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Berichte / Rapports

LES-IPI, 7 novembre 2019, GenĂšve

Adrienne Mischler-Barras​*

Le 7 novembre 2019 s’est tenu Ă  GenĂšve le 17e sĂ©minaire sur les « DĂ©veloppements rĂ©cents en droit des marques », organisĂ© conjointement par le Licensing Executive Society Switzerland et l’IPI.

I. Jurisprudence du Tribunal fédéral

Emmanuel Piaget, greffier au TF, a ouvert les feux de ce sĂ©minaire en prĂ©sentant la jurisprudence rĂ©cente du TF en matiĂšre de signes distinctifs. En se basant sur la pĂ©riode de juillet 2018 Ă  octobre 2019, il a commencĂ© par constater que seuls deux arrĂȘts avaient Ă©tĂ© publiĂ©s (ATF 145 III 178, « APPLE » et ATF 145 III 83, « adb [fig.] ») sur les quinze rendus durant cette pĂ©riode, ce qui reprĂ©sente un pourcentage moins Ă©levĂ© que les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. AprĂšs avoir passĂ© en revue les diffĂ©rents commentaires rendus au sujet de cette jurisprudence, il a prĂ©sentĂ© en dĂ©tail quatre de ces arrĂȘts, dans le but d’en tirer des enseignements utiles pour de futurs cas. Il s’agissait ainsi, d’une part, d’offrir aux participants un suivi de l’évolution du droit matĂ©riel et, d’autre part, de leur permettre de mieux apprĂ©hender la façon de penser des juges de Mon-Repos ainsi que les critĂšres qui les guident dans leur prise de dĂ©cision.

C’est en suivant cet objectif qu’il a commencĂ© par Ă©voquer l’arrĂȘt publiĂ© « APPLE ». Dans cette affaire, l’IPI avait partiellement refusĂ© la demande d’enregistrement du signe « apple » en invoquant le fait que ce terme constituait un thĂšme possible ainsi qu’une forme, un motif ou un emballage qui n’était pas inattendu en lien avec une partie des produits en classe 14 et 28. Le TAF, saisi d’un recours, a retenu uniquement le caractĂšre usuel de la forme et du motif de la pomme pour les bijoux, colliers et bracelets en classe 14, ainsi que pour les produits en classe 28. Il a donc partiellement admis le recours de la sociĂ©tĂ© Apple Inc. Dans son recours au TF, celle-ci n’a pas invoquĂ© le fait que sa marque se serait imposĂ©e dans le commerce ou que sa notoriĂ©tĂ© devrait ĂȘtre prise en compte au stade de l’enregistrement, mais elle a fait valoir une modification de la signification du terme « apple ». Le TF a suivi son argumentation en retenant que, si le sens retenu ne correspond plus au sens lexical, mais qu’il renvoie Ă  une entreprise dĂ©terminĂ©e en raison de la notoriĂ©tĂ© exceptionnelle de cette derniĂšre, comme c’est le cas en l’espĂšce, ce sens ne peut ĂȘtre ignorĂ©. Emmanuel Piaget a soulignĂ© le caractĂšre particulier de cet arrĂȘt (« exception au carré »), qui Ă©voque Ă  la fois certains aspects du caractĂšre distinctif originaire, de l’imposition et du « secondary meaning », Ă  savoir le fait pour une indication de provenance d’avoir acquis une seconde signification ayant pour consĂ©quence la perte de son caractĂšre trompeur. Il l’a qualifiĂ©, comme l’avait fait le professeur Marchand pour le concept de responsabilitĂ© fondĂ©e sur la confiance, « d’ornithorynque juridique ». Eric Meier a prĂ©cisĂ© que l’IPI interprĂ©tait l’arrĂȘt « APPLE » de maniĂšre restrictive, aucun critĂšre prĂ©cis ne pouvant ĂȘtre tirĂ© de ce jugement sans risque de lĂ©ser le principe de la sĂ©curitĂ© du droit.

Emmanuel Piaget est ensuite revenu sur l’arrĂȘt « adb (fig.) ». Dans cet arrĂȘt, le TF a rejetĂ© la possibilitĂ© de se baser sur le droit de poursuivre l’usage antĂ©rieur d’une marque pour enregistrer Ă  titre de marque un signe protĂ©gĂ© par la loi fĂ©dĂ©rale concernant la protection des noms et emblĂšmes de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations intergouvernementales (LPNE), en l’occurrence « adb » (Asian Development Bank), lorsque le signe que le dĂ©posant souhaite protĂ©ger est dĂ©posĂ© dans une version diffĂ©rente de celle utilisĂ©e prĂ©alablement. Il a toutefois laissĂ© ouverte la question de savoir si le droit de poursuivre l’usage antĂ©rieur d’une marque (qui n’a pas Ă©tĂ© modifiĂ©e) permet Ă  l’utilisateur d’enregistrer son signe. La doctrine semble rejeter une telle possibilitĂ© (considĂ©rant 3.2 de l’arrĂȘt prĂ©citĂ©). Il faut toutefois relever certaines exceptions isolĂ©es, par exemple l’autorisation de l’usage de la croix suisse dans le cas oĂč cet usage aurait Ă©tĂ© autorisĂ© Ă  l’époque (art. 8 al. 4 let. f et 35 LPAP). Le Conseil fĂ©dĂ©ral cite notamment, dans son message relatif au projet « Swissness », l’exemple de la sociĂ©tĂ© Victorinox, qui pourrait demander le droit de poursuivre l’usage de l’armoirie suisse pour certains de ses produits (FF 2009, 7809). Emmanuel Piaget a Ă©mis des doutes quant Ă  la possibilitĂ© d’enregistrer un signe en se basant sur le droit de poursuivre l’usage antĂ©rieur, aucune limitation ne semblant Ă  ses yeux permettre un tel enregistrement. Il a attirĂ© l’attention des participants sur le fait que cet arrĂȘt reflĂ©tait tout Ă  fait la façon de penser des juges du Tribunal fĂ©dĂ©ral, qui ne tranchent une question de principe que si elle se pose concrĂštement dans un cas d’espĂšce et qu’il n’est pas possible de rĂ©soudre le cas d’une autre façon.

