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Berichte / Rapports

LES-IPI, 8 novembre 2018, GenĂšve

Laurent Muhlstein​*

Le 8 novembre 2018 s’est tenue la 16e édition du sĂ©minaire annuel organisĂ© conjointement par le Licensing Executive Society et l’Institut fĂ©dĂ©ral de la propriĂ©tĂ© intellectuelle, ayant pour thĂšme les « DĂ©veloppements rĂ©cents en droit des marques ».

Le sĂ©minaire a dĂ©butĂ© par la prĂ©sentation d’Agnieszka Taberska, greffiĂšre au Tribunal administratif fĂ©dĂ©ral. Cette derniĂšre a prĂ©sentĂ© la jurisprudence du TAF en matiĂšre de procĂ©dure d’enregistrement et d’opposition.

I. ProcĂ©dure d’enregistrement

La question des formes et emballages a Ă©tĂ© traitĂ©e par le TAF notamment dans deux arrĂȘts (B-7547/2015, « Flacon de parfum » et B-1722/2016, « Confiserie »). Dans la premiĂšre dĂ©cision, le TAF a admis l’appartenance du signe au domaine public, considĂ©rant la prĂ©sence d’une grande diversitĂ© de formes. Il est donc nĂ©cessaire que ces derniĂšres se distinguent, ce qui n’est pas le cas en l’espĂšce. Enfin, l’élĂ©ment bidimensionnel en forme de carrĂ© ne confĂšre pas de caractĂšre distinctif au signe. Dans la seconde dĂ©cision, le signe bidimensionnel est limitĂ© Ă  la reproduction simple de l’emballage en question. Le TAF rappelle que l’examen s’opĂšre selon les mĂȘmes critĂšres que les signes tridimensionnels ; en l’espĂšce, le signe ne se distingue pas assez des formes usuelles des produits de la confiserie (les bords dentelĂ©s sont en effet habituels). En outre, l’élĂ©ment graphique blanc renvoie au lait, qui est relativement banal, car descriptif.

Dans un arrĂȘt B-6304/2016 attaquĂ© devant le TF, le TAF s’est ensuite demandĂ© si l’élĂ©ment verbal « Apple » renvoyait aux formes usuelles et aux conditionnements des produits et appartenait de ce fait au domaine public. Tel est bien le cas pour des bijoux, jeux, jouets ; le signe a en revanche Ă©tĂ© admis Ă  l’enregistrement pour d’autres produits (sculptures, mĂ©daillons, Ă©pingles de cravate), car la forme de la pomme n’est pas usuelle ou caractĂ©ristique de ces produits. Cette mĂȘme question s’est posĂ©e dans l’arrĂȘt B-7402/2016, « Knot » : le TAF a estimĂ© que ce signe appartient au vocabulaire de base anglais (nƓud, ruban) pour le public cible (composĂ© du grand public) et qu’il ne renvoie pas Ă  une forme (prĂ©cisĂ©ment un nƓud) ou un conditionnement usuel (savons en cl. 3, Ă©tuis pour tĂ©lĂ©phones portables ou ordinateurs portables, cl. 9), admettant ainsi partiellement le recours. Le TAF a cependant confirmĂ© le refus d’enregistrement de l’IPI pour les autres produits (vĂȘtements, bijoux, chaussures, articles en cuir et en mĂ©taux prĂ©cieux), considĂ©rant que le nƓud Ă©tait une forme frĂ©quemment utilisĂ©e pour ces derniers (cl. 25) ou qui pouvait l’ĂȘtre (cl. 14 et 18).

