
Ligue Internationale du droit de la concurrence, congrĂšs 2007
Présentation succincte du rapport suisse et du rapport international
Inhaltsverzeichnis
I.Introduction
II.Faut-il pouvoir exiger des licences de droits de PI en application du droit de la concurrence?
III.Les propositions du rapporteur international
IV.Les conditions auxquelles lâexercice de la licence doit ĂȘtre concĂ©dĂ©
V.Conclusion
Cette annĂ©e la Ligue Internationale du Droit de la Concurrence a choisi de faire porter lâun des deux thĂšmes en discussion lors de son congrĂšs international sur les rapports dĂ©licats entre le droit de la concurrence et les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, plus particuliĂšrement la question des licences obligatoires. Le rapport international fut lâĆuvre de notre confrĂšre britannique, Tony Woodgate, alors que le rapport suisse a Ă©tĂ© conjointement rĂ©digĂ© par les soussignĂ©s. La contribution helvĂ©tique Ă ce dĂ©bat nâest pour lâheure que trĂšs modeste dans la mesure oĂč il nâexiste pour ainsi dire aucune pratique, mis Ă part un arrĂȘt rendu par le tribunal de commerce de Berne qui Ă©voque la problĂ©matique sans y apporter de rĂ©ponse dĂ©finitive. Ceci dit, on relĂšvera que le dĂ©bat prend en Suisse une dimension sensiblement diffĂ©rente de celle quâil revĂȘt dans les pays europĂ©ens qui nous entourent puisquâil met en opposition des textes lĂ©gislatifs de rang Ă©quivalent lĂ oĂč la mĂȘme question relĂšve Ă©galement, dans les pays membres de lâUnion europĂ©enne, dâune opposition entre normes de rangs hiĂ©rarchiques diffĂ©rents. Cet aspect du problĂšme qui nâest pas expressĂ©ment abordĂ© par le rapport national ressort cependant assez clairement de la synthĂšse proposĂ©e, notamment en regard des contributions extra communautaires telles que celle du BrĂ©sil ou du Japon.
A titre liminaire, le rapporteur international rappelle que la question posĂ©e dans le cadre de ce dĂ©bat consiste en dĂ©finitive Ă cerner le juste Ă©quilibre entre deux systĂšmes juridiques fondĂ©s sur lâapprĂ©hension par le droit public de questions Ă©conomiques. Le rĂŽle des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle (ci-aprĂšs «droits de PI») consiste Ă fournir des incitations ou des rĂ©compenses Ă des activitĂ©s tendant Ă rĂ©aliser des progrĂšs techniques, artistiques ou Ă©conomiques qui, dans bien des hypothĂšses, seraient copiĂ©es ou simplement spoliĂ©es sans autre compensation en faveur de celui Ă qui elles sont dues. A lâinstar du systĂšme de protection des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, le droit de la concurrence est Ă©galement conçu afin de promouvoir le bien-ĂȘtre Ă©conomique, tant au niveau du fonctionnement de lâĂ©conomie en gĂ©nĂ©ral que dans la perspective du consommateur.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il ressort des 12 rapports nationaux quâau vu de lâimportance fondamentale des rĂ©gimes de propriĂ©tĂ© intellectuelle dans le contexte dâune Ă©conomie de marchĂ© moderne, de leur nature Ă©laborĂ©e mais Ă©galement en raison des systĂšmes de contrĂŽle et dâĂ©quilibre internes qui les caractĂ©risent, des licences obligatoires de droits de PI ne peuvent intervenir que de maniĂšre strictement limitĂ©e et dans des circonstances exceptionnelles. Pour le rapporteur international, le caractĂšre exclusif des droits de PI ne doit en principe pas ĂȘtre affaibli du fait de lâinterfĂ©rence du droit de la concurrence. Si une telle consĂ©quence devait entrer en ligne de compte il serait essentiel de garder Ă lâesprit quâune application bien comprise du droit de la concurrence ne devrait pas intervenir dans le but de protĂ©ger un concurrent du comportement dâun autre mais uniquement dans la perspective dâĂ©viter que des accords ou des comportements ne portent une atteinte substantielle au processus de concurrence, au dĂ©triment du consommateur.