Emmanuel Piaget a ensuite prĂ©sentĂ© l’arrĂȘt non publiĂ© « Avia » (TF, sic ! 2020, 29 ss), qui portait sur une Ă©ventuelle pĂ©remption de l’action en prĂ©vention et en cessation de l’atteinte ainsi que sur la question du risque de confusion entre plusieurs raisons sociales, Ă  savoir « AVIA FĂ©dĂ©ration d’Importateurs Suisses indĂ©pendants en produits pĂ©troliers, SociĂ©tĂ© coopĂ©rative », « Avia SA » et « Swiss Avia Consult SĂ rl ». Le TC fribourgeois avait rejetĂ© l’objection de pĂ©remption et fait interdiction Ă  la dĂ©fenderesse d’utiliser le signe « Avia » figurant dans sa raison sociale. Suite au recours de la dĂ©fenderesse, le TF a commencĂ© par Ă©tudier la question de la pĂ©remption, en examinant si l’auteur de la violation avait acquis un intĂ©rĂȘt digne de protection suffisant au fil de l’usage de sa marque, Ă  savoir s’il risquait de subir de sĂ©rieux dĂ©savantages (notamment Ă©conomiques) en cas d’abandon du signe. AprĂšs avoir rĂ©pondu de maniĂšre nĂ©gative Ă  cette question, le TF s’est penchĂ©e sur la question du risque de confusion entre les raisons sociales des parties. À ce sujet, il a prĂ©cisĂ© que cette question avait dĂ©jĂ  fait l’objet de trois arrĂȘts du TF entre 1981 et 2000, pour des circonstances comparables. Le recourant n’ayant pas dĂ©montrĂ© en quoi l’apprĂ©ciation de la Cour devait ĂȘtre remise en question depuis lors, et le risque de confusion Ă©tant toujours Ă©tabli, le TF a rejetĂ© le recours Ă©galement sur ce point. Emmanuel Piaget a ainsi attirĂ© l’attention des participants sur les dangers d’une jurisprudence « poisson rouge », qui verrait les mandataires soumettre plusieurs fois la mĂȘme question au TF, dans l’espoir que celui-ci tranche une fois en leur faveur. La composition des Cours Ă©tant parfois similaire, mĂȘme Ă  plusieurs annĂ©es d’écart, le risque que la question soit Ă  nouveau soumise aux mĂȘmes juges est important.

Emmanuel Piaget a terminĂ© en prĂ©sentant l’arrĂȘt « Bentley » (TF, sic ! 2019, 87 ss) et en rĂ©sumant les diffĂ©rents degrĂ©s de preuve que doivent apporter les parties en lien avec la vraisemblance, respectivement la preuve de l’usage d’une marque dans le cadre des procĂ©dures civiles, d’opposition et de radiation pour dĂ©faut d’usage. Il a rappelĂ© que, dans le cadre d’une procĂ©dure d’opposition, l’opposant doit, suite Ă  l’invocation du dĂ©faut d’usage par le dĂ©fendeur, rendre (simplement) vraisemblable l’usage de la marque. Dans une procĂ©dure civile, si le demandeur doit rendre (simplement) vraisemblable le dĂ©faut d’usage, il appartient au dĂ©fendeur d’apporter la preuve de cet usage. Dans l’affaire prĂ©citĂ©e soumise au TF, la sociĂ©tĂ© anglaise Bentley avait demandĂ© en 2013 l’enregistrement de son signe notamment pour des produits en classe 14. Une sociĂ©tĂ© neuchĂąteloise, ayant dĂ©posĂ© en 1988 le mĂȘme signe pour les mĂȘmes produits, s’est opposĂ©e Ă  l’enregistrement de la marque. L’IPI a rejetĂ© l’opposition, estimant que l’opposante n’avait pas rendu vraisemblable l’usage de sa marque. La sociĂ©tĂ© anglaise a ensuite ouvert action en constatation de la nullitĂ© de la marque de la sociĂ©tĂ© neuchĂąteloise, action rejetĂ©e par le TC fribourgeois au motif que cette marque Ă©tait une marque d’exportation, qu’elle avait bien Ă©tĂ© apposĂ©e sur des produits en Suisse, que ceux-ci avaient Ă©tĂ© commercialisĂ©s Ă  l’étranger et que, partant, le dĂ©faut d’usage ne pouvait ĂȘtre retenu. Saisi d’un recours de la sociĂ©tĂ© anglaise, le TF l’a admis en retenant que la dĂ©fenderesse n’était pas parvenue Ă  apporter la preuve de l’usage de sa marque, et a donc prononcĂ© la nullitĂ© de la marque litigieuse. Dans cet arrĂȘt, le TF s’est ainsi prononcĂ© sur la question de « l’usage Ă  l’exportation », en admettant ce critĂšre dans le cas d’espĂšce. La marque « Bentley (fig.) » avait en effet Ă©tĂ© apposĂ©e sur le cadran de montres Ă  l’étranger, lui-mĂȘme posĂ© sur les montres dans le cadre du processus d’assemblage en Suisse avant leur exportation. Le TF s’est ensuite penchĂ© sur la question de savoir si la marque avait Ă©tĂ© utilisĂ©e conformĂ©ment Ă  sa fonction Ă  l’étranger, ce qu’il a niĂ©. Il a en effet estimĂ© que l’utilisation dans la sphĂšre interne de l’entreprise, ou par des sociĂ©tĂ©s Ă©conomiquement liĂ©es entre elles, ne constituait pas un usage Ă  titre de marque, le critĂšre dĂ©cisif Ă©tant la perception de l’usage par le consommateur. Dans cette affaire, pour dĂ©montrer l’usage de la marque, la dĂ©fenderesse aurait ainsi dĂ», sous l’angle du droit, convaincre la Cour que les consommateurs, malgrĂ© les « liens Ă©conomiques Ă©troits » (constatĂ©s) entre les sociĂ©tĂ©s (art. 105 LTF) peuvent percevoir que la marque est utilisĂ©e pour distinguer les produits et, sous l’angle du fait, dĂ©montrer que la constatation des « liens Ă©conomiques Ă©troits » est arbitraire.

