B
Berichte / Rapports

IPI – LES, le 30 avril 2014 à Genùve

Olivier Veluz​*

Le 30 avril 2014 s’est tenu, Ă  GenĂšve, le sĂ©minaire annuel organisĂ© conjointement par la License Executive Society Switzerland (LES-CH) et l’Institut FĂ©dĂ©ral de la PropriĂ©tĂ© Intellectuelle (IPI) sur la thĂ©matique des «DĂ©veloppements rĂ©cents en droit des marques».

La premiĂšre intervention, prĂ©sentĂ©e par Eric Meier, vice-directeur et chef de la Division des marques de l’IPI, portait sur les «NouveautĂ©s de l’Institut» et Ă©tait articulĂ©e en cinq parties.

La premiĂšre partie Ă©tait consacrĂ©e Ă  des aspects statistiques. Eric Meier y a en particulier soulignĂ© le succĂšs du systĂšme de communication par courriel (<ekomm.ipi.ch>), la rĂ©duction importante du dĂ©lai pour l’examen d’une demande d’enregistrement de marque suisse et la durĂ©e trĂšs courte des procĂ©dures devant l’Institut.

Dans une deuxiĂšme partie, Eric Meier a Ă©voquĂ© les diffĂ©rents projets en cours. Il a ainsi signalĂ© que les Directives en matiĂšre de marques faisaient l’objet d’une rĂ©vision (partielle) visant Ă  garantir la transparence de la pratique de l’Institut et que la nouvelle version serait disponible dĂ©but juillet 2014. S’agissant de l’Aide Ă  l’examen (<ph.ige.ch>), Eric Meier a rappelĂ© qu’il s’agissait d’une plate-forme informatique devant permettre, tant aux collaborateurs de l’Institut qu’aux professionnels du droit des marques, d’avoir accĂšs rapidement et simplement aux informations relatives aux dĂ©cisions prises par l’Institut dans le domaine des marques. D’ici mi-2014, cet outil contiendra plus de 600 dĂ©cisions principales et rĂšgles d’examen en matiĂšre de motifs absolus, en trois langues. La base de donnĂ©es contiendra Ă©galement 8000 noms gĂ©ographiques protĂ©gĂ©s par les traitĂ©s bilatĂ©raux conclus par la Suisse et toutes les dĂ©cisions matĂ©rielles en matiĂšre d’opposition rendues par l’Institut depuis 2008.