Dans une premiĂšre partie de sa dĂ©marche, le rapporteur international sâinterroge sur la nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir des mĂ©canismes dâoctroi de licences obligatoires fondĂ©s sur le droit de la concurrence. La trĂšs grande majoritĂ© des rapports nationaux se rĂ©fĂšre sur ce point aux principes et conditions posĂ©s par la jurisprudence communautaire en la matiĂšre, en particulier les arrĂȘts Volvo v. Veng, Magill, TiercĂ© Ladbroke v. Commission, Oscar Bronner ou encore IMS Health.
Le rapport brĂ©silien prĂ©cise Ă cet Ă©gard que tant la lĂ©gislation brĂ©silienne de droit de la concurrence que la loi sur les brevets prĂ©voient la possibilitĂ© dâobtenir des licences obligatoires fondĂ©es sur le droit de la concurrence. En particulier, une licence obligatoire est envisageable en droit brĂ©silien en cas dâexercice abusif dâun pouvoir Ă©conomique sur un marchĂ©. Cette remarque gĂ©nĂšre Ă notre sens deux rĂ©flexions.
PremiĂšrement, la situation brĂ©silienne nâest pas sans rappeler la lĂ©gislation suisse puisquâil existe, dans le mĂȘme ordre juridique, une certaine tension entre le droit de la concurrence et les rĂ©gimes de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle. En droit suisse, lâarticulation se fait autour de lâart. 3 al. 2 LCart. Cette disposition dĂ©termine les rapports entre droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle et droit de la concurrence en prescrivant que la LCart «nâest pas applicable aux effets sur la concurrence qui dĂ©coulent exclusivement de la lĂ©gislation sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle».
Pendant longtemps, la rĂšgle posĂ©e Ă lâart. 3 al. 2 LCart a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme Ă©tablissant une sĂ©paration totale entre le droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et le droit de la concurrence. Cette interprĂ©tation avait pour consĂ©quence dâimmuniser le droit prĂ©fĂ©rentiel confĂ©rĂ© par une loi de propriĂ©tĂ© intellectuelle contre toute application du droit des cartels.
Aujourdâhui, la doctrine majoritaire est dâavis que cette disposition ne revĂȘt pas un caractĂšre absolu, dans la mesure oĂč lâapplicabilitĂ© de la LCart ne doit finalement ĂȘtre exclue que si les effets sur la concurrence rĂ©sultent «exclusivement» de la protection dâun droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle, tel que lâart. 3 al. 2 LCart le prĂ©voit au sens strict du terme. A cet Ă©gard, il y a eu lieu de rappeler que dans une cĂ©lĂšbre affaire «Kodak», le Tribunal fĂ©dĂ©ral a estimĂ© quâil y avait un abus au sens de lâart. 7 LCart, lorsquâune entreprise ayant une position dominante utilise son droit Ă lâimportation «um den schweizerischen Markt abzuschotten und insbesondere unangemessene Preise oder sonst unangemessene GeschĂ€ftsbedingungen zu erzwingen».
Cependant, il nâexiste Ă ce jour pas de jurisprudence qui mette un terme Ă ce dĂ©bat.
DeuxiĂšmement, lâĂ©crasante majoritĂ© des rapports nationaux traite dâun droit de la concurrence supranational dont lâapplication prend assurĂ©ment aussi en compte lâabsence dâun systĂšme complet, au niveau europĂ©en, de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle qui pourrait, par hypothĂšse, rĂ©gler la question des licences obligatoires, Ă lâinstar des droits nationaux. Sur 12 rapports nationaux, 10 en effet Ă©manent dâEtats membres de lâUnion europĂ©enne.
Selon la conception qui prĂ©vaut dans lâUnion europĂ©enne, les licences obligatoires prĂ©vues par les diffĂ©rents rĂ©gimes de droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle ne sont pas considĂ©rĂ©es comme relevant dâune forme de lex specialis par rapport au droit de la concurrence. En dâautres termes, la possibilitĂ© dâoctroyer des licences obligatoires fondĂ©es sur le droit de la concurrence nâest pas dâemblĂ©e exclue par le fait que les lois de propriĂ©tĂ© intellectuelle contiennent des prescriptions spĂ©cifiques sur les licences obligatoires.