Le TAF a Ă©galement statuĂ© sur des recours en matiĂšre d’indications de provenance. Dans un arrĂȘt B-8069/2016 « Flame » dĂ©signant des informations mĂ©dicales, il a Ă©tĂ© jugĂ© que le cercle des consommateurs se compose des professionnels du domaine mĂ©dical au bĂ©nĂ©fice de connaissances accrues de l’anglais. Ainsi, pour des services de la classe 44, l’anglais est la langue dominante dans le domaine de l’industrie pharmaceutique. Ainsi, la comprĂ©hension premiĂšre du signe « Flame » par le public cible provient de cette langue et ne signifie pas « Flamand ». En outre, ce signe dĂ©signerait un habitant des Flandres et non un nom gĂ©ographique. Le signe peut donc ĂȘtre admis Ă  la protection sans limitation gĂ©ographique Ă  la provenance de Flandre, car il n’y a pas de risque de tromperie relative Ă  l’origine des services. Dans l’arrĂȘt B-4532/2017, « Hamilton », il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© par le TAF que le signe, visant un grand nombre de produits et de services, Ă©tait compris comme un patronyme (celui du pilote de formule 1 Lewis Hamilton). En outre, les villes citĂ©es par l’IPI (notamment au Canada) sont trop petites, ne peuvent pas ĂȘtre |atteintes depuis la Suisse par des liaisons aĂ©riennes directes et ne sont pas des lieux touristiques. Le signe n’est donc pas compris comme une indication gĂ©ographique, mais comme un patronyme. Il n’existe par ailleurs pas de besoin de disposition sur ce signe, qui peut de ce fait ĂȘtre admis Ă  l’enregistrement.

Taberska a Ă©galement Ă©voquĂ© l’arrĂȘt B-446/2017 relatif au signe « ADB (fig.) », que l’IPI a refusĂ© de protĂ©ger au motif que le sigle ADB (Asian Development Bank) Ă©tait protĂ©gĂ© par la loi fĂ©dĂ©rale concernant la protection des noms et emblĂšmes de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations intergouvernementales. Il est Ă  noter qu’une marque antĂ©rieure avait Ă©tĂ© radiĂ©e par la recourante. Le TAF a ajoutĂ© que le droit de poursuivre l’usage antĂ©rieur du signe, invoquĂ© par la recourante, ne primait pas celui des organisations internationales. En outre, la recourante aurait pu faire prolonger sa premiĂšre marque, ce qu’elle n’a pas fait. Un recours a Ă©tĂ© formĂ© devant le TF et ce dernier a confirmĂ© la dĂ©cision du TAF par arrĂȘt du 3 janvier 2019 (4A_489/2018).

Dans un arrĂȘt B-850/2016, « Swiss Military », la ConfĂ©dĂ©ration suisse a fait enregistrer le signe « Swiss Military » pour des montres (MS 640 600). Une opposition a Ă©tĂ© formĂ©e par le titulaire d’une marque antĂ©rieure identique (MS 426 567) ; le dĂ©faut d’usage a alors Ă©tĂ© invoquĂ© par l’opposante. L’IPI a admis la vraisemblance de l’usage et l’opposition, considĂ©rant que l’usage ne devait pas nĂ©cessairement ĂȘtre conforme au droit pour ĂȘtre admis. Sur recours, le TAF estime que le signe litigieux est protĂ©gĂ© par la LPAP, de sorte que son usage est illicite et ne peut ĂȘtre pris en considĂ©ration. En outre, il ne peut y avoir de changement de signification (secondary meaning) sur la base de piĂšces servant uniquement Ă  prouver (ou Ă  rendre vraisemblable) l’usage d’un signe pour les produits. Par ailleurs, la question de l’usage de la marque vaut inter partes et non erga omnes, de sorte que l’illicĂ©itĂ© de la marque n’est pas pertinente. À ce titre, le TAF a rappelĂ© que la pĂ©remption du droit d’agir Ă©tait un moyen de droit civil qui n’était pas invocable dans une procĂ©dure d’opposition. Le TAF a admis l’usage de la marque, tout en jugeant que l’illicĂ©itĂ© de la marque devait ĂȘtre pris en considĂ©ration dans l’examen du champ de protection de la marque opposante. Ce dernier Ă©tant nul en raison de l’illicĂ©itĂ© de la marque, celle-ci a Ă©tĂ© enregistrĂ©e Ă  titre purement thĂ©orique. En d’autres termes, le monopole du droit Ă  la marque n’est pas un droit acquis ; il n’y a donc pas d’atteinte Ă  la garantie de la propriĂ©tĂ© en cas de radiation d’une marque.