Au cours de la troisiĂšme partie de son exposĂ©, Eric Meier a prĂ©sentĂ© les dĂ©veloppements de la pratique et de la jurisprudence suisses en matiĂšre de motifs absolus d’exclusion. Il a d’abord prĂ©sentĂ© plusieurs dĂ©cisions principales rĂ©centes de l’Institut relatives, en particulier, aux indications de provenance, aux marques imposĂ©es et aux marques sonores. Pour les marques imposĂ©es, il a rappelĂ© que l’Institut exige, en principe, une utilisation du signe Ă  titre de marque en relation avec les produits et les services concernĂ©s pendant une durĂ©e de dix ans. Toutefois, en cas d’usage particuliĂšrement intensif, l’Institut peut admettre que le signe s’est imposĂ© comme marque sur une pĂ©riode plus courte, comme c’est par exemple le cas du signe «App Store» (CH 646803). En matiĂšre de marque sonore, il a prĂ©sentĂ© les questions soulevĂ©es par une mĂ©lodie rĂ©cemment dĂ©posĂ©e comme marque (CH 657664). Selon l’Institut, la longueur d’une mĂ©lodie n’est pas dĂ©cisive quant Ă  l’aptitude de celle-ci Ă  constituer une marque au sens de l’art. 1 de la loi fĂ©dĂ©rale du 28 aoĂ»t 1992 sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM, RS 232.11); il suffit que l’on puisse en distinguer le dĂ©but et la fin, que la mĂ©lodie forme un tout et qu’elle puisse ĂȘtre reconnue par les milieux intĂ©ressĂ©s et, ce faisant, que ces derniers puissent l’attribuer Ă  une entreprise dĂ©terminĂ©e, ce qui Ă©tait le cas avec la marque CH 657664. S’agissant des motifs absolus d’exclusion, l’Institut a considĂ©rĂ© que la mĂ©lodie n’appartenait pas au domaine public pour de la musique tĂ©lĂ©chargeable (cl. 9), dans la mesure oĂč celle-lĂ  n’était pas usuelle ou banale, qu’il ne s’agissait ni d’une mĂ©lodie, ni d’un extrait d’une composition gĂ©nĂ©ralement connue, comme un chant de NoĂ«l ou un Ɠuvre musicale cĂ©lĂšbre, et qu’il ne s’agissait pas non plus d’un «motif publicitaire» («hĂ€ufig allgemein gebrĂ€uchliches Werbemotiv»). Eric Meier a par la suite passĂ© en revue les arrĂȘts rĂ©cents rendus par le Tribunal administratif fĂ©dĂ©ral (TAF), relevant que la grande majoritĂ© des recours formĂ©s contre les dĂ©cisions de l’Institut avaient Ă©tĂ© rejetĂ©s. Il a enfin mis en Ă©vidence les arrĂȘts du Tribunal fĂ©dĂ©ral (TF) «Ce’Real» (sic! 2014, 24) et «ePost-Select (fig.)» (ATF 140 III 109). Dans ce dernier arrĂȘt, la Haute Cour a notamment jugĂ© que les notions de caractĂšre distinctif originaire et de caractĂšre distinctif acquis par l’usage (marque imposĂ©e) devaient ĂȘtre examinĂ©es de maniĂšre distincte. Le caractĂšre distinctif originaire doit ĂȘtre examinĂ© de maniĂšre abstraite, sans tenir compte de l’usage. Et d’ajouter qu’il appartenait au dĂ©posant de revendiquer l’enregistrement comme marque imposĂ©e, indication qui doit ĂȘtre inscrite au registre (art. 40 al. 2 let. c OPM) afin de permettre aux tiers de savoir que la marque a Ă©tĂ© enregistrĂ©e en raison du caractĂšre distinctif acquis par l’usage.

La quatriĂšme partie de l’exposĂ© a portĂ© sur la procĂ©dure d’opposition. Eric Meier y a prĂ©sentĂ© des dĂ©cisions principales concernant la similitude des signes et dans quelle mesure la signification diffĂ©rente d’une marque permettait de compenser la similitude sur les plans auditif et visuel. Il a Ă©galement soulignĂ© que, dans l’ensemble, la pratique de l’IPI n’était pas remise en cause par le TAF, l’admission des recours rĂ©sultant gĂ©nĂ©ralement d’une apprĂ©ciation diffĂ©rente du cas d’espĂšce. Il a toutefois rendu les participants attentifs au fait qu’en matiĂšre d’usage partiel de la marque opposante, le TAF suivait une autre approche que celle de l’IPI. Ce dernier ne prend en compte que les produits ou les services en relation avec lesquels la marque est effectivement utilisĂ©e. En revanche, le TAF considĂšre que l’usage pour un produit spĂ©cifique vaut usage pour une indication gĂ©nĂ©rale Ă  condition que ce produit soit «typique» pour l’indication gĂ©nĂ©rale et les effets de l’usage soient Ă©tendus aux produits pour lesquels on peut attendre un usage futur de la marque au regard de l’usage constatĂ© (TAF B-5871/2011 consid. 2.3, «Gadovist/Gadogita»). Eric Meier a indiquĂ© que l’Institut ne voyait pas de motifs pour modifier sa pratique, que les critĂšres du TAF ne favorisaient pas la sĂ©curitĂ© juridique et qu’ils Ă©taient critiquĂ©s par une partie de la doctrine (cf. M. Bebi, Rechtserhaltende Wirkung des Teilgebrauches einer Marke, sic! 2014, 68).

Dans la derniĂšre partie de son exposĂ© consacrĂ©e au projet Swissness, Eric Meier a signalĂ© que, sous rĂ©serve de modifications, les milieux intĂ©ressĂ©s seraient consultĂ©s dans le courant de l’étĂ© 2014 sur le paquet d’ordonnances et les commissions parlementaires au cours du second trimestre 2015. Une dĂ©cision du Conseil fĂ©dĂ©ral sur l’entrĂ©e en vigueur du projet interviendrait probablement avant fin 2015.

