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Forum – Zur Diskussion / A discuter

Ligue Internationale du droit de la concurrence, congrĂšs 2007

Présentation succincte du rapport suisse et du rapport international

Christophe Rapin/Nadine Maier Viñas

Inhaltsverzeichnis

I.Introduction

II.Faut-il pouvoir exiger des licences de droits de PI en application du droit de la concurrence?

III.Les propositions du rapporteur international

IV.Les conditions auxquelles l’exercice de la licence doit ĂȘtre concĂ©dĂ©

V.Conclusion

Cette annĂ©e la Ligue Internationale du Droit de la Concurrence a choisi de faire porter l’un des deux thĂšmes en discussion lors de son congrĂšs international sur les rapports dĂ©licats entre le droit de la concurrence et les droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, plus particuliĂšrement la question des licences obligatoires. Le rapport international fut l’Ɠuvre de notre confrĂšre britannique, Tony Woodgate, alors que le rapport suisse a Ă©tĂ© conjointement rĂ©digĂ© par les soussignĂ©s. La contribution helvĂ©tique Ă  ce dĂ©bat n’est pour l’heure que trĂšs modeste dans la mesure oĂč il n’existe pour ainsi dire aucune pratique, mis Ă  part un arrĂȘt rendu par le tribunal de commerce de Berne qui Ă©voque la problĂ©matique sans y apporter de rĂ©ponse dĂ©finitive. Ceci dit, on relĂšvera que le dĂ©bat prend en Suisse une dimension sensiblement diffĂ©rente de celle qu’il revĂȘt dans les pays europĂ©ens qui nous entourent puisqu’il met en opposition des textes lĂ©gislatifs de rang Ă©quivalent lĂ  oĂč la mĂȘme question relĂšve Ă©galement, dans les pays membres de l’Union europĂ©enne, d’une opposition entre normes de rangs hiĂ©rarchiques diffĂ©rents. Cet aspect du problĂšme qui n’est pas expressĂ©ment abordĂ© par le rapport national ressort cependant assez clairement de la synthĂšse proposĂ©e, notamment en regard des contributions extra communautaires telles que celle du BrĂ©sil ou du Japon.

A titre liminaire, le rapporteur international rappelle que la question posĂ©e dans le cadre de ce dĂ©bat consiste en dĂ©finitive Ă  cerner le juste Ă©quilibre entre deux systĂšmes juridiques fondĂ©s sur l’apprĂ©hension par le droit public de questions Ă©conomiques. Le rĂŽle des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle (ci-aprĂšs «droits de PI») consiste Ă  fournir des incitations ou des rĂ©compenses Ă  des activitĂ©s tendant Ă  rĂ©aliser des progrĂšs techniques, artistiques ou Ă©conomiques qui, dans bien des hypothĂšses, seraient copiĂ©es ou simplement spoliĂ©es sans autre compensation en faveur de celui Ă  qui elles sont dues. A l’instar du systĂšme de protection des droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle, le droit de la concurrence est Ă©galement conçu afin de promouvoir le bien-ĂȘtre Ă©conomique, tant au niveau du fonctionnement de l’économie en gĂ©nĂ©ral que dans la perspective du consommateur.

D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il ressort des 12 rapports nationaux qu’au vu de l’importance fondamentale des rĂ©gimes de propriĂ©tĂ© intellectuelle dans le contexte d’une Ă©conomie de marchĂ© moderne, de leur nature Ă©laborĂ©e mais Ă©galement en raison des systĂšmes de contrĂŽle et d’équilibre internes qui les caractĂ©risent, des licences obligatoires de droits de PI ne peuvent intervenir que de maniĂšre strictement limitĂ©e et dans des circonstances exceptionnelles. Pour le rapporteur international, le caractĂšre exclusif des droits de PI ne doit en principe pas ĂȘtre affaibli du fait de l’interfĂ©rence du droit de la concurrence. Si une telle consĂ©quence devait entrer en ligne de compte il serait essentiel de garder Ă  l’esprit qu’une application bien comprise du droit de la concurrence ne devrait pas intervenir dans le but de protĂ©ger un concurrent du comportement d’un autre mais uniquement dans la perspective d’éviter que des accords ou des comportements ne portent une atteinte substantielle au processus de concurrence, au dĂ©triment du consommateur.