Dans un arrĂȘt B-2791/2016, le TAF a Ă©galement estimĂ© que le signe « WingTsun » (dĂ©signant des vĂȘtements, articles de sport, activitĂ©s sportives), qui dĂ©crit un style d’arts martiaux chinois, n’était pas perçu comme tel par la majoritĂ© des consommateurs, mais qu’il y avait un besoin de disponibilitĂ© pour les autres fournisseurs pour ce signe ; il ne s’agit certes pas d’un signe descriptif d’un sport de combat aux yeux de la majoritĂ© des consommateurs (Ă  savoir du grand public), mais le signe ne permet aucune alternative pour les concurrents et ne constitue pas de monopole de droit ni de fait (contrairement au signe « Royal Bank of Scotland »). L’enregistrement a de ce fait Ă©tĂ© refusĂ©.

Le signe « Norma » (fig.) a Ă©tĂ© acceptĂ© Ă  l’enregistrement (arrĂȘt B-2102/2016), l’élĂ©ment graphique influençant de maniĂšre essentielle l’impression d’ensemble et confĂ©rant au signe un certain caractĂšre distinctif. En effet, ce signe est compris comme « norme » en italien et comme un prĂ©nom fĂ©minin ; il y a par ailleurs une attente du consommateur relative aux normes pour les produits (cf. ATAF B-2687/2011, « Norma »). En revanche, la combinaison de couleurs (blanc, orange, rouge et jaune) permet d’admettre le caractĂšre distinctif du signe.

II. ProcĂ©dure d’opposition

Dans un arrĂȘt B-3706/2016, « Pupa » (cosmĂ©tiques, sacs, vĂȘtements) « c. Fashionpupa » (cosmĂ©tiques, vente par correspondance, soins de beautĂ©), le TAF a relevĂ© que la marque antĂ©rieure « Pupa » Ă©tait faiblement distinctive et avait Ă©tĂ© enregistrĂ©e comme marque imposĂ©e en 2014 (aprĂšs avoir Ă©tĂ© refusĂ©e en 2008). De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, une marque imposĂ©e reste valable jusqu’à vraisemblance (en procĂ©dure d’opposition) du contraire. Il n’est donc pas nĂ©cessaire de prouver l’imposition lors de chaque litige (in casu : dĂ©faut postĂ©rieur d’imposition du signe pas rendu vraisemblable par la dĂ©fenderesse). Le champ de protection d’une telle marque n’a pas Ă  ĂȘtre dĂ©montrĂ© dans chaque procĂ©dure d’opposition (charge cependant Ă  la partie dĂ©fenderesse de prouver la non-imposition). Il n’y a pas de rĂšgle gĂ©nĂ©rale : il faut examiner la question au cas par cas. En l’espĂšce, le champ de protection de la marque antĂ©rieure est normal, car il n’y a pas de preuve que la marque est trĂšs connue. Le recours a donc Ă©tĂ© partiellement admis. Sur question, Taberska prĂ©cise qu’une marque imposĂ©e peut avoir un champ de protection faible ; cela dĂ©pend du cas concret. Il y a par ailleurs des nuances dans la faiblesse d’une marque, respectivement la force distinctive d’une marque.