En Suisse, le rapport entre le droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et le droit de la concurrence ne fait pas lâunanimitĂ© dans la doctrine. Il semble en tout cas exclu de sâappuyer sans autre sur la conception qui prĂ©vaut au sein de lâUnion europĂ©enne. En effet, en Europe, la lĂ©gislation sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle est du ressort des pays membres de lâUnion, tandis que le droit de la concurrence est aussi rĂ©gi par des dispositions communautaires, ce qui pourrait en partie expliquer les raisons pour lesquelles lâapplication parallĂšle des deux lĂ©gislations est favorisĂ©e.
Dans une perspective helvĂ©tique, cette question ramĂšne naturellement Ă celle de la portĂ©e de lâart. 40 LBI et la notion de licence obligatoire fondĂ©e sur lâintĂ©rĂȘt public.
Lâart. 40 LBI prĂ©voit la possibilitĂ© dâoctroyer une licence justifiĂ©e par lâintĂ©rĂȘt public. A teneur de cette disposition, celui qui sâest vu refuser lâoctroi dâune licence par le titulaire du brevet sans raisons suffisantes peut, lorsque lâintĂ©rĂȘt public lâexige, demander que le juge lui accorde une licence obligatoire afin de pouvoir utiliser lâinvention. LâintĂ©rĂȘt public peut ĂȘtre justifiĂ© par des motifs techniques, Ă©conomiques, sociopolitiques, Ă©cologiques ou mĂ©dicaux.
Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a eu lâoccasion de prĂ©ciser les contours de la notion dâintĂ©rĂȘt public au sens de cette disposition. Il a en particulier considĂ©rĂ© que lorsque des motifs dâintĂ©rĂȘt public justifient quâil soit fait usage dâune substance brevetĂ©e dans le cadre de recherches scientifiques, ces motifs ne justifient pas lâutilisation libre de la substance protĂ©gĂ©e, mais tout au plus une licence obligatoire. Lâinstance cantonale a prĂ©cisĂ© que |mĂȘme dans lâhypothĂšse oĂč seul un petit nombre de patients peut ĂȘtre traitĂ© au moyen dâune substance thĂ©rapeutique qui entre en conflit avec un brevet existant, lâintĂ©rĂȘt public Ă leur guĂ©rison lâemporte sur la protection confĂ©rĂ©e par le brevet et justifie lâoctroi dâune licence obligatoire. Dans le cas dâespĂšce, le tribunal nâa toutefois pas fait usage de cette disposition.
La plupart des auteurs sont dâavis que la notion «dâintĂ©rĂȘt public» au sens de lâart. 40 LBI comprend Ă©galement lâobjectif de concurrence efficace poursuivi par la loi sur les cartels de sorte que lâart. 40 LBI pourrait donc aussi sâappliquer en cas dâexploitation abusive dâun brevet par une entreprise ayant une position dominante ou dâaccord entre entreprises portant refus dâoctroyer une licence Ă un tiers par exemple. La question de savoir si, au-delĂ de cette disposition, il existe un intĂ©rĂȘt Ă pouvoir octroyer des licences obligatoires directement sur la base de la LCart lorsque les mĂȘmes licences pourraient ĂȘtre octroyĂ©es sur la base de la disposition spĂ©cifique de lâart. 40 LBI fait lâobjet dâun dĂ©bat animĂ©, dĂ©bat qui sâavĂšre nĂ©cessairement tronquĂ© au niveau communautaire, pour les motifs dĂ©jĂ Ă©voquĂ©s.
Stieger est dâavis que lâart. 40 LBI relatif Ă lâoctroi de licences obligatoires justifiĂ©es par lâintĂ©rĂȘt public prĂ©vaut sur les actions prĂ©vues aux articles 12 et 13 LCart en vertu desquels la victime dâune restriction illicite Ă la concurrence peut demander notamment la suppression de lâentrave Ă la concurrence, ce qui peut amener le juge Ă condamner le dĂ©fendeur Ă une obligation de contracter.
