Bericht stellt die Unterschiede und Gemeinsamkeiten der wĂ€hrend des Kongresses vertretenen Rechtssysteme dar. Der vorliegende Beitrag fasst den schweizerischen LĂ€nderbericht zur Frage B «Wie sollen wir mit kopierten Verpackungen umgehen?» zusammen.

Virginie Rodieux,

Avocate, LL.M (Nottingham), Lausanne.

Le CongrĂšs de la Ligue internationale du droit de la concurrence (LIDC) s’est tenu Ă  Londres du 7 au 9 novembre 2024. Le CongrĂšs avait cette annĂ©e pour thĂšme: «New Legal Order – Antitrust, IP and data regulation in a deglobalized world». La Suisse y Ă©tait reprĂ©sentĂ©e par l’Association suisse du droit de la concurrence (ASAS).

En tant que dĂ©lĂ©guĂ©e de l’ASAS, l’autrice de la prĂ©sente contribution a prĂ©parĂ© le rapport national suisse sur la question B dont le sujet Ă©tait: «Comment devons-nous aborder la question des emballages copiĂ©s?»

I. Question B en droit de la propriété intellectuelle et droit de la concurrence déloyale

Les propriĂ©taires de marques investissent massivement pour assurer Ă  leurs produits une place de premier plan sur le marchĂ© permettant Ă  ces produits de se dĂ©marquer de produits concurrents. Ils cherchent ensuite Ă  protĂ©ger ces investissements via le systĂšme de protection de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, en particulier de la protection des marques. Or, le caractĂšre distinctif d’un produit peut relever de la marque sous laquelle ce produit est commercialisé – que cette marque soit une marque verbale, figurative ou combinĂ©e – mais Ă©galement de la forme du produit ou de son emballage.​1 Se pose alors la question de savoir si le droit suisse |fournit une protection suffisante pour protĂ©ger l’apparences des produits contre la copie par des tiers.

En droit suisse, la question de la protection de l’apparence d’un produit (du conditionnement) («Austattung») a Ă©tĂ© abordĂ©e de longue date par la jurisprudence. Cette protection n’est cependant pas absolue mais dĂ©pend de la rĂ©union des conditions d’application du rĂ©gime lĂ©gal invoquĂ© (droit des marques, concurrence dĂ©loyale, droit d’auteur et droit du design).

1. En général

Le droit des marques et le droit de la concurrence dĂ©loyale sont destinĂ©s Ă  coexister. Les dispositions de la LCD ne sont pas subsidiaires aux dispositions de la LPM; chaque base lĂ©gale a son propre champ d’application.​2 Les dispositions de la LCD doivent cependant ĂȘtre interprĂ©tĂ©es et appliquĂ©es de maniĂšre Ă  maintenir la cohĂ©rence entre les rĂ©gimes juridiques. Il ressort donc de la jurisprudence un certain nombre de rĂšgles et principes communs au droit des marques et au droit de la concurrence dĂ©loyale.

Sous l’angle de ces deux droits, c’est l’impression gĂ©nĂ©rale de l’apparence du produit, respectivement de l’emballage, dans son ensemble qui est dĂ©terminante pour Ă©tablir le caractĂšre protĂ©geable ou non et, cas Ă©chĂ©ant, l’étendue de la protection. On comparera l’apparence des produits dans leur ensemble sans considĂ©rer individuellement chaque Ă©lĂ©ment qui les compose. Lorsque l’apparence d’un produit est composĂ©e d’élĂ©ments verbaux et figuratifs, une attention Ă©gale est accordĂ©e Ă  tous ces Ă©lĂ©ments sans qu’une catĂ©gorie d’élĂ©ments soit reconnue en principe comme plus importante. Ces sont les Ă©lĂ©ments distinctifs quelle que soit leur nature qui dĂ©terminent l’impression gĂ©nĂ©rale de l’apparence d’un produit. Dans l’affaire Lindt/Lidl, le Tribunal fĂ©dĂ©ral a jugĂ© que dans le contexte des produits alimentaires, on ne pouvait pas prĂ©sumer que le choix d’un consommateur d’une attention moyenne se fonderait uniquement sur la lecture de l’étiquette apposĂ©es sur le produit mais que les consommateurs sĂ©lectionnent les produits familiers en se basant principalement sur leur forme et autres caractĂ©ristiques essentielles sans attention particuliĂšre Ă  l’étiquette.​3

