Le 9 novembre 2017 s’est tenu, à Genève, le séminaire annuel organisé conjointement par la License Executive Society Switzerland (LES-CH) et l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI) sur la thématique des « Développements récents en droit des marques ».
Me Philippe Gilliéron, avocat et Professeur à l’Université de Lausanne, rapporte une tendance à la baisse des recours portés devant le TAF, soit 66 en 2016 et 50 en 2017 avec un taux d’admission relativement bas: 27 recours admis pour 38 rejetés (recours radiés ou non entrée en matière, 11 respectivement 40).
Me Gilliéron a souligné l’impact que peut avoir le libellé des produits et services et a relevé l’importance que le TF accorde à l’indication générale (Oberbegriff) puisqu’il a confirmé la pratique selon laquelle il suffit que le motif d’exclusion s’applique à une partie des produits ou des services tombant sous l’indication générale pour qu’un signe soit exclu de l’enregistrement et ce même si, pour certains, l’enregistrement aurait pu être admis au regard de l’art. 2 LPM (Arrêt « Car-Net » – classe 9, 12 et 38 – 4A_618/2016).
Me Gilliéron a rapporté les conclusions de deux arrêts concernant les marques de position, dont l’arrêt « Louboutin » (4A_363/2016 et 4A_389/2016). Par analogie avec les marques 3D, la position n’est pas considérée, en soi, comme un signe distinctif, mais elle doit pouvoir être considérée comme inattendue, originale, ou comme marque imposée. Dans ces arrêts, le TF a considéré que cela n’était pas le cas (semelle consistant en un élément fonctionnel évident d’une chaussure [combinaison d’une couleur déterminante apposée sur la semelle de la chaussure n’est pas en soi inhabituel] et positionnement sur lampe de poche guère original).
Me Gilliéron s’est étonné de l’absence d’un sondage d’opinion et se demande s’il ne faudrait pas considérer les cercles concernés dans chaque cas d’espèce. Selon lui, ce n’est pas la position qui devrait revêtir un caractère distinctif mais la combinaison du signe et de la position.
À propos de la marque d’agent (art. 4 LPM), Me Gilliéron estime que c’est avec raison que le Tribunal a rappelé que l’agent a une obligation de loyauté et de fidélité vis-à-vis du titulaire, qui s’oppose à l’appropriation par l’agent de la marque du titulaire et que la détention d’une participation minoritaire au sein d’une société n’entrainait aucune obligation de loyauté et de fidélité par cette société qui en ferait un agent susceptible de tomber sous le coup de l’art. 4 LPM lors d’un enregistrement de marque susceptible de léser les droits du « titulaire » (4A_489/2016).
Me Gilliéron a ensuite présenté une rétrospective des arrêts du Tribunal administratif fédéral (TAF).
Il s’est penché tout d’abord sur l’art. 2 LPM.
Me Gilliéron a exposé un arrêt qu’il considère comme potentiellement important pour les fédérations sportives et organisateurs de dits événements, dans lequel il a été jugé que le public comprend la dénomination comme un renvoi à l’équipe, sans s’attendre nécessairement à ce que lesdits produits soient fabriqués en Allemagne (B-1428/2016, « Deutscher Fussball-Bund (fig.) ».
Avec l’arrêt « Mindfuck » (B-883/2016) le TAF a jugé que ce signe était propre à heurter les sentiments socio-éthiques, moraux, religieux ou culturels d’une partie de la population (prise en compte des minorités).
Dans l’arrêt « Salines Suisses » (B-6082/2015), le TAF a jugé que le monopole étatique conféré aux Salines de Bex, que le TAF a estimé connu d’une large partie du public, entraine l’octroi de droits exclusifs et le retrait desdites activités à d’autres entreprises et qu’à partir du moment où aucune autre entreprise ne peut conduire des activités identiques, il n’existe aucun besoin absolu de libre disposition.
Me Gilliéron a ensuite présenté les deux arrêts « Apple / Musiknote » (B-3088/2016) et « iMessage » (B-2592/2016) dans lesquels le TAF a rappelé le degré d’attention élevé pour les produits des classes 9, respectivement 9, 38 et 42. Il a jugé que l’icône (note de musique) en soi et le « i » étaient aisément compréhensibles pour les produits, resp. services enregistrés. Pour le second cas, malgré l’absence de force distinctive originale, le TAF a toutefois admis que les chiffres de ventes d’appareils sur lesquels l’application est installée est suffisant pour admettre le caractère imposé pour certains services de la classe 38.
Toujours pour la marque Apple, « Touch ID » (B-7995/2015), le TAF a rappelé que ce qui est important est la compréhension par le public suisse (expertise rendue par un expert de langue anglaise peu probant). Philippe Gilliéron estime que la protection de ce type d’icône est difficile.
Dans deux arrêts « CeramTec » (B-5182/2015 et B-5183/2015), le TAF a jugé la forme, resp. la couleur pas distinctive (la couleur monochrome pour des prothèses est usuelle). Le caractère imposé n’avait pas réussi à être démontré, la preuve reposant sur un sondage mené lors d’une foire de spécialistes en Allemagne ou seuls 8 sur 111 venaient de Suisse et aucun de Romandie ou du Tessin. Il n’avait pas non plus été établi que les 99 spécialistes restants étaient actifs en Suisse.
Me Gilliéron a présenté l’arrêt « E-cockpit » (B-5048/2014) dans lequel le TAF a rappelé le degré élevé d’attention pour les classes 9 et 42 et le degré d’attention moyen pour les classes 16 et 41, rejetant le recours pour les classes 9 et 42 refusées à la protection.