II. NouveautĂ©s de l’IPI

Eric Meier a ensuite pris le relais pour prĂ©senter l’évolution rĂ©cente de la pratique de l’Institut en matiĂšre de marques ainsi que les projets en cours dans le domaine de la cyberadministration.

Il a commencĂ© par constater l’augmentation constante des demandes d’enregistrement de marques (+ 4 % par rapport Ă  l’exercice financier 2017/2018), en particulier des enregistrements internationaux dĂ©signant la Suisse (+ 8 %), ce qui a eu un impact direct sur le dĂ©lai d’examen des marques suisses (premier examen et traitement des maintiens/dĂ©cisions). Le dĂ©lai de traitement des demandes en examen anticipĂ© ou accĂ©lĂ©rĂ© reste toutefois trĂšs court, tout comme le dĂ©lai de traitement prioritaire des demandes de marques suisses contenant une demande d’extension internationale ainsi que des procĂ©dures d’opposition et de radiation. L’investissement de ressources dans la cyberadministration, dont les mandataires peuvent profiter depuis janvier 2020, a Ă©galement contribuĂ© Ă  l’augmentation de ce dĂ©lai d’attente. Face Ă  cette situation insatisfaisante, l’IPI a adoptĂ© plusieurs mesures, notamment l’engagement de nouveaux collaborateurs, la crĂ©ation de deux sections d’examen supplĂ©mentaires et l’extension de l’examen anticipĂ© aux demandes contenant jusqu’à trois termes non conformes Ă  l’aide Ă©lectronique Ă  la classification. Eric Meier a relevĂ© que la mise en place de ces mesures requiert toutefois du temps et que la situation devrait se stabiliser au cours de l’annĂ©e 2020.

Il a poursuivi en relevant le bilan trĂšs positif de la nouvelle procĂ©dure de radiation pour dĂ©faut d’usage de la marque. Cette procĂ©dure, introduite il y a trois ans, vise Ă  offrir une alternative simple, peu coĂ»teuse et rapide au procĂšs civil. Entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2019, l’IPI a reçu 137 demandes de radiation et rendu 77 dĂ©cisions​1. On ne constate pas d’essoufflement des demandes ni de dĂ©pĂŽts massifs ou abusifs. CalquĂ©e sur les rĂšgles de la procĂ©dure d’opposition, qui fonctionne trĂšs bien, l’instruction des dossiers se dĂ©roule sans problĂšme. La majoritĂ© des dĂ©cisions (68 %) sont closes par une dĂ©cision formelle, suite au retrait de la demande, d’un accord entre les parties ou de la radiation de la marque. Plus de 80 % des dĂ©cisions matĂ©rielles ont conduit Ă  la radiation de la marque attaquĂ©e, ce qui montre que la procĂ©dure est efficace. Cinq dĂ©cisions ont fait l’objet d’un recours auprĂšs du TAF.

S’agissant plus particuliĂšrement de la vraisemblance du dĂ©faut d’usage, Eric Meier a prĂ©cisĂ© qu’elle est toujours examinĂ©e, mĂȘme si la partie dĂ©fenderesse ne rĂ©pond pas ou ne la conteste pas expressĂ©ment. Le dĂ©faut d’usage Ă©tant un fait nĂ©gatif, il est souvent nĂ©cessaire d’avoir recours Ă  un faisceau d’indices pour le rendre vraisemblable​2. Lorsque le requĂ©rant estime que la marque n’a pas Ă©tĂ© utilisĂ©e conformĂ©ment Ă  l’art. 11 LPM, il doit le rendre vraisemblable, tout comme le fait que la marque n’a pas Ă©tĂ© utilisĂ©e autrement, par exemple sous une autre forme (dĂ©cisions IPI no 100046 et 100047 « Wire Card et Wire Card [fig.] »). Quant Ă  la vraisemblance de l’usage, elle n’a Ă©tĂ© examinĂ©e que dans six dĂ©cisions. Dans chaque cas, l’usage n’a pas pu ĂȘtre rendu vraisemblable. La question de l’usage partiel n’a encore fait l’objet d’aucune dĂ©cision.