Tant le droit des marques que le droit de la concurrence dĂ©loyale reconnaissent un risque de confusion aussi bien en cas de confusion directe qu’en cas de confusion indirecte. Ainsi, un risque de confusion (indirecte) peut Ă©galement exister lorsque le public est tout Ă  fait en mesure de distinguer les deux signes, mais Ă©tablit des rapprochements erronĂ©s sur la base de leur similitude, p.ex. en concluant Ă  tort Ă  l’existence de marques de sĂ©rie qui caractĂ©riseraient diffĂ©rentes lignes de produits de la mĂȘme entreprise ou d’entreprises Ă©conomiquement liĂ©es entre elles. En outre, un risque de confusion peut Ă©galement dĂ©couler du fait que la marque postĂ©rieure vĂ©hicule sans Ă©quivoque un message du genre «en remplacement de» ou «aussi bon que».​4

Le public cible est un facteur pertinent dans l’apprĂ©ciation du risque de confusion. Pour les produits de grande consommation, tel que les produits alimentaires, il faut s’attendre Ă  une attention et capacitĂ© de diffĂ©renciation moindres de la part des consommateurs en comparaison des produits spĂ©cialisĂ©s dont le marchĂ© est limitĂ© Ă  un cercle plus ou moins limitĂ© de professionnels. Cependant, ce qui est dĂ©cisif c’est le public cible et non pas le positionnement du produit sur le marchĂ©.​5

MĂȘme si la notion de risque de confusion est la mĂȘme en droit des marques et en droit de la concurrence, cela n’empĂȘche pas une Ă©valuation diffĂ©rente des circonstances. En droit des marques, c’est l’apparence du produit tel qu’il est enregistrĂ© comme marque qui sera dĂ©terminante tandis qu’en droit de la concurrence c’est sa prĂ©sentation gĂ©nĂ©rale qui est dĂ©cisive. Pour Ă©valuer le risque de confusion, on comparera les signes (apparences des produits) en tenant compte, en droit des marques, des circonstances gĂ©nĂ©rales dans lesquelles les consommateurs perçoivent les signes (apparences des produits) en question et comment ils s’en souviennent sans tenir compte d’élĂ©ments extĂ©rieurs comme par exemple le comportement prĂ©tendument dĂ©loyal du concurrent.​6 En droit de la concurrence, l’examen s’étend aux Ă©lĂ©ments extĂ©rieurs qui permettent Ă  un consommateur moyen de distinguer des produits. Une Ă©tiquette apposĂ©e sur le produit ou son emballage pourrait, si elle n’est pas immĂ©diatement ĂŽtĂ©e du produit avant utilisation, permettre de distinguer un produit.​7

2. Droit des marques

La protection Ă  titre de marque de la forme d’un produit ou de son emballage est soumise aux mĂȘmes exigences que la protection d’une marque tridimensionnelle; la forme en question doit principalement identifier l’origine commerciale d’un produit. L’apparence d’un produit n’est pas considĂ©rĂ©e comme suffisamment distinctive sous l’angle du droit des marques du seul fait que la presentation est diffĂ©rente. Encore faut-il que les Ă©lĂ©ments frappants et caractĂ©ristiques de l’apparence du produit remplissent la fonction d’indication d’origine. Or, pour ĂȘtre perçue comme indication d’origine, l’apparence d’un produit doit se distinguer clairement des formes usuelles sur le marchĂ© au moment de l’examen de la marque.​8 L’exigence de caractĂšre distinctif est plus Ă©levĂ©e pour les marques de forme car celles-ci sont plus souvent confondues avec l’apparence du produit dans l’esprit du public.​9 C’est le lieu de relever que la nouveautĂ© et l’originalitĂ© selon le droit du design ne sont pas des critĂšres dĂ©|terminants pour l’éligibilitĂ© de la protection d’une forme par le droit des marques.

Une forme qui consistue la nature mĂȘme du produit ne pourra par ailleurs pas ĂȘtre protĂ©gĂ©e Ă  titre de marque car il existe un besoin absolu de libre disposition de cette forme laquelle ne peut donc pas ĂȘtre monopolisĂ©e par un concurrent.​10 Une forme est techniquement nĂ©cessaire lorsqu’il s’agit du seul moyen de rĂ©aliser le produit ou l’emballage avec les fonctionnalitĂ©s souhaitĂ©es ou si une autre option existe mais que celle-ci implique une exĂ©cution moins commode, moins rĂ©sistante ou plus onĂ©reuse.​11

3. Droit de la concurrence déloyale

Le droit suisse reconnaĂźt le droit de la concurrence dĂ©loyale comme motif de protection de l’apparence d’un produit, Ă©tant toutefois rappelĂ© que l’objectif principal de la LCD reste la garantie d’une concurrence loyale plutĂŽt que la protection de l’apparence d’un produit.