Dans un arrĂȘt B-7768/2015, « Capsa / Cupsy (fig.) », pour des cafetiĂšres et du cafĂ©, le TAF a niĂ© le risque de confusion, car « Capsa » fait allusion Ă  une capsule (trĂšs descriptif pour du cafĂ©). Le champ de protection de cette marque est donc faible et les Ă©lĂ©ments figuratifs de la marque adverse suffisent Ă  nier le risque de confusion. En outre, le TAF a estimĂ© que la vente de plus de 150 000 capsules Capsa hors du groupe |de sociĂ©tĂ©s de l’opposante permettait d’admettre la vraisemblance de l’usage de la marque. Enfin, toujours s’agissant de l’usage, le cafĂ© en capsules est en l’espĂšce l’« Oberbegriff », de sorte que l’usage pour le cafĂ© en capsules vaut usage pour tout l’« Oberbegriff » (Ă  savoir « Kaffee, Tee, Kakao, Zucker, Kaffee-Ersatzmittel, KaffeegetrĂ€nke »).

AprĂšs l’étude des principaux arrĂȘts rendus par le TAF, M. Eric Meier, vice-directeur et chef de la division des marques Ă  l’IPI, a prĂ©sentĂ© les changements des directives en matiĂšre de marques Ă  compter du 1er janvier 2019 : Ă©volution de la pratique, expĂ©riences faites depuis l’entrĂ©e en vigueur des modifications lĂ©gislatives le 1er janvier 2017 (projet Swissness) et prise en compte de la jurisprudence.

III. RĂ©vision des directives en matiĂšre de marques de l’IPI

Eric Meier fournit tout d’abord quelques donnĂ©es chiffrĂ©es : augmentation du nombre de demandes de marques suisses de 5 % depuis plusieurs mois (niveau comparable Ă  2007/2008) et de 60 % en 20 ans. Le nombre des enregistrements internationaux dĂ©signant la Suisse augmente aussi. S’agissant des radiations pour dĂ©faut d’usage, 84 demandes ont Ă©tĂ© dĂ©posĂ©es et 35 dĂ©cisions rendues (28 formelles, 7 matĂ©rielles) depuis le 1er janvier 2017. La longueur de l’instruction est causĂ©e par la notification des dĂ©cisions Ă  l’étranger et la pratique de l’IPI en matiĂšre de dĂ©lais.

Le projet des directives rĂ©visĂ©es vise Ă  actualiser les directives (pratique IPI et jurisprudence TAF et TF) et Ă  les comparer Ă  celles de l’EUIPO (y a-t-il des diffĂ©rences justifiĂ©es avec les directives de l’IPI ? une harmonisation est-elle envisageable et opportune ?). Des prĂ©cisions et des modifications de la pratique de l’IPI seront Ă©galement intĂ©grĂ©es. S’agissant de la partie gĂ©nĂ©rale, les dĂ©lais accordĂ©s aux parties dans la procĂ©dure d’opposition et la procĂ©dure de radiation pour dĂ©faut d’usage seront rĂ©duits de deux Ă  un mois (dans des cas particuliers, p. ex. lorsqu’il est difficile d’obtenir des preuves d’usage parce que le titulaire est Ă  l’étranger, une troisiĂšme prolongation de dĂ©lai sera accordĂ©e sans l’accord de la partie adverse).

Par ailleurs, les directives reprendront le changement de pratique communiquĂ© en avril 2018 par newsletter : la rĂ©duction du nombre d’échange d’écritures dans la procĂ©dure d’enregistrement des marques suisses. L’IPI n’octroie le droit de s’exprimer qu’une fois sur les motifs de refus invoquĂ©s par rapport Ă  une demande d’enregistrement de marque suisse ; deux seuls cas justifient une exception : la qualitĂ© de la premiĂšre notification de l’IPI est insuffisante ou le dĂ©posant fait valoir de nouveaux motifs pertinents ou moyens de preuve ou modifie sa demande (signe, liste des produits/services, invocation de l’imposition du signe) et l’IPI estime qu’il faut refuser l’enregistrement. Cette pratique ne vaut pas pour les enregistrements internationaux pour des motifs d’efficacitĂ© et de ressources humaines. La premiĂšre notification de refus reste simple et peu argumentĂ©e et il est toujours possible de contacter l’examinateur pour discuter du cas d’espĂšce.