Eric Meier a ensuite prĂ©sentĂ© deux changements de pratique rĂ©cents​3 de l’IPI quant aux indications relatives Ă  la forme des produits ainsi qu’aux dĂ©signations de couleur. S’agissant du premier point, l’IPI considĂšre, sur la base de l’arrĂȘt du TAF du 27 juillet 2018, B-7402/2016, « KNOT », qu’une indication relative Ă  la forme d’un produit n’est descriptive que si cette forme est usuelle (de maniĂšre gĂ©nĂ©rale) ou si elle reprĂ©sente un avantage pratique. Le principe selon lequel une forme, qui n’est pas usuelle mais tout de mĂȘme possible et en tout cas pas inattendue, doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme descriptive, est ainsi abandonnĂ©. Des marques comme CROCOS (IR 1238346 – classe 30) ou OCTOPUS (CH 734054 – classe 11) peuvent donc ĂȘtre admises Ă  la protection. Quant aux dĂ©signations de couleur, le motif de refus selon lequel la couleur reprĂ©sente un critĂšre d’achat pour le produit n’est plus appliquĂ©. Le nom d’une couleur sera refusĂ© si la couleur constitue un Ă©lĂ©ment caractĂ©ristique ou typique du produit, par exemple « BLANC » pour du dentifrice. Ce changement de pratique fait suite Ă  l’arrĂȘt « MAGENTA » (TAF du 3 octobre 2017, B-7196/2015), confirmĂ© par l’arrĂȘt KNOT prĂ©citĂ©. Les autres critĂšres Ă©numĂ©rĂ©s dans les Directives de l’IPI en matiĂšre de marques (Partie 5, ch. 4.4.2.7.8) restent inchangĂ©s​4.

Eric Meier a terminĂ© son exposĂ© par la prĂ©sentation du projet actuel de cyberadministration au sein de l’IPI, dont le but est d’amĂ©liorer les services Ă©lectroniques offerts aux clients, notamment en les associant aux procĂ©dures de l’IPI ainsi qu’au processus de la tenue des registres. Il a prĂ©cisĂ© que ce projet se concentre pour l’instant autour de trois axes, Ă  savoir le dĂ©veloppement d’une nouvelle base de donnĂ©es en matiĂšre de marques avec une recherche optimisĂ©e, les modifications en ligne du registre de marques ainsi que la communication Ă©lectronique des Ă©crits de l’IPI en matiĂšre de marques. La mise en place de ces nouvelles prestations est menĂ©e dans une approche itĂ©rative et en Ă©troite collaboration avec les reprĂ©sentants des utilisateurs.

Le premier axe de dĂ©veloppement concerne la communication Ă©lectronique des Ă©crits​5. Eric Meier a soulignĂ© qu’elle doit ĂȘtre menĂ©e dans un cadre lĂ©gal bien prĂ©cis, incluant notamment la loi fĂ©dĂ©rale sur la procĂ©dure administrative (PA), l’ordonnance sur la communication Ă©lectronique dans le cadre de procĂ©dures administratives (OCEI-PA) ainsi que la loi sur la signature Ă©lectronique (SCSE). Si la signature Ă©lectronique et l’utilisation d’une plateforme reconnue par la ConfĂ©dĂ©ration sont facultatives pour les communications d’écrits des usagers Ă  l’IPI, ce n’est en revanche pas le cas pour certains Ă©crits adressĂ©s aux usagers par l’IPI, comme les dĂ©cisions incidentes ou finales, qui doivent ĂȘtre munies d’une signature Ă©lectronique qualifiĂ©e ou d’un cachet Ă©lectroniquement rĂ©glementĂ©. La mise en place du nouveau systĂšme permettra Ă  l’utilisateur de recevoir notamment les dĂ©cisions finales et incidentes sous forme d’e-mail « recommandé », tandis que les autres documents, comme les certificats de dĂ©pĂŽt, les extraits de registre ou les modifications du registre lui seront communiquĂ©s par le biais d’un simple e-mail « signé ». Pour bĂ©nĂ©ficier de la transmission des Ă©crits sous forme Ă©lectronique, l’usager devra s’inscrire (gratuitement) Ă  l’une des deux plateformes reconnues par la ConfĂ©dĂ©ration (IncaMail et PrivaSphere) et donner son accord pour recevoir les Ă©crits sous forme de « recommandĂ© eGov Suisse ». De maniĂšre facultative, il est Ă©galement possible d’intĂ©grer l’une de ces plateformes dans son service de boĂźte e-mail habituel; cette intĂ©gration est cependant payante. En outre, l’usager devra demander de maniĂšre expresse Ă  l’IPI ce mode de communication, par le biais d’une nouvelle demande ou d’une requĂȘte sĂ©parĂ©e dans une procĂ©dure en cours avec la liste des procĂ©dures et des titres de protection concernĂ©s.

Le deuxiĂšme axe de dĂ©veloppement portera sur l’instauration d’une nouvelle base de donnĂ©es en matiĂšre de marques, avec une recherche plus performante et permettant la prise en compte de certains critĂšres particuliers, comme le caractĂšre de marque imposĂ©e, ou la combinaison de plusieurs critĂšres de recherche. Cette base de donnĂ©es existera dans un premier temps parallĂšlement Ă  Swissreg, qui restera l’organe de publication. Enfin, la troisiĂšme innovation prĂ©vue consiste Ă  permettre Ă  l’usager de faire ses demandes de modifications du registre en ligne.

III. Tour d’horizon de la jurisprudence communautaire

Le sĂ©minaire s’est poursuivi avec la prĂ©sentation de la jurisprudence rĂ©cente de l’UE par Arnaud Folliard-Monguiral, juriste auprĂšs de l’Office de l’Union europĂ©enne pour la propriĂ©tĂ© intellectuelle (EUIPO).