Dans une premiĂšre partie de sa dĂ©marche, le rapporteur international s’interroge sur la nĂ©cessitĂ© de prĂ©voir des mĂ©canismes d’octroi de licences obligatoires fondĂ©s sur le droit de la concurrence. La trĂšs grande majoritĂ© des rapports nationaux se rĂ©fĂšre sur ce point aux principes et conditions posĂ©s par la jurisprudence communautaire en la matiĂšre, en particulier les arrĂȘts Volvo v. Veng, Magill, TiercĂ© Ladbroke v. Commission, Oscar Bronner ou encore IMS Health.

Le rapport brĂ©silien prĂ©cise Ă  cet Ă©gard que tant la lĂ©gislation brĂ©silienne de droit de la concurrence que la loi sur les brevets prĂ©voient la possibilitĂ© d’obtenir des licences obligatoires fondĂ©es sur le droit de la concurrence. En particulier, une licence obligatoire est envisageable en droit brĂ©silien en cas d’exercice abusif d’un pouvoir Ă©conomique sur un marchĂ©. Cette remarque gĂ©nĂšre Ă  notre sens deux rĂ©flexions.

PremiĂšrement, la situation brĂ©silienne n’est pas sans rappeler la lĂ©gislation suisse puisqu’il existe, dans le mĂȘme ordre juridique, une certaine tension entre le droit de la concurrence et les rĂ©gimes de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle. En droit suisse, l’articulation se fait autour de l’art. 3 al. 2 LCart. Cette disposition dĂ©termine les rapports entre droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle et droit de la concurrence en prescrivant que la LCart «n’est pas applicable aux effets sur la concurrence qui dĂ©coulent exclusivement de la lĂ©gislation sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle».

Pendant longtemps, la rĂšgle posĂ©e Ă  l’art. 3 al. 2 LCart a Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©e comme Ă©tablissant une sĂ©paration totale entre le droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et le droit de la concurrence. Cette interprĂ©tation avait pour consĂ©quence d’immuniser le droit prĂ©fĂ©rentiel confĂ©rĂ© par une loi de propriĂ©tĂ© intellectuelle contre toute application du droit des cartels.

Aujourd’hui, la doctrine majoritaire est d’avis que cette disposition ne revĂȘt pas un caractĂšre absolu, dans la mesure oĂč l’applicabilitĂ© de la LCart ne doit finalement ĂȘtre exclue que si les effets sur la concurrence rĂ©sultent «exclusivement» de la protection d’un droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle, tel que l’art. 3 al. 2 LCart le prĂ©voit au sens strict du terme. A cet Ă©gard, il y a eu lieu de rappeler que dans une cĂ©lĂšbre affaire «Kodak», le Tribunal fĂ©dĂ©ral a estimĂ© qu’il y avait un abus au sens de l’art. 7 LCart, lorsqu’une entreprise ayant une position dominante utilise son droit Ă  l’importation «um den schweizerischen Markt abzuschotten und insbesondere unangemessene Preise oder sonst unangemessene GeschĂ€ftsbedingungen zu erzwingen».

Cependant, il n’existe Ă  ce jour pas de jurisprudence qui mette un terme Ă  ce dĂ©bat.

DeuxiĂšmement, l’écrasante majoritĂ© des rapports nationaux traite d’un droit de la concurrence supranational dont l’application prend assurĂ©ment aussi en compte l’absence d’un systĂšme complet, au niveau europĂ©en, de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle qui pourrait, par hypothĂšse, rĂ©gler la question des licences obligatoires, Ă  l’instar des droits nationaux. Sur 12 rapports nationaux, 10 en effet Ă©manent d’Etats membres de l’Union europĂ©enne.

Selon la conception qui prĂ©vaut dans l’Union europĂ©enne, les licences obligatoires prĂ©vues par les diffĂ©rents rĂ©gimes de droits de la propriĂ©tĂ© intellectuelle ne sont pas considĂ©rĂ©es comme relevant d’une forme de lex specialis par rapport au droit de la concurrence. En d’autres termes, la possibilitĂ© d’octroyer des licences obligatoires fondĂ©es sur le droit de la concurrence n’est pas d’emblĂ©e exclue par le fait que les lois de propriĂ©tĂ© intellectuelle contiennent des prescriptions spĂ©cifiques sur les licences obligatoires.