S’agissant de la procĂ©dure d’enregistrement, plus spĂ©cifiquement de la liste des produits et des services, l’IPI prendra en compte le numĂ©ro de la classe pour les services Ă©galement et refusera les rĂ©fĂ©rences Ă  d’autres classes qui Ă©vitent de dĂ©crire dans la liste de quels produits il s’agit. Cela permettra une harmonisation avec la pratique de l’OMPI et de l’EUIPO. Dans l’examen matĂ©riel des marques, l’IPI ne modifie pas ses directives s’agissant des indications verbales relatives Ă  la forme ou au conditionnement et des dĂ©signations de couleurs jusqu’à droit jugĂ© par le TF.

L’IPI relĂšve l’absence de jurisprudence en Suisse relative Ă  la combinaison de lettres avec des Ă©lĂ©ments verbaux descriptifs. Il rappelle qu’il faut prendre en compte l’impression d’ensemble de façon similaire Ă  la pratique Ă©voquĂ©e dans l’arrĂȘt TAF B-2768/2013, consid. 3.2, « SC Studio Coletti (fig.) ». Ainsi, il est prĂ©vu de refuser, comme en droit communautaire, ces combinaisons lorsque la suite de lettres est uniquement comprise comme un acronyme des Ă©lĂ©ments verbaux. Le chapitre 8 relatif aux indications de provenance a Ă©tĂ© retravaillĂ© pour tenir compte de l’évolution de la jurisprudence et l’IPI sera moins sĂ©vĂšre dans certains domaines. L’absence de rĂ©putation ne constitue plus une condition pour admettre une exception Ă  la rĂšgle d’expĂ©rience (cf. notamment l’arrĂȘt TAF B-1428/2016 consid. 62, « Deutscher Fussball-Bund [fig.]) ») ; par ailleurs, une limitation Ă©troite est uniquement nĂ©cessaire pour les indications gĂ©ographiques protĂ©gĂ©es par une lĂ©gislation spĂ©ciale ou un accord international. Pour ce qui est des noms gĂ©ographiques inconnus, les directives vont prĂ©ciser les critĂšres et intĂ©grer la jurisprudence rĂ©cente.

En matiĂšre d’opposition, un schĂ©ma relatif Ă  l’usage partiel (usage dĂ©montrĂ© pour un ou quelques produits ou services enregistrĂ©s) sera ajoutĂ©. Pour ce qui est de la procĂ©dure de radiation pour dĂ©faut d’usage, les directives prĂ©ciseront les moyens de preuve Ă  disposition des parties, Ă  savoir rapports de recherches d’usage Ă©tabli par une sociĂ©tĂ© tierce, confirmation de l’usage par une association faitiĂšre, extrait du registre du commerce (en lien avec d’autres moyens de preuve) et extrait de recherches sur internet. M. Meier renvoie aux premiĂšres dĂ©cisions matĂ©rielles sur le site de l’IPI (notamment la dĂ©cision nÂș 100 028), mais il relĂšve qu’elles ne sont pas encore intĂ©grĂ©es dans l’aide Ă©lectronique Ă  l’examen.

Ces directives révisées sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019 et sont applicables à toutes les procédures pendantes.

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Arnaud Folliard-Monguiral, chef d’équipe « Contentieux PI » au sein du dĂ©partement des affaires juridiques de l’EUIPO, expose les arrĂȘts topiques en matiĂšre de marques et de dessins et modĂšles de la Cour de justice et du Tribunal de l’Union europĂ©enne.