S’agissant de la clartĂ© et de la prĂ©cision du libellĂ© de la liste des produits et des services, Arnaud Folliard-Monguiral a d’abord invitĂ© les participants Ă  surveiller l’affaire « Sky plc v Skykick » (CJUE, C-371/18) sur laquelle la CJUE devait alors bientĂŽt se prononcer​6, puisqu’elle prĂ©sente un intĂ©rĂȘt pratique pour les dĂ©posants et leurs mandataires. La Cour devait notamment se dĂ©terminer sur la question de savoir si une marque de l’UE ou une marque nationale peut ĂȘtre dĂ©clarĂ©e partiellement ou totalement nulle au motif que la formulation d’un ou de plusieurs produit(s) et/ou service(s) n’est pas suffisamment claire, puisque cela empĂȘcherait les autoritĂ©s et les tiers de dĂ©terminer avec prĂ©cision le champ de protection de la marque. Elle devait Ă©galement dĂ©cider si le terme « logiciel » doit ĂȘtre considĂ©rĂ© comme Ă©tant trop vague et, le cas Ă©chĂ©ant, si ce terme se rĂ©vĂšle contraire Ă  l’ordre public, car induisant un monopole indu pour le titulaire de la marque. Enfin, la Cour devait dĂ©terminer si le fait de dĂ©poser une marque sans intention de l’utiliser relĂšve de la mauvaise foi et, si oui, si cela peut ĂȘtre le cas pour une partie seulement des produits et services revendiquĂ©s. Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite Ă©voquĂ© l’arrĂȘt du Tribunal de l’Union europĂ©enne « Fight Life » (TUE du 24 janvier 2019, T-800/17), qui prĂ©cise les exigences de formulation des services de vente au dĂ©tail de produits, ceux-ci devant ĂȘtre suffisamment prĂ©cis pour dĂ©terminer la sphĂšre de protection de la marque. Ainsi, l’indication « services de vente de produits de santé » est suffisamment prĂ©cise pour permettre une comparaison avec diffĂ©rents produits diĂ©tĂ©tiques et pharmaceutiques, car le consommateur s’attend Ă  trouver ces produits dans une pharmacie. Il en serait de mĂȘme pour des produits de bricolage. Dans un autre cas, l’expression « vente au dĂ©tail, en gros et par correspondance en relation avec les articles mĂ©nagers, produits Ă©lectroniques » a par contre Ă©tĂ© jugĂ©e trop imprĂ©cise (TUE du 1er dĂ©cembre 2016, T-775/15, « Ferli »). Ces exigences quant Ă  la formulation des services de vente au dĂ©tail dĂ©coulent originairement de l’arrĂȘt CJUE du 7 juillet 2005, C-418/02,« Praktiker » (ch. 52 en relation avec le ch. 34), dans lequel la Cour avait estimĂ© qu’il n’était pas nĂ©cessaire de dĂ©signer concrĂštement le service fourni dans le cadre du commerce de dĂ©tail de produits, mais que des prĂ©cisions quant aux produits ou types de produits concernĂ©s par ces services Ă©taient en revanche nĂ©cessaires.

Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite successivement prĂ©sentĂ© les arrĂȘts les plus importants en matiĂšre de motifs absolus d’exclusion. S’agissant des exigences de clartĂ© et de prĂ©cision du signe, il a Ă©voquĂ© l’arrĂȘt « Oy Hartwall Ab » (CJUE du 27 mars 2019, C-578/17), qui portait sur la marque suivante :

 

 

Cette marque ayant Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e comme marque de couleur. La Cour a estimĂ© qu’elle ne rĂ©pondait pas aux exigences de clartĂ© et de prĂ©cision de la marque, puisqu’elle est dĂ©limitĂ©e par un contour. Il existe donc une contradiction entre la reprĂ©sentation et la qualification de la marque, qui ne permet pas de dĂ©terminer clairement l’étendue de la protection. Dans le mĂȘme domaine, Arnaud Folliard-Monguiral a Ă©galement citĂ© l’arrĂȘt « Red Bull GmbH (CJUE du 29 juillet 2019, C-124/18), qui portait sur la protection Ă  tire de marque de deux couleurs juxtaposĂ©es, Ă  savoir :

 

 

Cette reprĂ©sentation graphique Ă©tait accompagnĂ©e de deux descriptions, la premiĂšre indiquant que la proportion occupĂ©e par chacune des deux couleurs Ă©tait « d’environ 50 % – 50 % », la deuxiĂšme que les deux couleurs Ă©taient juxtaposĂ©es et qu’elles seraient appliquĂ©es de façon Ă©gale.

Dans cet arrĂȘt, la Cour rappelle ses exigences quant au degrĂ© de prĂ©cision de la marque de couleur, Ă  savoir que la reprĂ©sentation de deux ou plusieurs couleurs, dĂ©signĂ©es de maniĂšre abstraite et sans contour, doit comporter un agencement systĂ©matique pour permettre au consommateur d’apprĂ©hender et de mĂ©moriser une combinaison prĂ©cise (CJUE du 24 juin 2004, C-49/02, « Heidelberger Bauchemie »). La juxtaposition de deux ou de plusieurs couleurs sans forme ni contour ou la mention de deux ou de plusieurs couleurs « sous toutes les formes imaginables » ne sont ainsi pas suffisamment prĂ©cises. Dans le cas « Red Bull GmbH », une simple indication des proportions de chaque couleur ne permet pas au consommateur de se faire une image prĂ©cise de la marque, de sorte qu’elle ne satisfait pas aux exigences de prĂ©cision prĂ©citĂ©es et doit ĂȘtre annulĂ©e. Lorsque la marque a Ă©tĂ© enregistrĂ©e sur la base d’un caractĂšre distinctif acquis par l’usage, les preuves de l’usage concret des couleurs peuvent ĂȘtre utilisĂ©es pour conclure Ă  la multiplicitĂ© des interprĂ©tations possibles.