La deuxiĂšme intervention Ă©tait intitulĂ©e «Ce produit est-il trop beau? Comment protĂ©ger un objet du design par un droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle?». Me Anne-Virginie La Spada, avocate auprĂšs de l’Étude BMG Avocats, Ă  GenĂšve, a prĂ©sentĂ©, au moyen de cette intervention, la problĂ©matique de la protection des objets du design par la LPM, par la loi fĂ©dĂ©rale du 5 octobre 2001 sur la protection des designs (LDes, RS 232.12), par la loi fĂ©dĂ©rale du 9 octobre 1992 sur le droit d’auteur et les droits voisins (LDA, RS 231.1) et par la loi fĂ©dĂ©rale du 19 dĂ©cembre 1986 contre la concurrence dĂ©loyale (LCD, RS 241).

La premiĂšre partie de cette intervention portait sur la protection des objets du design par la LPM. Me La Spada a prĂ©sentĂ© les divers motifs absolus susceptibles de faire obstacle Ă  l’enregistrement de tels objets en tant que marques et a traitĂ© plus spĂ©cialement des questions de leur appartenance au domaine public (art. 2 let. a LPM) et du motif d’exclusion tirĂ© de l’art. 2 let. b LPM. S’agissant de ce second motif, elle a exposĂ© que, selon la jurisprudence, cette rĂšgle circonscrivait pour les marques de forme les signes pour lesquels il existe un besoin absolu de libre disposition. Me La Spada a prĂ©cisĂ© que les formes faisant l’objet d’un tel besoin ne pouvaient pas s’imposer comme marques du fait de leur usage dans le commerce (ATF 131 III 121 consid. 2, sic! 2005, 369, «Smarties [3D]/M&M’s [3D]»). Elle a ensuite mis en Ă©vidence les diffĂ©rentes notions prĂ©vues Ă  l’art. 2 let. b LPM, en particulier la notion de la nature mĂȘme du produit. Dans son arrĂȘt «Lego III», le TF a jugĂ© que cette notion se dĂ©finissait par la forme dont les caractĂ©ristiques sont fonctionnellement ou esthĂ©tiquement nĂ©cessaires, de sorte que leur modification entraĂźnerait une modification des qualitĂ©s spĂ©cifiques du produit lui-mĂȘme, que le public s’attend Ă  trouver (ATF 129 III 514, «Lego III [3D]»). Me La Spada a signalĂ© que la notion de nĂ©cessitĂ© esthĂ©tique Ă©tait critiquĂ©e par la doctrine majoritaire, alors que certains, en revanche, estiment qu’elle exclut les produits purement esthĂ©tiques comme les bijoux, dans la mesure oĂč leur finalitĂ© s’épuiserait dans l’esthĂ©tique et constituerait la nature mĂȘme du produit. On trouve aussi l’opinion selon laquelle la nĂ©cessitĂ© esthĂ©tique exclut les formes dont l’esthĂ©tique est centrale dans la valeur du produit. Me La Spada a cependant relevĂ© que, dans la pratique, l’art. 2 let. b LPM n’excluait pas les objets purement esthĂ©tiques ni les objets du design, les Directives en matiĂšre de marques de l’Institut indiquant dans ce contexte que sont exclues les formes dont les caractĂ©ristiques tridimensionnelles essentielles se composent d’élĂ©ments de forme purement gĂ©nĂ©riques pour les produits du segment correspondant.

Toujours Ă  propos de l’art. 2 let. b LPM, Me La Spada a Ă©galement traitĂ© de la notion de forme techniquement nĂ©cessaire, au sujet de laquelle le TF a rĂ©cemment eu l’occasion de se pencher (TF, sic! 2012, 627, «Nespresso II»; TF, sic! 2012, 811, «Lego IV [3D]»). Elle a rappelĂ© qu’une forme est techniquement nĂ©cessaire si le recours Ă  une autre forme ne peut raisonnablement pas ĂȘtre exigĂ©, car l’alternative est moins pratique, moins solide ou plus chĂšre.