En Suisse, le rapport entre le droit de la propriĂ©tĂ© intellectuelle et le droit de la concurrence ne fait pas l’unanimitĂ© dans la doctrine. Il semble en tout cas exclu de s’appuyer sans autre sur la conception qui prĂ©vaut au sein de l’Union europĂ©enne. En effet, en Europe, la lĂ©gislation sur la propriĂ©tĂ© intellectuelle est du ressort des pays membres de l’Union, tandis que le droit de la concurrence est aussi rĂ©gi par des dispositions communautaires, ce qui pourrait en partie expliquer les raisons pour lesquelles l’application parallĂšle des deux lĂ©gislations est favorisĂ©e.

Dans une perspective helvĂ©tique, cette question ramĂšne naturellement Ă  celle de la portĂ©e de l’art. 40 LBI et la notion de licence obligatoire fondĂ©e sur l’intĂ©rĂȘt public.

L’art. 40 LBI prĂ©voit la possibilitĂ© d’octroyer une licence justifiĂ©e par l’intĂ©rĂȘt public. A teneur de cette disposition, celui qui s’est vu refuser l’octroi d’une licence par le titulaire du brevet sans raisons suffisantes peut, lorsque l’intĂ©rĂȘt public l’exige, demander que le juge lui accorde une licence obligatoire afin de pouvoir utiliser l’invention. L’intĂ©rĂȘt public peut ĂȘtre justifiĂ© par des motifs techniques, Ă©conomiques, sociopolitiques, Ă©cologiques ou mĂ©dicaux.

Le Tribunal de commerce du canton de Zurich a eu l’occasion de prĂ©ciser les contours de la notion d’intĂ©rĂȘt public au sens de cette disposition. Il a en particulier considĂ©rĂ© que lorsque des motifs d’intĂ©rĂȘt public justifient qu’il soit fait usage d’une substance brevetĂ©e dans le cadre de recherches scientifiques, ces motifs ne justifient pas l’utilisation libre de la substance protĂ©gĂ©e, mais tout au plus une licence obligatoire. L’instance cantonale a prĂ©cisĂ© que |mĂȘme dans l’hypothĂšse oĂč seul un petit nombre de patients peut ĂȘtre traitĂ© au moyen d’une substance thĂ©rapeutique qui entre en conflit avec un brevet existant, l’intĂ©rĂȘt public Ă  leur guĂ©rison l’emporte sur la protection confĂ©rĂ©e par le brevet et justifie l’octroi d’une licence obligatoire. Dans le cas d’espĂšce, le tribunal n’a toutefois pas fait usage de cette disposition.

La plupart des auteurs sont d’avis que la notion «d’intĂ©rĂȘt public» au sens de l’art. 40 LBI comprend Ă©galement l’objectif de concurrence efficace poursuivi par la loi sur les cartels de sorte que l’art. 40 LBI pourrait donc aussi s’appliquer en cas d’exploitation abusive d’un brevet par une entreprise ayant une position dominante ou d’accord entre entreprises portant refus d’octroyer une licence Ă  un tiers par exemple. La question de savoir si, au-delĂ  de cette disposition, il existe un intĂ©rĂȘt Ă  pouvoir octroyer des licences obligatoires directement sur la base de la LCart lorsque les mĂȘmes licences pourraient ĂȘtre octroyĂ©es sur la base de la disposition spĂ©cifique de l’art. 40 LBI fait l’objet d’un dĂ©bat animĂ©, dĂ©bat qui s’avĂšre nĂ©cessairement tronquĂ© au niveau communautaire, pour les motifs dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©s.

Stieger est d’avis que l’art. 40 LBI relatif Ă  l’octroi de licences obligatoires justifiĂ©es par l’intĂ©rĂȘt public prĂ©vaut sur les actions prĂ©vues aux articles 12 et 13 LCart en vertu desquels la victime d’une restriction illicite Ă  la concurrence peut demander notamment la suppression de l’entrave Ă  la concurrence, ce qui peut amener le juge Ă  condamner le dĂ©fendeur Ă  une obligation de contracter.