À titre de comparaison, Arnaud Folliard-Monguiral a citĂ© la marque suivante, qui a Ă©tĂ© jugĂ©e suffisamment claire et prĂ©cise par le Tribunal de premiĂšre instance des CommunautĂ©s europĂ©ennes (TPICE du 28 octobre 2009, T-137/2018) :

 

The arrangement is described as being « green for the vehicle body and yellow for the wheels », as is shown by a picture attached to the application and reproduced below.

 

 

 

Il a Ă©galement Ă©voquĂ© la marque de couleur « Stihl », actuellement pendante, qui devrait ĂȘtre tranchĂ©e dans le mĂȘme sens (TUE, T-193/18).

Arnaud Folliard-Monguiral s’est ensuite arrĂȘtĂ© sur le caractĂšre distinctif d’une marque, en relevant que toutes les modalitĂ©s d’usage crĂ©dibles ou « significatives » d’une marque dans un secteur donnĂ© doivent ĂȘtre prises en considĂ©ration lors de l’examen de sa capacitĂ© distinctive et non pas seulement la modalitĂ© la plus probable (CJUE du 12 septembre 2019, C-541/18, « Signe Ă  mot-diĂšse [hashtag] »). Ainsi, dĂšs que la marque prĂ©sente un caractĂšre distinctif dans au moins une de ses modalitĂ©s d’usage, le signe doit ĂȘtre admis Ă  la protection. C’est par exemple le cas d’une marque susceptible d’ĂȘtre apposĂ©e tant sur l’extĂ©rieur d’un vĂȘtement, comme ornement non distinctif, que sur l’étiquette intĂ©rieur de ce vĂȘtement.

S’agissant des formes fonctionnelles, Arnaud Folliard-Monguiral a Ă©voquĂ© le cas « Rubik » (TUE du 24 octobre 2019, T-601/17), marque tridimensionnelle reproduite ci-dessous :

 

 

Dans cet arrĂȘt, le Tribunal de l’Union europĂ©enne a prĂ©cisĂ© les conditions d’application de l’article 7(1)(e)(ii) du RMUE. L’analyse d’une telle forme doit ainsi intervenir en deux temps, d’abord par l’identification des caractĂ©ristiques essentielles du signe tel que reprĂ©sentĂ©, sans Ă©gard au produit concret, puis par l’analyse de la fonctionnalitĂ© de ces caractĂ©ristiques, en tenant compte cette fois de la fonction exercĂ©e par le produit concret. En l’espĂšce, le Tribunal a constatĂ© que l’une des caractĂ©ristiques essentielles Ă  la fonction du puzzle tridimensionnel Ă©tait situĂ©e Ă  l’intĂ©rieur (non visible) du cube, de sorte qu’elle se rĂ©vĂ©lait insuffisante. Toutefois, en lien avec la seconde caractĂ©ristique apparaissant de maniĂšre suffisante dans le signe, Ă  savoir la prĂ©sence de carrĂ©s et de lignes noires, la caractĂ©ristique manquante |participe au rĂ©sultat technique final, de sorte qu’il est possible d’en tenir compte dans le cadre de l’analyse de la fonctionnalitĂ© des caractĂ©ristiques essentielles de la marque. Sur ce thĂšme, Arnaud Folliard-Monguiral a Ă©galement citĂ© l’arrĂȘt relatif Ă  la reprĂ©sentation de la rainure de pneu (TUE du 24 octobre 2018, T-447/16), arrĂȘt faisant actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation auprĂšs de la CJUE (CJUE, C-818/18 P). Selon la jurisprudence citĂ©e ci-dessus, Arnaud Folliard-Monguiral a indiquĂ© qu’il est trĂšs probable que cet arrĂȘt soit annulĂ©.

Arnaud Folliard-Monguiral s’est ensuite intĂ©ressĂ© Ă  l’acquisition du caractĂšre distinctif par l’usage, autrement dit l’imposition d’un signe Ă  titre de marque. Il a citĂ© l’exemple de la marque d’Adidas reprĂ©sentĂ©e ci-aprĂšs :

 

 

Dans cette affaire, Adidas prĂ©tendait que sa marque avait acquis un caractĂšre distinctif par l’usage. Dans l’examen des preuves soumises, le Tribunal a constatĂ© qu’une partie des preuves se rĂ©fĂ©rait au contraste inversĂ© de la marque, Ă  savoir des bandes blanches sur fond noir. Il a donc rejetĂ© ces moyens de preuve, estimant que le schĂ©ma de contraste de bandes noires sur fond blanc Ă©tait une caractĂ©ristique essentielle de la marque. Bien que la preuve du caractĂšre distinctif d’une marque puisse rĂ©sulter d’un signe « globalement Ă©quivalent », la probabilitĂ© qu’une caractĂ©ristique essentielle de cette marque soit altĂ©rĂ©e est proportionnelle Ă  son degrĂ© de simplicitĂ©. Le Tribunal a prĂ©cisĂ© que la renommĂ©e d’Adidas ne doit pas jouer de rĂŽle dans l’examen de ce caractĂšre distinctif.