IV. Tour d’horizon de la jurisprudence communautaire

Sur motifs absolus de nullitĂ©, Folliard-Monguiral expose tout d’abord l’arrĂȘt C-371/18, « Sky plc v Skykick UK Limited » (affaire pendante) relatif Ă  l’exigence de clartĂ© et de prĂ©cision du libellĂ©. Une action reconventionnelle a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e pour faire constater la nullitĂ© des marques de « Sky plc » en raison de la supposĂ©e imprĂ©cision du libellĂ© de certains produits/services. Il a Ă©tĂ© jugĂ© que « matĂ©riel pour les artistes » Ă©tait trop imprĂ©cis (Trib. UE T-533/17, « Nuuna / Nanu-Nana », par. 58 ss) ; qu’en est-il du terme « logiciel » ? Il serait vraisemblablement acceptĂ©, car il s’agit d’une unitĂ© de nature pour les produits en question (malgrĂ© les destinations et les applications diverses des logiciels). Toujours dans cette dĂ©cision, faut-il considĂ©rer qu’un dĂ©pĂŽt de marque sans volontĂ© de l’utiliser constitue un dĂ©pĂŽt de mauvaise foi ? En outre, en cas de mauvaise foi admise, la marque doit-elle ĂȘtre annulĂ©e pour tous les produits/services ou seulement pour certains d’entre eux ?

S’agissant Ă  prĂ©sent des signes descriptifs, la Cour de justice a considĂ©rĂ© dans l’arrĂȘt C-488/16 « Bundesverband Souvenir – Geschenke – Ehrenpreise e.V. » (« Neuschwanstein ») que le terme « Neuschwanstein » n’était pas un lieu gĂ©ographique, quoique gĂ©ographiquement localisable, et que ce lieu de vente n’était pas susceptible de dĂ©signer des caractĂ©ristiques, qualitĂ©s ou particularitĂ©s propres liĂ©es Ă  l’origine gĂ©ographique des produits, telles qu’un artisanat, une tradition ou un climat qui caractĂ©risent un lieu dĂ©terminĂ©. Dans l’arrĂȘt T-869/16, « Swissgear », le Tribunal a rappelĂ© qu’il n’existait pas de tradition helvĂ©tique en matiĂšre de vĂ©hicules ; le nom du pays indique en soi la provenance gĂ©ographique de maniĂšre gĂ©nĂ©rale pour l’ensemble des produits en cause et, en particulier, pour les diffĂ©rentes catĂ©gories de produits en cause relevant des classes 9, 12, 14, 16, 18 et 25. Il est renvoyĂ© Ă  l’arrĂȘt T-71/17, « France.com (fig.) » pour le surplus.

Tout comme en Suisse, la Cour de justice a eu Ă  juger le cas de la semelle rouge dĂ©posĂ©e Ă  titre de marque par « Louboutin » (C-163/16). Selon la Cour, le signe n’est pas constituĂ© par la forme de la chaussure, mĂȘme s’il est spatialement limité ; le motif de refus (la forme donne sa valeur substantielle au produit) n’est pas retenu. En outre, Ă  la date de dĂ©pĂŽt, la couleur n’était pas le motif de refus du signe Ă  titre de marque ; ce serait peut-ĂȘtre le cas aujourd’hui.

Un arrĂȘt a Ă©tĂ© rendu en matiĂšre d’ordre public : dans la dĂ©cision T-1/17 « La Mafia Se sienta a la mesa », il a Ă©tĂ© jugĂ© que l’EUIPO n’a pas Ă  donner de sceau de lĂ©gitimitĂ© Ă  des activitĂ©s illicites telles que celles pratiquĂ©es par la mafia. Il n’y a pas de monopole octroyĂ© sur des activitĂ©s illicites et contraires Ă  l’ordre public. S’agissant de la preuve de l’acquisition du caractĂšre distinctif par l’usage (marque imposĂ©e) (C-84-85/17 et C-95/17, « Kit Kat »), la marque « Kit Kat » n’est pas distinctive en Europe. L’acquisition du caractĂšre distinctif doit se faire dans tous les États de l’Europe, ce qui peut ĂȘtre rĂ©alisĂ© dans des marchĂ©s rĂ©gionaux Ă  Ă©tablir par le dĂ©posant.