Sous l’angle de l’art. 2 let. a LPM, Me La Spada a rappelĂ© les principes rĂ©gissant les marques de formes. En particulier, pour que l’obstacle de l’appartenance au domaine public soit surmontĂ© et que l’on reconnaisse Ă  la forme un caractĂšre distinctif originaire, le signe doit s’écarter des formes usuelles ou attendues dans le segment considĂ©rĂ© Ă  tel point qu’il reste en mĂ©moire Ă  long terme non seulement comme la reprĂ©sentation d’un produit, mais comme rĂ©fĂ©rence Ă  une entreprise dĂ©terminĂ©e (cf. ATF 134 III 547, «Freischwingender Panton [3D]»). Elle a soulignĂ© qu’il Ă©tait exceptionnel qu’un produit du design remplisse cette condition, ce d’autant que, plus un segment compte une grande diversitĂ© de formes, plus il est difficile de crĂ©er une forme inattendue. Me La Spada a ajoutĂ© que le fait que la forme soit rĂ©compensĂ©e par un prix n’entrait pas en ligne de compte.

Sur la base de ces considĂ©rations, Me La Spada a conclu que, si la LPM permettait de protĂ©ger les objets du design, il y avait nĂ©anmoins actuellement une forte rĂ©ticence Ă  protĂ©ger les formes de produits, motif pris qu’il existerait un risque de monopoliser la forme d’un genre de produit pendant une durĂ©e illimitĂ©e, sans possibilitĂ© pour les concurrents d’en faire un usage descriptif. Elle a par ailleurs indiquĂ© que cela s’expliquait Ă©galement par un souci de garder un droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle cohĂ©rent. En effet, alors que d’autres droits accordent une protection limitĂ©e dans le temps, la protection confĂ©rĂ©e par la LPM est potentiellement de durĂ©e illimitĂ©e.

À propos de la LDes, Me La Spada a rappelĂ© que le design doit ĂȘtre nouveau et original (art. 2 al. 1 LDes). Le critĂšre de la nouveautĂ© exclut les designs qui ne diffĂšrent de designs existants que par des dĂ©tails peu perceptibles. Pour satisfaire Ă  la condition de l’originalitĂ©, le design ne doit pas donner la mĂȘme impression d’ensemble que les produits existants sur le marchĂ©. Sur le point de savoir Ă  partir de quand l’on est en prĂ©sence d’une forme originale, Me La Spada a estimĂ© que la marge de manƓuvre du crĂ©ateur Ă©tait prise en considĂ©ration. Elle a par ailleurs relevĂ© qu’en prĂ©sence d’une gamme de produits connaissant plusieurs dĂ©clinaisons successives, le produit initial Ă©tait susceptible de dĂ©truire l’originalitĂ© d’une variante ultĂ©rieurement dĂ©posĂ©e comme design. Me La Spada a nĂ©anmoins constatĂ© que les tribunaux admettaient assez facilement l’originalitĂ© du design, bien qu’ils concluent souvent Ă  l’absence de violation. Elle a enfin mis en avant que la LDes Ă©tait conçue pour les objets du design et a rappelĂ© que, pour obtenir une protection, il fallait veiller Ă  la revendiquer dans les douze mois suivant sa premiĂšre divulgation et que la durĂ©e de la protection Ă©tait limitĂ©e Ă  25 ans.

Me La Spada a ensuite Ă©voquĂ© la possibilitĂ© de protĂ©ger les objets du design par la LDA. L’Ɠuvre y est dĂ©finie comme toute crĂ©ation de l’esprit, littĂ©raire ou artistique, qui a un caractĂšre individuel, quelles qu’en soient la valeur ou la destination (art. 2 al. 1 LDA). Font notamment partie des crĂ©ations de l’esprit les Ɠuvres des arts appliquĂ©s (art. 2 al 2 let. f LDA). Me La Spada a toutefois notĂ© que la jurisprudence en matiĂšre de droit d’auteur Ă©tait fluctuante. De plus, le TF a considĂ©rĂ© qu’en cas de doute, le caractĂšre individuel devait ĂȘtre niĂ© (TF, sic! 2011, 504, «Le Corbusier»).