Calame et Rauber, en revanche, soutiennent la thĂšse de l’application parallĂšle de la LCart par rapport Ă  toutes les dispositions spĂ©cifiques de la LBI.

Hilty opĂšre une distinction entre les articles 40a LBI et 40c P-LBI, d’une part, et l’art. 40 LBI, d’autre part: il dĂ©fend la thĂšse selon laquelle les dispositions 40a LBI et 40c P-LBI, qui mentionnent expressĂ©ment les effets anticoncurrentiels justifiant l’octroi d’une licence obligatoire, doivent ĂȘtre considĂ©rĂ©es en tant que lex specialis par rapport Ă  l’art. 7 LCart. Pour ce qui est en revanche de l’art. 40 LBI, Hilty propose une application parallĂšle de la LCart, tout en soutenant que l’art. 40 LBI est dotĂ© d’un potentiel important dans la mesure oĂč celui-ci permettrait de prĂ©server la concurrence au-delĂ  des limites de l’art. 7 LCart.

L’assimilation de l’art. 40a LBI Ă  l’art. 40c P-LBI nous semble discutable. La premiĂšre des deux dispositions vise en effet Ă  transposer en droit suisse une norme de droit international qui fixe une limite au droit interne s’agissant de l’octroi de licences lĂ©gales.

Comme dĂ©jĂ  Ă©voquĂ©, la jurisprudence ne traite pas de cette question. L’arrĂȘt rendu par le Tribunal de commerce de Berne en 2005 fait mention de la problĂ©matique sans y apporter de solution dĂ©finitive. L’état de fait du cas d’espĂšce a d’abord Ă©tĂ© traitĂ© sous l’angle de l’art. 36 LBI; puis, le tribunal cantonal s’est briĂšvement penchĂ© sur la question de l’application de la LCart. Il a admis le principe de son application lorsque le titulaire d’un droit exclusif conclut des accords illicites ou abuse de sa position dominante tout en rejetant l’idĂ©e d’une application parallĂšle de la LCart lorsque le titulaire du droit exclusif ne l’exploite pas ou pas suffisamment. Il a nĂ©anmoins admis que l’application parallĂšle de la LCart pourrait ĂȘtre exceptionnellement envisagĂ©e dans le cas de biens ou services rĂ©pondant Ă  la thĂ©orie dite des «essential facilities». Toutefois, lorsque le titulaire du droit exclusif est en mesure de couvrir la demande, le tribunal estime qu’il n’y a alors plus de place pour l’application du droit de la concurrence.

Heinemann considĂšre, Ă  juste titre selon nous, que le tribunal de commerce de Berne aurait dĂ» procĂ©der diffĂ©remment en examinant tout d’abord si le dĂ©tenteur du droit de propriĂ©tĂ© intellectuelle ne se trouvait pas en position dominante, puis en se demandant si, dans le cas particulier, le refus de l’octroi d’une licence pouvait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme un abus de cette position.

La diffĂ©rence fondamentale selon nous entre le droit des brevets et le droit de la concurrence tient au fait que le second peut ĂȘtre mis en Ɠuvre par un juge ou par une autoritĂ© administrative. Cette distinction plaide Ă  notre sens pour l’application parallĂšle de ces deux rĂ©fĂ©rences juridiques afin que l’autoritĂ© puisse Ă©galement intervenir d’office dans le cas d’une situation illicite, sans nĂ©cessairement attendre qu’un lĂ©sĂ© n’actionne l’auteur.

Ceci Ă©tant dit, la question de l’éventuel manque d’expĂ©rience ou de compĂ©tence en matiĂšre de concurrence du juge civil saisi d’une action fondĂ©e sur l’article 40 LBI, trouve une rĂ©ponse assez Ă©vidente avec l’article 15 LCart lequel permet une intervention de l’autoritĂ© ad hoc tout en proposant par la mĂȘme occasion une solution Ă©quilibrĂ©e Ă  la question de la superposition du cumul des actions lorsque l’initiative Ă©mane d’une entitĂ© ou d’un particulier et non d’une autoritĂ©.