En matiĂšre de risque de confusion, l’arrĂȘt T-238/17, « Gugler (fig.) / ​Gugler » France rappelle que l’existence de liens Ă©conomiques entre les parties fait obstacle au risque de confusion. Dans la dĂ©cision T-825/16, « Pallas Halloumi (fig.) / Halloumi » (conflit entre marque individuelle et marque antĂ©rieure de certification), il a Ă©tĂ© jugĂ© que la fonction essentielle de la marque de certification est de garantir que les produits/services bĂ©nĂ©ficient de la certification (ce qui est sans pertinence dans le risque de confusion, qui ne concerne que l’origine Ă©conomique). La marque de certification est par ailleurs considĂ©rĂ©e comme une marque individuelle dans l’examen du risque de confusion. Encore faut-il dĂ©terminer s’il s’agit d’une marque ou d’une IGP.

Dans l’arrĂȘt T-807/16, « N & nf Trading / nf Environnement » (conflit avec une marque individuelle antĂ©rieure utilisĂ©e comme marque de certification), la renommĂ©e n’a pas Ă©tĂ© acquise conformĂ©ment Ă  la fonction essentielle d’indication d’origine que la marque remplit. Ce genre de marques est susceptible d’ĂȘtre rĂ©voquĂ© pour dĂ©faut d’usage en l’absence d’indication d’origine de la marque.

Dans un dernier temps, Yaniv Benhamou, avocat, chargĂ© de cours (IP / IT) Ă  l’UniversitĂ© de GenĂšve, et Sevan Antreasyan, avocat, ont proposĂ© un Ă©clairage innovant en matiĂšre de protection de marques utilisĂ©es en lien avec les services en ligne (p. ex. applications mobiles, rĂ©seaux sociaux), dont les questions d’usage et de violation, et en lien avec de nouveaux biens numĂ©riques (p. ex. ICO), dont le recours aux marques de garantie et aux marques collectives.

V. Marques, Internet, biens numériques et nouveaux services en ligne (applications mobiles, réseaux sociaux, ICO)

La prĂ©sentation porte sur la notion de biens numĂ©riques, Ă  savoir tout code numĂ©rique pouvant ĂȘtre reprĂ©sentĂ© graphiquement par les sens, les stickers (emojis) des opĂ©rateurs rĂ©seau, les hashtags (souvent combinĂ©s Ă  une |marque ou un slogan) ou encore les monnaies virtuelles (bitcoin, ethereum, monnaie virtuelle de Facebook). Il faut distinguer la plateforme d’échanges (qui fournit le service) des monnaies virtuelles elles-mĂȘmes (tĂ©lĂ©chargeables et contrĂŽlĂ©es de maniĂšre centralisĂ©e, qui sont des produits, ou non tĂ©lĂ©chargeables, comme les bitcoins ou les ethereums, dont on peut se demander s’il s’agit de produits ou de services : cl. 9, 36 ou 42 ?). Les certifications ou labels de qualitĂ© proposĂ©s par des prestataires doivent ĂȘtre pris en compte. Il peut s’agit p. ex. du label de l’IAPP (International Association of Privacy Professionals) ; l’on peut imaginer de nombreuses normes standards permettant de certifier la qualitĂ© des produits/services.

S’agissant des marques individuelles, des guidelines (celles de Google par exemple) contiennent des interdictions de violer les droits immatĂ©riels (notamment les marques) de tiers. Une brĂšve recherche permet de constater que, sur 910 marques enregistrĂ©es, les classes pertinentes sont, dans l’ordre dĂ©croissant, les cl. 9, 41, 35 et 42 (source : OMPI). En Suisse, il faut procĂ©der Ă  une revendication prĂ©cise des produits en classe 9 (cf. arrĂȘt europĂ©en « Sky »). Le terme « logiciels » seul suffit, mais les « biens numĂ©riques » devraient ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme insuffisamment prĂ©cis. Il faudrait dĂšs lors prĂ©ciser la liste afin d’y ajouter la nature des biens numĂ©riques (par exemple emojis, stickers, vĂȘtements, etc.) ainsi que le contexte dans lequel ceux-ci seraient utilisĂ©s (p. ex. rĂ©seau social, monde virtuel, service de messagerie). Si le bien n’est pas tĂ©lĂ©chargeable, il s’agirait de services de mise Ă  disposition de biens numĂ©riques sur une plateforme (cl. 41 ou 42). Des exemples se trouvent dans les arrĂȘts TAF B-3088/2016, « (fig.) », et B-6304/2016, « Apple ».