Calame et Rauber, en revanche, soutiennent la thĂšse de lâapplication parallĂšle de la LCart par rapport Ă toutes les dispositions spĂ©cifiques de la LBI.
Hilty opĂšre une distinction entre les articles 40a LBI et 40c P-LBI, dâune part, et lâart. 40 LBI, dâautre part: il dĂ©fend la thĂšse selon laquelle les dispositions 40a LBI et 40c P-LBI, qui mentionnent expressĂ©ment les effets anticoncurrentiels justifiant lâoctroi dâune licence obligatoire, doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es en tant que lex specialis par rapport Ă lâart. 7 LCart. Pour ce qui est en revanche de lâart. 40 LBI, Hilty propose une application parallĂšle de la LCart, tout en soutenant que lâart. 40 LBI est dotĂ© dâun potentiel important dans la mesure oĂč celui-ci permettrait de prĂ©server la concurrence au-delĂ des limites de lâart. 7 LCart.
Lâassimilation de lâart. 40a LBI Ă lâart. 40c P-LBI nous semble discutable. La premiĂšre des deux dispositions vise en effet Ă transposer en droit suisse une norme de droit international qui fixe une limite au droit interne sâagissant de lâoctroi de licences lĂ©gales.
Comme dĂ©jĂ Ă©voquĂ©, la jurisprudence ne traite pas de cette question. LâarrĂȘt rendu par le Tribunal de commerce de Berne en 2005 fait mention de la problĂ©matique sans y apporter de solution dĂ©finitive. LâĂ©tat de fait du cas dâespĂšce a dâabord Ă©tĂ© traitĂ© sous lâangle de lâart. 36 LBI; puis, le tribunal cantonal sâest briĂšvement penchĂ© sur la question de lâapplication de la LCart. Il a admis le principe de son application lorsque le titulaire dâun droit exclusif conclut des accords illicites ou abuse de sa position dominante tout en rejetant lâidĂ©e dâune application parallĂšle de la LCart lorsque le titulaire du droit exclusif ne lâexploite pas ou pas suffisamment. Il a nĂ©anmoins admis que lâapplication parallĂšle de la LCart pourrait ĂȘtre exceptionnellement envisagĂ©e dans le cas de biens ou services rĂ©pondant Ă la thĂ©orie dite des «essential facilities». Toutefois, lorsque le titulaire du droit exclusif est en mesure de couvrir la demande, le tribunal estime quâil nây a alors plus de place pour lâapplication du droit de la concurrence.
Heinemann considĂšre, Ă juste titre selon nous, que le tribunal de commerce de Berne aurait dĂ» procĂ©der diffĂ©remment en examinant tout dâabord si le dĂ©tenteur du droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle ne se trouvait pas en position dominante, puis en se demandant si, dans le cas particulier, le refus de lâoctroi dâune licence pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un abus de cette position.
La diffĂ©rence fondamentale selon nous entre le droit des brevets et le droit de la concurrence tient au fait que le second peut ĂȘtre mis en Ćuvre par un juge ou par une autoritĂ© administrative. Cette distinction plaide Ă notre sens pour lâapplication parallĂšle de ces deux rĂ©fĂ©rences juridiques afin que lâautoritĂ© puisse Ă©galement intervenir dâoffice dans le cas dâune situation illicite, sans nĂ©cessairement attendre quâun lĂ©sĂ© nâactionne lâauteur.
Ceci Ă©tant dit, la question de lâĂ©ventuel manque dâexpĂ©rience ou de compĂ©tence en matiĂšre de concurrence du juge civil saisi dâune action fondĂ©e sur lâarticle 40 LBI, trouve une rĂ©ponse assez Ă©vidente avec lâarticle 15 LCart lequel permet une intervention de lâautoritĂ© ad hoc tout en proposant par la mĂȘme occasion une solution Ă©quilibrĂ©e Ă la question de la superposition du cumul des actions lorsque lâinitiative Ă©mane dâune entitĂ© ou dâun particulier et non dâune autoritĂ©.