Sur ces questions le rapport international se rĂ©fĂšre Ă  l’article 295 du TraitĂ© sur l’Union europĂ©enne, lequel prescrit que le traitĂ© ne peut en aucune maniĂšre porter prĂ©judice aux rĂšgles Ă©tatiques rĂ©glant les rĂ©gimes de propriĂ©tĂ©. Sur cette question, le rapporteur international se rĂ©fĂšre Ă  l’abondante jurisprudence de la Cour europĂ©enne de Justice en la matiĂšre, notamment la distinction entre l’interfĂ©rence avec l’exercice d’un droit et son existence. Il relĂšve Ă  cet Ă©gard le caractĂšre conjoncturel de cette dĂ©limitation, laquelle doit naturelle|ment prendre en compte les objectifs de l’Union (libre circulation des marchandises par exemple) ainsi que les rĂ©glementations communautaires qui priment sur le droit national. Rappelant qu’en matiĂšre d’épuisement des droits de PI au niveau intra-communautaire, la Cour n’a pas hĂ©sitĂ© Ă  limiter de maniĂšre stricte les droits de PI nationaux, le rapporteur suggĂšre que la Cour ne devrait pas se sentir «inhibĂ©e» dans le dĂ©bat actuel.

On le voit, dĂšs lors qu’il intĂšgre une dimension supranationale, le dĂ©bat prend un tour bien diffĂ©rent d’un dĂ©bat purement national sur le conflit entre ces deux rĂ©gimes, au point que l’on peut s’interroger sur la portĂ©e de l’exercice comparatiste.

Une fois cette question de base Ă©puisĂ©e, le rapporteur international envisage diffĂ©rentes hypothĂšses afin de dĂ©terminer si la question centrale de l’octroi de licences obligatoires doit ou peut trouver des rĂ©ponses diffĂ©rentes en fonction des droits de PI concernĂ©s, ou parce que les droits envisagĂ©s ne font pas l’objet d’une protection lĂ©gale spĂ©cifique de PI (le know-how par exemple) ou encore en raison du caractĂšre immatĂ©riel du monopole qu’ils engendrent par opposition Ă  un monopole physique. Le rapport international analyse Ă©galement la nĂ©cessitĂ© de prendre en compte, dans le cadre de l’octroi d’une licence obligatoire, les relations antĂ©rieures entre le titulaire du droit et le demandeur de licence, la volontĂ© de ce dernier de dĂ©velopper un nouveau produit, l’importance des investissements, recherches ou autres efforts consentis par le titulaire du droit de PI ou encore l’intĂ©gration verticale du potentiel donneur de licence en regard du marchĂ© sur lequel le droit concĂ©dĂ© devrait ĂȘtre utilisĂ©.

L’examen de ces hypothĂšses a amenĂ© le rapporteur international Ă  formuler un certain nombre de propositions, dont les principales sont reprises ci-aprĂšs:

  • – La possibilitĂ© d’octroyer des licences obligatoires doit ĂȘtre fonction du droit de PI concernĂ©. En particulier, des licences de brevets devraient rarement ĂȘtre octroyĂ©es, compte notamment tenu de la courte durĂ©e de protection dont bĂ©nĂ©ficie le titulaire et qui est destinĂ©e Ă  valoriser l’investissement consenti.
  • – Les relations antĂ©rieures entre le titulaire des droits de PI et le demandeur de licence, en particulier des licences antĂ©rieures, crĂ©ent une prĂ©somption rĂ©fragable que le refus d’octroyer une licence est anticoncurrentiel.
  • – L’importance des efforts consentis en vue d’obtenir le droit de PI sujet Ă  une licence obligatoire ne devrait pas entrer directement en ligne de compte quant Ă  la question de l’octroi ou non d’une telle licence mais doit ĂȘtre prise en considĂ©ration s’agissant des conditions auxquelles la licence obligatoire serait dĂ©livrĂ©e.
  • – Si le demandeur de licence a eu l’occasion d’investir dans le produit faisant l’objet du droit en question avant sa reconnaissance en tant que droit de PI, il ne devrait en principe pas pouvoir prĂ©tendre Ă  une licence obligatoire.
  • – Si le demandeur de licence dispose d’une alternative, mĂȘme Ă  des coĂ»ts supĂ©rieurs ou dans un contexte technologiquement moins favorable, le droit de PI convoitĂ© ne devrait pas ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une facilitĂ© essentielle susceptible de justifier une licence obligatoire.
  • – Bien qu’une licence obligatoire puisse ĂȘtre obtenue aussi bien dans le contexte de rapports verticaux que de rapports horizontaux entre le titulaire et le preneur, il est essentiel de dĂ©terminer si le demandeur de licence entend concurrencer, dans un rapport horizontal, le titulaire du droit de PI. En matiĂšre de brevet et dans de telles circonstances, une licence ne devrait que rarement ĂȘtre octroyĂ©e.