S’agissant de l’usage, conformĂ©ment Ă  l’art. 11 LPM, le TAF considĂšre que la mise Ă  disposition gratuite n’implique pas une absence d’usage ; la contrepartie est l’attention des utilisateurs et les donnĂ©es partagĂ©es par ces derniers pour que Facebook puisse gĂ©nĂ©rer du revenu (contrepartie financiĂšre indirecte). Il faut prendre en compte le business model applicable aux rĂ©seaux sociaux en gĂ©nĂ©ral et pas celui de Facebook spĂ©cifiquement (ATAF B-681/2016, « Facebook / Stressbook »).

En matiĂšre de marques de garantie et marques collectives, il est possible de protĂ©ger des labels de qualitĂ© ou de contrĂŽle sur lesquels un prestataire de services en ligne se base (p. ex. plateforme de crowdfunding, rĂ©seau social). Les labels sont conventionnels ou obligatoires (Ă©vocation des qualitĂ©s des plateformes d’e-commerce, p. ex. eBay). Des contrats de licence sont Ă©galement envisageables. Les intervenants sont le rĂ©dacteur de la norme, le service d’accrĂ©ditation qui valide le label (p. ex. SAS en Suisse), le certificateur accrĂ©ditĂ© (pour « auditer » les utilisateurs du label et vĂ©rifier qu’ils le respectent) et l’utilisateur certifiĂ© du label. Cela vaut Ă©galement en matiĂšre de protection des donnĂ©es (cf. p. ex. la CNIL en France ou les Ă©tudes d’avocats ou les assurances qui proposent des formations de data protection officer).

Les marques sont intĂ©ressantes pour le crowdfunding, les plateformes d’échanges de monnaies virtuelles. Il faut cependant tenir compte de certaines difficultĂ©s : les marques doivent toujours avoir une fonction distinctive (ATF 137 III 77, consid. 3.4, « étoiles » ; ATF 131 III 495, consid. 4, « Felsenkeller », selon lequel les exigences sont moindres que pour les marques individuelles, mais sans dĂ©finir le terme « moindre »). Le rĂšglement d’usage doit ĂȘtre remis Ă  l’IPI et approuvĂ© par ce dernier lors du dĂ©pĂŽt et Ă  chaque modification ultĂ©rieure (ce qui est frĂ©quent en matiĂšre numĂ©rique). Est-il possible de se rĂ©fĂ©rer Ă  des normes techniques externes dynamiques ? Il faut Ă©galement faire attention au droit de la concurrence selon les critĂšres choisis pour l’utilisation de la marque (p. ex. abus de position dominante en cas d’imposition d’une banque dĂ©positaire dĂ©terminĂ©e).

En outre, une marque individuelle ne remplit pas sa fonction d’origine si elle est simplement utilisĂ©e comme un label de qualitĂ© (arrĂȘt C-689/15, « Gözze », par. 46), car elle se limite Ă  garantir des caractĂ©ristiques spĂ©cifiques ; il faut en consĂ©quence faire enregistrer une marque de certification (UE) ou de garantie (Suisse). En Suisse, il est envisageable de dĂ©poser une marque individuelle et de la remettre en licence Ă  un utilisateur ou « auditeur ».

Fussnoten:
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Avocat, GenĂšve.