Sous l’angle de la LCD enfin, Me La Spada a en substance relevĂ© que cette lĂ©gislation n’avait pas de caractĂšre subsidiaire par rapport aux autres lois qui protĂšgent la propriĂ©tĂ© intellectuelle. Cependant, on ne saurait Ă©luder par le biais de la LCD les choix faits par le lĂ©gislateur concernant les limites prĂ©vues par les autres lois, sauf en cas de circonstances particuliĂšres de dĂ©loyautĂ©. Elle a prĂ©sentĂ© pour conclure la rĂ©cente jurisprudence du TF rĂ©servant la possibilitĂ© d’une exploitation dĂ©loyale de la rĂ©putation d’autrui mĂȘme en l’absence de risque de confusion (ATF 135 III 446, «Maltesers/Kit Kat Pop Choc II»). Selon l’intervenante, cette jurisprudence pourrait, peut-ĂȘtre, ouvrir plus largement la porte Ă  la protection de la forme des produits qui ne sont pas enregistrĂ©s comme marques ou designs.

Le sĂ©minaire s’est ensuite poursuivi sur un «Tour d’horizon de la jurisprudence communautaire», prĂ©sentĂ© par Arnaud Folliard-Monguiral, juriste auprĂšs du service juridique de l’Office d’harmonisation au sein du marchĂ© intĂ©rieur (OHMI).

Sous l’angle du droit des marques, Arnaud Folliard-Monguiral a d’abord relevĂ© que, dans une cause prĂ©judicielle, la Cour de Justice a considĂ©rĂ© que l’intĂ©rieur d’un magasin pouvait constituer une marque, sous rĂ©serve qu’il dispose d’un caractĂšre distinctif suffisant (C-421/13, «Apple»).

S’agissant des motifs absolus, le Tribunal de l’UE a jugĂ© qu’était descriptif un signe concordant Ă  une lettre prĂšs avec une indication gĂ©ographique connue pour du vin, peu importe l’absence de concordance parfaite entre le signe et cette indication. En outre, le conflit avec une appellation d’origine ne suppose pas qu’elle soit connue (Tribunal UE, T-320/10, § 58-63 et 70-72, «Castel/Castell»). S’agissant des marques de forme, la CJUE a estimĂ© que la reprĂ©sentation graphique, qui doit ĂȘtre complĂšte par elle-mĂȘme, peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e Ă  la lumiĂšre d’élĂ©ments extĂ©rieurs (comme des preuves concrĂštes d’usage) permettant d’identifier convenablement les caractĂ©ristiques essentielles d’un signe considĂ©rĂ© comme fonctionnel (C-337/12 Ă  C-340/12 § 54-64).

Concernant la liste des produits et des services, Arnaud Folliard-Monguiral a entre autres relevĂ© que la dĂ©signation d’un intitulĂ© de classe ne valait plus automatiquement une revendication pour chacun des termes alphabĂ©tiques de la classe; pour obtenir une telle protection, il convient dĂ©sormais de revendiquer chaque produit ou service de la classe. Ainsi, l’OHMI s’oriente dorĂ©navant moins vers une dĂ©signation par classe ou par ligne gĂ©nĂ©rique, mais davantage vers une indication concrĂšte des produits et des services, de maniĂšre Ă  avoir une Ă©tendue de la protection la plus prĂ©cise possible. Arnaud Folliard-Monguiral a soutenu que cette nouvelle approche permettait de mieux tenir compte des intĂ©rĂȘts des tiers, mais également du titulaire dans le maintien de son droit Ă  la marque.