S’agissant du grief de la mauvaise foi, la Cour a constatĂ© que l’intention du demandeur d’une marque constitue un Ă©lĂ©ment subjectif qui doit toutefois ĂȘtre dĂ©terminĂ© de maniĂšre objective par les autoritĂ©s judiciaires (CJUE du 12 septembre 2019, C-104/18P). La mauvaise foi n’exige pas l’utilisation par un tiers d’un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prĂȘtant Ă  confusion. Elle peut vicier l’ensemble d’un dĂ©pĂŽt, mĂȘme pour des produits et services pour lesquels les intĂ©rĂȘts du tiers ne sont pas lĂ©sĂ©s. La mauvaise foi peut ĂȘtre Ă©tablie par un large faisceau d’indices, dans des contextes diffĂ©rents, pour d’autres marques ou pour des produits non similaires (TUE du 23 mai 2019, T-3/18, « ANN TAYLOR »).

Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite prĂ©sentĂ© quelques arrĂȘts relatifs Ă  l’usage sĂ©rieux d’une marque. Dans l’affaire « Boswelan » (CJUE du 3 juillet 2019, C-668/17), le titulaire justifiait l’absence d’usage de la marque par le retard accumulĂ© dans la procĂ©dure de commercialisation du produit. La Cour a rappelĂ© que l’usage sĂ©rieux suppose la commercialisation des produits ou services visĂ©s ou des actes prĂ©paratoires rendant cette commercialisation imminente. La phase d’essai clinique ne justifie pas le non-usage d’une marque. Arnaud Folliard-Monguiral en a dĂ©duit que le dĂ©pĂŽt d’une marque ne doit pas ĂȘtre effectuĂ© trop tĂŽt en amont des essais cliniques. Il a ensuite Ă©voquĂ© le cas d’une marque tridimensionnelle reprĂ©sentant un four, qui avait Ă©tĂ© utilisĂ©e en lien avec un Ă©lĂ©ment verbal (CJUE du 23 janvier 2019, C-698/17). La Cour a estimĂ©, au contraire de l’opinion d’Arnaud Folliard-Monguiral, qu’il convenait de lier les deux Ă©lĂ©ments dans l’examen de l’usage de la marque et que cet usage conjoint n’altĂšre pas le caractĂšre distinctif du signe tridimensionnel si celui-ci est distinctif Ă  un degrĂ© plus Ă©levĂ©. Elle avait dĂ©jĂ  eu l’occasion d’examiner cette question dans l’arrĂȘt « SPECSAVERS » (CJUE du 18 juillet 2013, C-252/12), dans lequel elle avait considĂ©rĂ© que la condition d’usage sĂ©rieux peut ĂȘtre satisfaite lorsqu’une marque figurative n’est utilisĂ©e qu’en combinaison avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposĂ©e, la combinaison de deux marques Ă©tant, de surcroĂźt, elle-mĂȘme enregistrĂ©e comme marque communautaire, pour autant que les diffĂ©rences entre la forme sous laquelle la marque est utilisĂ©e et celle sous laquelle cette marque a Ă©tĂ© enregistrĂ©e n’altĂšrent pas le caractĂšre distinctif de ladite marque telle qu’enregistrĂ©e. Enfin, dans le cas d’une marque enregistrĂ©e notamment pour un logiciel ayant pour seule finalitĂ© de permettre la commande de produits tiers, l’usage n’a pas Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme sĂ©rieux, puisqu’il ne visait pas Ă  assurer un dĂ©bouchĂ© pour le logiciel en soi mais pour le produit Ă  l’achat duquel ce logiciel Ă©tait indispensable (TUE du 11 avril 2019, T-323/18, « ReprĂ©sentation d’un papillon »).

Arnaud Folliard-Monguiral a conclu son exposĂ© par une brĂšve prĂ©sentation de l’harmonisation jurisprudentielle des conditions pour qu’un dessin ou un modĂšle soit qualifiĂ© d’Ɠuvre et bĂ©nĂ©ficie ainsi de la protection accordĂ©e par la lĂ©gislation sur le droit d’auteur. Le demandeur doit notamment ĂȘtre en mesure de prouver qu’un tel dessin ou modĂšle porte une empreinte personnelle pour qu’il soit qualifiĂ© d’Ɠuvre, ce qui est trĂšs difficile Ă  dĂ©montrer. Par exemple, le fait que des vĂȘtements gĂ©nĂšrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthĂ©tique n’est pas de nature Ă  justifier leur qualification d’«Ɠuvres» (CJUE du 12 septembre 2019, C-683/17, « Cofemel »).