La protection de l’apparence d’un produit peut relever de l’article 3 al. 1 let. d LCD (risque de confusion) mais aussi de l’article 3 al. 1 let. e LCD (comparaison parasitaire). La crĂ©ation d’un risque de confusion avec l’apparence d’un produit d’un concurrent sanctionnĂ© par l’article 3 al. 1 let. d LCD prĂ©suppose que l’apparence du produit prĂ©sente un caractĂšre suffisamment distinctif, sans quoi peu importe le risque de confusion. L’article 3 al. 1 let. e LCD peut, quant Ă  lui, s’appliquer mĂȘme en l’absence de risque de confusion lorsque l’apparence d’un produit est similaire Ă  l’apparence d’un produit concurrent dans une mesure telle que le produit copieur bĂ©nĂ©ficie ainsi de l’image favorable du produit tiers.​12 Ce sera notamment le cas lorsque la similitude entre les apparences respectives des produits est telle qu’elle suscite auprĂšs du public une association avec le produit copiĂ© et Ă©voque un message du type «produit de remplacement pour» ou «aussi bien que». Dans ce cas, pour que la protection de la LCD s’applique, encore faut-il que la comparaison parasitaire soit dĂ©loyale, en d’autres termes la similitude de l’apparence des produits ne doit pas ĂȘtre nĂ©cessaire, Ă  savoir ne pas se justifier par un besoin d’information du public sur une ou des caractĂ©ristiques du produit ou rĂ©sulter de la reprise d’élĂ©ments techniquement nĂ©cessaires et requis par la finalitĂ© du produit.​13 A contrario, dans l’affaire Maltesers/Kit Kat, le Tribunal fĂ©dĂ©ral a niĂ© tout risque de confusion entre les emballages respectifs des produits au motif que les dĂ©signations «Maltesers» respectivement «Kit Kat Choc Pop» qui apparaissaient de maniĂšre prĂ©dominante sur les emballages, Ă©taient suffisamment fantaisistes pour s’inscrire dans la mĂ©moire des consommateurs et apportaient donc Ă  chaque emballage un caractĂšre distinctif propre.​14

Les qualitĂ©s respectives des produits en cause peuvent, dans certaines circonstances, ĂȘtre prises en considĂ©ration dans le contexte d’un transfert d’image jugĂ© dĂ©loyal. En effet, un transfert d’image n’est a priori envisageable que dans des circonstances oĂč le produit copieur est reconnu de moins bonne qualitĂ© que le produit copiĂ©. Parce qu’il est de moins bonne qualitĂ©, le produit copieur se pare des vertus du produit copiĂ© de sorte que l’on peut imputer au copieur l’intention d’exploiter Ă  son profit l’image du produit copiĂ©.​15

4. Droit du design et droit d’auteur

Le droit du design peut Ă©galement servir Ă  protĂ©ger l’apparence du produit lorsque l’apparence copiĂ©e a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e comme design protĂ©gĂ© au sens de LDes. Pour dĂ©terminer si un design est violĂ©, on se basera sur l’impression d’ensemble sur le public cible. La preuve de diffĂ©rences portant sur des dĂ©tails n’est pas dĂ©terminante.​16

Enfin, l’apparence d’un produit peut bĂ©nĂ©ficier de la protection du droit d’auteur si les exigences d’individualitĂ© et d’originalitĂ© sont rĂ©unies.

Dans son rapport national, l’autrice prĂ©sente quelques exemples tirĂ©s de la jurisprudence dans lequel la protection de l’apparence d’un produit sous l’angle du droit du design, respectivement du droit d’auteur a Ă©tĂ© abordĂ©e.

Fussnoten:
1

La dĂ©nomination «apparence d’un produit» sera utilisĂ©e ci-aprĂšs pour dĂ©signer tant l’apparence d’un produit lui-mĂȘme que de l’emballage d’un produit.

2

ATF 135 III 446 ss, «Maltesers/Kit Kat Pop Choc II».

3

ATF 148 III 409 ss, «Goldhase II».

4

ATF 126 III 315 ss, «Rivella/Apiella III».

5

ATF 148 III 409 ss, «Goldhase II»; Handelsgericht Argovie, sic! 2018, 423, «Getreideriegel».

6

TAF du 17 août 2012, B-5120/2011.

7

TF du 8 septembre 2004, 4C.169/2004, «Limmi II».

8

TF du 6 janvier 2020, 4A_483/2019.

9

ATF 134 III 547 ss.

10

Article 28 let. b LPM; ATF 129 III 514 ss.

11

ATF 131 III 121 ss, «Smarties (3D)/M&Ms (3D)».

12

ATF 135 III 446 ss, «Maltesers/Kit Kat Pop Choc II».

13

ATF 148 III 409 ss, «Goldhase II».

14

ATF 135 III 446, «Maltesers/Kit Kat Pop Choc II».

15

TF du 8 février 2007, 4A_467/2007 et 4A_469/2007.

16

ATF 130 III 636.