Sur ces questions le rapport international se rĂ©fĂšre Ă lâarticle 295 du TraitĂ© sur lâUnion europĂ©enne, lequel prescrit que le traitĂ© ne peut en aucune maniĂšre porter prĂ©judice aux rĂšgles Ă©tatiques rĂ©glant les rĂ©gimes de propriĂ©tĂ©. Sur cette question, le rapporteur international se rĂ©fĂšre Ă lâabondante jurisprudence de la Cour europĂ©enne de Justice en la matiĂšre, notamment la distinction entre lâinterfĂ©rence avec lâexercice dâun droit et son existence. Il relĂšve Ă cet Ă©gard le caractĂšre conjoncturel de cette dĂ©limitation, laquelle doit naturelle|ment prendre en compte les objectifs de lâUnion (libre circulation des marchandises par exemple) ainsi que les rĂ©glementations communautaires qui priment sur le droit national. Rappelant quâen matiĂšre dâĂ©puisement des droits de PI au niveau intra-communautaire, la Cour nâa pas hĂ©sitĂ© Ă limiter de maniĂšre stricte les droits de PI nationaux, le rapporteur suggĂšre que la Cour ne devrait pas se sentir «inhibĂ©e» dans le dĂ©bat actuel.
On le voit, dĂšs lors quâil intĂšgre une dimension supranationale, le dĂ©bat prend un tour bien diffĂ©rent dâun dĂ©bat purement national sur le conflit entre ces deux rĂ©gimes, au point que lâon peut sâinterroger sur la portĂ©e de lâexercice comparatiste.
Une fois cette question de base Ă©puisĂ©e, le rapporteur international envisage diffĂ©rentes hypothĂšses afin de dĂ©terminer si la question centrale de lâoctroi de licences obligatoires doit ou peut trouver des rĂ©ponses diffĂ©rentes en fonction des droits de PI concernĂ©s, ou parce que les droits envisagĂ©s ne font pas lâobjet dâune protection lĂ©gale spĂ©cifique de PI (le know-how par exemple) ou encore en raison du caractĂšre immatĂ©riel du monopole quâils engendrent par opposition Ă un monopole physique. Le rapport international analyse Ă©galement la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte, dans le cadre de lâoctroi dâune licence obligatoire, les relations antĂ©rieures entre le titulaire du droit et le demandeur de licence, la volontĂ© de ce dernier de dĂ©velopper un nouveau produit, lâimportance des investissements, recherches ou autres efforts consentis par le titulaire du droit de PI ou encore lâintĂ©gration verticale du potentiel donneur de licence en regard du marchĂ© sur lequel le droit concĂ©dĂ© devrait ĂȘtre utilisĂ©.
Lâexamen de ces hypothĂšses a amenĂ© le rapporteur international Ă formuler un certain nombre de propositions, dont les principales sont reprises ci-aprĂšs:
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â La possibilitĂ© dâoctroyer des licences obligatoires doit ĂȘtre fonction du droit de PI concernĂ©. En particulier, des licences de brevets devraient rarement ĂȘtre octroyĂ©es, compte notamment tenu de la courte durĂ©e de protection dont bĂ©nĂ©ficie le titulaire et qui est destinĂ©e Ă valoriser lâinvestissement consenti.
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â Les relations antĂ©rieures entre le titulaire des droits de PI et le demandeur de licence, en particulier des licences antĂ©rieures, crĂ©ent une prĂ©somption rĂ©fragable que le refus dâoctroyer une licence est anticoncurrentiel.
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â Lâimportance des efforts consentis en vue dâobtenir le droit de PI sujet Ă une licence obligatoire ne devrait pas entrer directement en ligne de compte quant Ă la question de lâoctroi ou non dâune telle licence mais doit ĂȘtre prise en considĂ©ration sâagissant des conditions auxquelles la licence obligatoire serait dĂ©livrĂ©e.
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â Si le demandeur de licence a eu lâoccasion dâinvestir dans le produit faisant lâobjet du droit en question avant sa reconnaissance en tant que droit de PI, il ne devrait en principe pas pouvoir prĂ©tendre Ă une licence obligatoire.