IV. Forum Shopping

Lorenza Ferrari Hofer, avocate en l’étude Pestalozzi Avocats SA, a conclu le sĂ©minaire en prĂ©sentant diverses rĂšgles de compĂ©tence en matiĂšre d’élection de for dans un contexte national et international. Elle a Ă©voquĂ© la dĂ©cision de la CJUE « AMS Neve vs Heritage Audio », qui a interprĂ©tĂ© l’art. 97 par. 5 du rĂšglement no 207/2009 en ce sens que « le titulaire d’une marque de l’Union europĂ©enne, qui s’estime lĂ©sĂ© par l’usage sans son consentement, par un tiers, d’un signe identique Ă  sa marque dans des publicitĂ©s et des offres Ă  la vente affichĂ©es par la voie Ă©lectronique pour des produits identiques ou similaires Ă  ceux pour lesquels ladite marque est enregistrĂ©e, peut introduire une action en contrefaçon contre ce tiers devant un tribunal des marques de l’Union europĂ©enne de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent des consommateurs ou des professionnels visĂ©s par ces publicitĂ©s ou ces offres Ă  la vente, nonobstant le fait que ledit tiers a pris les dĂ©cisions et les mesures en vue de cet affichage Ă©lectronique dans un autre État membre » (CJUE du 5 septembre 2019, C-172/18). Par le biais de ce « test de la focalisation », le requĂ©rant dispose donc d’un for au lieu oĂč se trouve le public cible de la publicitĂ© et des offres en ligne, et non plus au lieu oĂč la publicitĂ© et les offres en ligne sont mises en ligne. Lorenza Ferrari Hofer a ensuite rappelĂ© les critĂšres dĂ©coulant de la Convention concernant la compĂ©tence judiciaire, la reconnaissance et l’exĂ©cution des dĂ©cisions en matiĂšre civile et commerciale (Convention de Lugano) et de la jurisprudence suisse en matiĂšre de for, en interrogeant les participants sur l’impact que pourrait avoir la dĂ©cision de la CJUE sur la jurisprudence future. La multiplicitĂ© actuelle des fors peut en effet avoir certains avantages stratĂ©giques pour les mandataires (« forum shopping »), avantages qui pourraient ĂȘtre limitĂ©s par l’adoption du test de la focalisation en Suisse. Par ailleurs, la jurisprudence indĂ»ment restrictive quant Ă  la dĂ©termination de la compĂ©tence des tribunaux suisses Ă  raison du lieu, par exemple dans l’arrĂȘt du TF du 12 janvier 2017, 4A_360/2016, pourrait ĂȘtre modifiĂ©e. L’illustration de ces principes Ă  l’aide d’un cas fictif a permis de dĂ©montrer la grande variĂ©tĂ© de normes applicables en matiĂšre de compĂ©tence Ă  raison du lieu ainsi que la difficultĂ© de reconnaissance d’une dĂ©cision obtenue dans un autre pays.

En conclusion, Lorenza Ferrari Hofer a constatĂ© que les rĂšgles de compĂ©tence Ă  raison du lieu en matiĂšre de droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle prĂ©sentent diffĂ©rents avantages pour les mandataires. Le choix du for peut notamment influencer les coĂ»ts de la procĂ©dure selon le pays ou le canton choisi ou nĂ©cessiter la mise en place de services de traduction, Ă©galement coĂ»teux. Du point de vue du consommateur, le « forum shopping » entraĂźne une certaine insĂ©curitĂ© juridique. Elle a Ă©galement rappelĂ© les limites d’un tel systĂšme, notamment quant Ă  la catĂ©gorie d’action envisagĂ©e par le requĂ©rant ainsi qu’à la reconnaissance des dĂ©cisions Ă  l’étranger. Elle a saluĂ© l’adoption du test de la focalisation, en prĂ©cisant toutefois qu’un tel test peut Ă©galement avoir des effets indĂ»ment limitatifs dans certains contextes nationaux. Elle a notamment Ă©voquĂ© les Ă©ventuelles prĂ©fĂ©rences cantonales par rapport Ă  certaines catĂ©gories de produits. Lorenza Ferrari Hofer a toutefois constatĂ© que ces dĂ©bats sont plutĂŽt relatifs de nos jours, la plupart des violations de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle ayant dĂ©sormais lieu sur les rĂ©seaux sociaux, qui sont liĂ©s par des rĂšglements contractuels. La question ouverte, qui a clĂŽt ce sĂ©minaire, de l’éventuelle confrontation d’un for choisi par ce biais avec un for de compĂ©tence liĂ© aux droits intellectuels, a permis d’ouvrir l’esprit des participants sur cette thĂ©matique rĂ©solument tournĂ©e vers l’avenir.

Fussnoten:
*

Titulaire du brevet d’avocat, MLaw, juriste en marque à l’IPI, Berne.

1

État au 31 octobre 2019. A titre informatif, il est utile de prĂ©ciser que les dĂ©cisions de l’IPI relatives aux procĂ©dures de radiation pour dĂ©faut d’usage d’une marque peuvent ĂȘtre consultĂ©es sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/proteger-votre-pi/marqu​es/​apres-lenregistrement/utiliser-votre-marque/​procedure-de-radiation-pour-defaut-dusage-dune-marque.html>, mars 2020.

2

Pour un exemple de cas oĂč le dĂ©faut d’usage (utilisation de la marque pour des produits n’étant pas de provenance suisse) a Ă©tĂ© rendu vraisemblable Ă  l’aide d’une preuve directe : voir dĂ©cision de l’IPI n° 100092, partie V, let. B, ch. 9.

3

Ces changements de pratique sont entrĂ©s en vigueur le 1er juillet 2019 ; voir la Newsletter de l’IPI 2019/07, sous <www.ige.ch/de/datensatzsammlung/ige-newsletter/ige-fran​zoesisch/newsletter-marques/newsletter-20​1​907-marques.html>, mars 2020.

4

Les Directives de l’IPI en matiùre de marques sont disponibles sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/prestations/docu​ments-et-liens/marques.html>, mars 2020.

5

Depuis janvier 2020, l’IPI offre la possibilitĂ© de recevoir les Ă©crits qu’il envoie dans le cadre des procĂ©dures en matiĂšre de marques par voie Ă©lectronique; lire Ă  ce sujet la Newsletter de l’IPI 2020/01, sous <www.ige.ch/de/datensatzsammlung/ige-newsletter/ige-fran​zoesisch/newsletter-marques/newsletter-20​2001-marques.html>, ainsi que la section consacrĂ©e Ă  ce sujet sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/prestations/communication-et-paiement/soumission-et-reception-des-ecrits/communication-electronique.html>, mars 2020.

6

L’arrĂȘt a entre-temps Ă©tĂ© rendu: voir arrĂȘt CJUE du 29 janvier 2020, C-371/18, « Sky plc v Skykick ».