Dans cette derniĂšre partie de son Ă©tude, le rapporteur international s’interroge sur les conditions dont doit ĂȘtre assortie une licence obligatoire une fois son principe admis. Dans la mesure oĂč les solutions varient d’un rapport national Ă  l’autre quant au point de savoir s’il incombe au juge ou Ă  l’autoritĂ© de concurrence de se prononcer sur ces conditions, la question est laissĂ©e ouverte.

S’agissant des critĂšres d’évaluation, le rapporteur international propose de prendre en compte les Ă©lĂ©ments suivants:

  • – les coĂ»ts de la recherche, y compris les recherches infructueuses;
  • – les risques du programme de recherche;
  • – la valeur Ă©conomique de la technologie;
  • – les coĂ»ts liĂ©s Ă  la mise Ă  disposition de la technologie, y compris les coĂ»ts de transaction;
  • – la nĂ©cessitĂ© d’encourager les entreprises Ă  dĂ©velopper leurs propres recherches plutĂŽt que de se tourner vers les licences obligatoires.

Le dĂ©bat relatif aux licences obligatoires de droits de PI fondĂ©es sur le |droit de la concurrence peut aller bien au-delĂ  des questions dĂ©battues en droit suisse sur les rapports entre droit de la concurrence et droits de PI. En particulier, les conditions d’octroi de telles licences ainsi que les conditions auxquelles une licence une fois octroyĂ©e peut ĂȘtre exercĂ©e peuvent faire l’objet d’une casuistique et de considĂ©rations extrĂȘmement fines et dĂ©taillĂ©es qui toutes, sur le papier, semblent frappĂ©es au coin du bon sens. Elles semblent nĂ©anmoins d’une extraordinaire complexitĂ© Ă  mettre concrĂštement en Ɠuvre, Ă  tout le moins lorsqu’il s’agit de tenter de modĂ©liser un rĂ©gime ou des solutions.

Ceci Ă©tant dit, lorsqu’une autoritĂ© de la concurrence est amenĂ©e Ă  se pencher sur la question et qu’elle a la possibilitĂ©, comme c’est le cas notamment en Suisse, de proposer des accords amiables ou d’imposer des conditions avant l’autorisation d’une fusion, elle pourra toujours, de facto, rechercher des solutions concrĂštes et adaptĂ©es aux effets constatĂ©s sur le marchĂ© analysĂ©, que celles-ci correspondent ou non Ă  un modĂšle dĂ©terminĂ©. Cette possibilitĂ© doit Ă  notre sens ĂȘtre encouragĂ©e dans la mesure oĂč l’autoritĂ© en question a la possibilitĂ© de se saisir d’office et d’intervenir dans le but de favoriser le fonctionnement du marchĂ© en faveur du consommateur, une dĂ©marche que l’on ne peut lĂ©gitimement pas attendre d’une partie Ă  un pur litige de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle.

Il convient enfin de relever que le dĂ©bat semble clairement dĂ©naturĂ© lorsque l’intervention au niveau du droit de la concurrence est la seule intervention possible afin de mettre en Ɠuvre des objectifs et des politiques supranationaux dans la mesure oĂč d’une part, l’alternative du litige de droits de propriĂ©tĂ© intellectuelle n’est pas de nature Ă  prendre en compte ces objectifs et ces politiques et, d’autre part, ces mĂȘmes objectifs et politiques entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de dĂ©finir la notion de «concurrence» Ă  promouvoir par l’autoritĂ© supranationale.