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â Si le demandeur de licence dispose dâune alternative, mĂȘme Ă des coĂ»ts supĂ©rieurs ou dans un contexte technologiquement moins favorable, le droit de PI convoitĂ© ne devrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une facilitĂ© essentielle susceptible de justifier une licence obligatoire.
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â Bien quâune licence obligatoire puisse ĂȘtre obtenue aussi bien dans le contexte de rapports verticaux que de rapports horizontaux entre le titulaire et le preneur, il est essentiel de dĂ©terminer si le demandeur de licence entend concurrencer, dans un rapport horizontal, le titulaire du droit de PI. En matiĂšre de brevet et dans de telles circonstances, une licence ne devrait que rarement ĂȘtre octroyĂ©e.
Dans cette derniĂšre partie de son Ă©tude, le rapporteur international sâinterroge sur les conditions dont doit ĂȘtre assortie une licence obligatoire une fois son principe admis. Dans la mesure oĂč les solutions varient dâun rapport national Ă lâautre quant au point de savoir sâil incombe au juge ou Ă lâautoritĂ© de concurrence de se prononcer sur ces conditions, la question est laissĂ©e ouverte.
Sâagissant des critĂšres dâĂ©valuation, le rapporteur international propose de prendre en compte les Ă©lĂ©ments suivants:
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â les coĂ»ts de la recherche, y compris les recherches infructueuses;
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â les risques du programme de recherche;
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â la valeur Ă©conomique de la technologie;
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â les coĂ»ts liĂ©s Ă la mise Ă disposition de la technologie, y compris les coĂ»ts de transaction;
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â la nĂ©cessitĂ© dâencourager les entreprises Ă dĂ©velopper leurs propres recherches plutĂŽt que de se tourner vers les licences obligatoires.
Le dĂ©bat relatif aux licences obligatoires de droits de PI fondĂ©es sur le |droit de la concurrence peut aller bien au-delĂ des questions dĂ©battues en droit suisse sur les rapports entre droit de la concurrence et droits de PI. En particulier, les conditions dâoctroi de telles licences ainsi que les conditions auxquelles une licence une fois octroyĂ©e peut ĂȘtre exercĂ©e peuvent faire lâobjet dâune casuistique et de considĂ©rations extrĂȘmement fines et dĂ©taillĂ©es qui toutes, sur le papier, semblent frappĂ©es au coin du bon sens. Elles semblent nĂ©anmoins dâune extraordinaire complexitĂ© Ă mettre concrĂštement en Ćuvre, Ă tout le moins lorsquâil sâagit de tenter de modĂ©liser un rĂ©gime ou des solutions.
Ceci Ă©tant dit, lorsquâune autoritĂ© de la concurrence est amenĂ©e Ă se pencher sur la question et quâelle a la possibilitĂ©, comme câest le cas notamment en Suisse, de proposer des accords amiables ou dâimposer des conditions avant lâautorisation dâune fusion, elle pourra toujours, de facto, rechercher des solutions concrĂštes et adaptĂ©es aux effets constatĂ©s sur le marchĂ© analysĂ©, que celles-ci correspondent ou non Ă un modĂšle dĂ©terminĂ©. Cette possibilitĂ© doit Ă notre sens ĂȘtre encouragĂ©e dans la mesure oĂč lâautoritĂ© en question a la possibilitĂ© de se saisir dâoffice et dâintervenir dans le but de favoriser le fonctionnement du marchĂ© en faveur du consommateur, une dĂ©marche que lâon ne peut lĂ©gitimement pas attendre dâune partie Ă un pur litige de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle.
Il convient enfin de relever que le dĂ©bat semble clairement dĂ©naturĂ© lorsque lâintervention au niveau du droit de la concurrence est la seule intervention possible afin de mettre en Ćuvre des objectifs et des politiques supranationaux dans la mesure oĂč dâune part, lâalternative du litige de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle nâest pas de nature Ă prendre en compte ces objectifs et ces politiques et, dâautre part, ces mĂȘmes objectifs et politiques entrent en ligne de compte lorsquâil sâagit de dĂ©finir la notion de «concurrence» Ă promouvoir par lâautoritĂ© supranationale.