Dans le contexte de la similaritĂ© des produits et des services, Arnaud Folliard-Monguiral a entre autres indiquĂ© que la similaritĂ© pouvait ĂȘtre admise en raison de la complĂ©mentaritĂ© des produits ou des services Ă  condition qu’il soit dĂ©montrĂ© que ces produits ou services soient utilisĂ©s ensemble, ce qui prĂ©suppose qu’ils s’adressent Ă  un mĂȘme public (cf. Tribunal UE, T-80/11, § 28-29, «Ridge Wood»; voir Ă©g. Tribunal UE, T-599/10 § 92, «Eurocool»). Il a par ailleurs relevĂ© que le Tribunal avait niĂ© la similaritĂ© entre des vĂ©hicules (cl. 12) et des services de location de vĂ©hicules (cl. 39), motifs pris qu’un fabricant de vĂ©hicules n’était pas actif dans le domaine de la location en gĂ©nĂ©ral (cf. Tribunal UE, T-104/12, § 58, «Vortex»). En revanche, la similaritĂ© a Ă©tĂ© admise entre les vĂȘtements (cl. 25) et les services de vente de vĂȘtement (cl. 35), dĂšs lors qu’ils s’adressaient Ă  un public mixte commun (cf. Tribunal UE, T-282/12, «Freestyle»). Arnaud Folliard-Monguiral a encore soulignĂ© dans ce contexte que, dans un arrĂȘt T-249/11, le Tribunal avait admis un lien de similaritĂ© et de complĂ©mentaritĂ© possible entre de la volaille et des animaux vivants (cl. 29 et 31), d’une part, et, d’autre part, des services de publicitĂ©, de reprĂ©sentation commerciale, des services de franchisage, d’exportation et d’importation (cl. 35) et des services de transport, entreposage et distribution de poulets (cl. 39). Le Tribunal a considĂ©rĂ© que le producteur de poulets qui transportait un poulet Ă  domicile Ă©tait actif dans le domaine du transport et se faisait rĂ©munĂ©rer indĂ©pendamment de la vente du poulet. Arnaud Folliard-Monguiral a cependant indiquĂ© que l’OHMI avait fait recours contre cet arrĂȘt, motifs pris que, si un producteur transporte ses propres produits, il ne dispose pas d’une protection pour le transport mais uniquement pour les produits.

Arnaud Folliard-Monguiral a par ailleurs mentionnĂ© quelques dĂ©veloppements rĂ©cents de la jurisprudence en matiĂšre de marques renommĂ©es. Il a notamment Ă©tĂ© question de dilution de la marque renommĂ©e (cf. CJUE, C-383/12, «Wolf»). La CJUE a par ailleurs estimĂ© que l’existence de justes motifs pour l’usage d’un signe identique ou similaire Ă  une telle marque n’était pas limitĂ©e Ă  des circonstances objectives, mais Ă©galement Ă  des occurrences subjectives. Ainsi, un tiers peut justifier d’un juste motif pour l’usage d’un signe identique ou similaire Ă  une marque renommĂ©e lorsque cet usage, pour un produit identique, se situe dans la trajectoire d’une exploitation commerciale commencĂ©e, de bonne foi, avant le dĂ©pĂŽt de la marque renommĂ©e et, en toute hypothĂšse, avant l’acquisition de la renommĂ©e (cf. CJUE, C-65/12 § 53-58, «Bull Dog»).

S’agissant enfin des dessins et modĂšles, Arnaud Folliard-Monguiral a entre autres Ă©voquĂ© des dĂ©veloppements de la pratique en matiĂšre de divulgation au moyen de catalogue (Ch. Rec. OHMI R 1195/2011-3) et de divulgation limitĂ©e (CJUE, C-479, «H. Gautzsch Grosshandel GmbH»). Il a Ă©galement Ă©voquĂ© la problĂ©matique liĂ©e au cadre de la comparaison, dans le contexte duquel s’opposent, d’un cĂŽtĂ©, une tradition du droit d’auteur (France, BENELUX, Espagne) Ă , d’un autre, une tradition du brevet (Allemagne).

Dans une derniĂšre prĂ©sentation, Me Ralph Schlosser, avocat auprĂšs de l’Étude Kasser Schlosser Ă  Lausanne, a prĂ©sentĂ©, dans un exposĂ© intitulĂ© «Specsavers – de nouvelles lunettes pour apprĂ©cier le risque de confusion», l’arrĂȘt «Specsavers» de la CJUE et s’est interrogĂ© sur les possibles implications pour la pratique suisse.

Cette société est titulaire des marques communautaires suivantes:

  • – les marques communautaires verbales no 1321298 et no 3418928, consistant en le mot «Specsavers»;
  • – les marques communautaires figuratives no 449256 et no 1321348, qui couvrent le signe suivant:

  • – la marque communautaire figurative no 5608385, qui couvre le signe suivant:

  • – et la marque communautaire figurative no 1358589, qui couvre le signe suivant:

    Dans les faits, c’est le logo suivant, en vert et en blanc, qui a Ă©tĂ© utilisĂ©:

Specsavers a introduit une action contre la sociĂ©tĂ© Asda fondĂ©e sur l’atteinte Ă  ses marques communautaires en raison de la compagne publicitaire lancĂ©e par cette derniĂšre, dans le cadre de laquelle les logos suivants ont Ă©tĂ© utilisĂ©s:

Me Schlosser a exposĂ© que la CJUE a Ă©tĂ© amenĂ©e Ă  rĂ©pondre Ă  plusieurs questions prĂ©judicielles dans cette affaire. Pour l’une d’entre elles, elle a considĂ©rĂ© que la condition d’usage sĂ©rieux pouvait ĂȘtre satisfaite lorsqu’une marque communautaire figurative n’est utilisĂ©e qu’en combinaison avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposĂ©e, ladite combinaison de deux marques Ă©tant elle-mĂȘme enregistrĂ©e comme marque communautaire, pour autant que les diffĂ©rences entre la forme sous laquelle la marque est utilisĂ©e et celle sous laquelle elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e n’altĂšrent pas le caractĂšre distinctif de ladite marque telle qu’enregistrĂ©e.

Me Schlosser a soulignĂ© qu’une application analogue de cet arrĂȘt en Suisse s’imposait, dans la mesure oĂč il existe un consensus pour affirmer que l’usage d’un nouvel enregistrement peut permettre de maintenir le droit d’un enregistrement antĂ©rieur.

S’agissant d’une autre question prĂ©judicielle soumise Ă  la CJUE, Me Schlosser a relevĂ© que, lorsque le titulaire a fait un usage large de la marque dans une couleur particuliĂšre si bien que, dans l’esprit du public, cette marque est dĂ©sormais associĂ©e Ă  cette couleur, la couleur qu’un tiers utilise pour la reprĂ©sentation d’un signe accusĂ© de porter atteinte Ă  la marque est, selon la Cour, pertinente dans le cadre de l’apprĂ©ciation globale du risque de confusion.

Me Schlosser a rendu les participants attentifs au fait qu’en droit allemand, la maniĂšre dont la marque est utilisĂ©e est sans incidence sur la dĂ©termination de son champ de protection (BGH, GRUR 2004, 779, «Zwilling/ZweibrĂŒder»). La force distinctive, la similitude des signes ainsi que celle des produits et des services sont ainsi pris en compte, contrairement aux autres Ă©lĂ©ments tels que les aspects marketing ou publicitaire.

En droit suisse, Me Schlosser a rappelĂ© que les signes Ă©taient comparĂ©s tels qu’ils sont enregistrĂ©s (ATF 119 II 473 consid. 2b, «Radion/Radomat»). L’apprĂ©ciation du risque ne se base pas sur une comparaison abstraite des signes, mais en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 122 III 382 consid. 1, «Kamillosan»). Me Schlosser a encore ajoutĂ© que, selon le TF, l’impression d’ensemble n’est pas uniquement dĂ©terminĂ©e par la similitude abstraite des signes en tant que telle, mais dĂ©pend bien plutĂŽt de l’ensemble des circonstances d’utilisation (TF, sic! 2002, 99 consid. 1b, «Stoxx/StockX»). Il en dĂ©duit que la marque antĂ©rieure doit ĂȘtre prise en compte telle qu’elle est enregistrĂ©e, mais que sont Ă©galement prises en considĂ©ration l’ensemble des circonstances qui entourent l’utilisation des signes en prĂ©sence. Seraient des circonstances pertinentes le degrĂ© de similitude des produits et des services concernĂ©s, le degrĂ© d’attention des consommateurs, la force distinctive et la connaissance de la marque. En revanche, le conditionnement, les disclaimers et la couleur dans laquelle une marque sans revendication de couleurs est utilisĂ©e sont des circonstances indiffĂ©rentes dans le cadre de l’apprĂ©ciation du risque de confusion.

Me Schlosser a dĂ©duit de l’arrĂȘt «Specsavers» que, ce qui a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme dĂ©terminant, c’est le fait que le public sait que le signe a Ă©tĂ© utilisĂ© dans une certaine couleur. Il a ainsi interpellĂ© les participants sur la question de savoir s’il s’agissait d’une problĂ©matique touchant Ă  la perception du signe susceptible d’influer le champ de protection de la marque ou si, au contraire, il ne s’agissait que de circonstances de faits liĂ©es Ă  l’utilisation de la marque qui ne sont pas pertinentes dans la dĂ©termination du champ de protection.

Fussnoten:
*

M.Law, juriste en marques à l’IPI, Berne.