Dans l’arrêt « Cosmoparis » (B-7230/2015), le TAF a confirmé le refus de l’Institut (art. 2 lit. c LPM), l’élément « Cosmo » ne parvenant pas à mettre en retrait l’élément Paris, ville qui jouit d’une notoriété reconnue pour les produits concernés des classes 18 et 25.
Dans l’arrêt « Clos d’ambonnay » (B-5004/2014), le TAF a confirmé qu’il est suffisant pour que l’arrêt « Montparnasse » soit applicable qu’un signe soit enregistré pour les mêmes produits et services dans l’Etat étranger dont provient le nom géographique pour ne pas tomber sous le coup de l’art. 2 lit. a LPM, indépendamment de sa force ou son absence de force distinctive. L’enregistrement dans le pays d’origine a pour conséquence que l’usage du signe est réservé au titulaire, de sorte qu’on ne saurait retenir un besoin de disposition en Suisse.
En relation avec l’art. 3 LPM, plusieurs arrêts concernent le sujet de l’incorporation d’une marque antérieure dans une marque postérieure. Dans l’arrêt « Submarine / Mariner » (B-922/2015), le TAF a retenu la similarité des termes tant sur le plan visuel, sonore et sémantique, le risque de confusion résultant de la reprise de la marque antérieure, aucune exception n’étant applicable.
Dans l’arrêt « Sky » et « Sky TV / Skybranding » (B-1251), le TAF a confirmé l’existence d’un risque de confusion résultant de la reprise de la marque antérieure, l’adjonction du terme branding n’étant pas suffisante.
Dans l’arrêt « Croco (fig.) / Miss Croco » (B-2668/2016), le TAF a admis le risque de confusion en raison de la faible importance de l’élément figuratif ainsi que de l’adjonction du terme « Miss » pour des produits au sujet desquels le degré d’attention est réduit (snacks et sucreries).
Dans l’arrêt « Estrella Galicia (fig.) / Estrella Damm Barcelona (fig.) » (B-5226/2015), le TAF a confirmé la décision d’admission de l’opposition émise par l’Institut. Le TAF a considéré que l’adjonction des éléments « Damm » et « Barcelona » doivent être considérés comme faibles et donc impropres à exclure le risque de confusion résultant de la reprise du terme « Estrella ». Me Gilliéron a salué l’argumentation du TAF en ce que celui-ci a précisé qu’il n’est pas besoin de rendre vraisemblable l’usage pour des produits autres que la bière dès lors que la bière est similaire aux autres produits.
Dans l’arrêt « Joy / enjoy » (B-5312/2015), le TAF a considéré que l’adjonction de « en », au vu de la reprise de l’élément « Joy », n’écarte pas un risque de confusion.
Me Gilliéron a mentionné l’arrêt « Allianz / Allianz TGA (fig.) » pour les services en classe 37, 42. Le TAF a rappelé que la renommée de la marque « Allianz » en classe 36 ne lui profite pas pour les services des classes 37 et 42 et que l’élément Allianz est en soi faible et que les éléments ajoutés sont suffisants pour exclure le risque de confusion résultant de cette reprise.
Dans l’arrêt « Dona Esperanza / Alejandro Fernandez, Esperanza » (B-362/2015), le TAF a estimé que nonobstant la reprise de l’élément « Esperanza », effets sonores et sens des marques étaient différents (présence de l’élément « Dona » dans la marque opposante, « Esperanza » complétant le prénom féminin, tandis que la présence d’une virgule dans la marque attaquée en fait un élément séparé, secondaire aux prénoms et noms qui figurent en début).
Dans l’arrêt « Ice watch (fig.) / Nice watch » (B-1481/2015), le TAF a admis le risque de confusion car la structure donnée aux marques est identique et le traitement graphique du point de la lettre « i » est comparable.
Le TAF a estimé qu’il n’y a de reprise en tant que telle de la marque antérieure et donc pas de risque de confusion (B-7106/2014, « F1 / Fione [fig.] ») pour les classes 9, 35, et 42 (degré d’attention relativement élevé. Me Gilliéron considère d’une part que la conjonction de la reprise de la lettre « F », de « one » au milieu duquel se trouve l’élément « i » (rappelant le « 1 ») revient à évoquer dans l’esprit du public le signe « F1 » et d’autre part, s’interroge sur l’effet de la force distinctive dont jouit une marque de haute renommée sur sa propension à renforcer l’association directe dans l’esprit du public à d’autres produits et services.
Dans l’arrêt « V. Green Gold (fig.) / Green Gold by Wassner (fig.) » (B-7158/2016), le TAF a rejeté le recours à l’encontre de la décision de l’Institut qui a admis partiellement l’opposition pour les métaux précieux et rejetée pour le surplus. In casu, Green gold est descriptif et ne saurait entraîner un risque de confusion. L’interdiction de la reformatio in pejus a empêché le TAF de rejeter intégralement l’opposition.
- – Dans ses conclusions, Me Gilliéron a relevé les trois arrêts importants :
- – Marque de position : arrêt « Louboutin » (ATF 143 III 127)
- – B-1428/2016, « Deutscher Fussball Bund (fig.) »
- – B-5004/2014, « Clos D’ambonnay »
Arnaud Folliard-Monguiral, EUIPO, a présenté les nouveautés dans le contexte de la réforme législative du règlement no 2015/2424 (codifié par règl. no 2017/1001), règlement délégué no 2017/1430 et règlement d’exécution no 2017/1431 à savoir :
- – Un nouveau type de marque (marque de certification)
- – De nouveaux types de marques (de position, de motif, de mouvement, multimédia etc.)
- – Un nouveau régime pour l’interprétation des intitulés de classe
- – De nouveaux motifs absolus de refus
- – De nouveaux motifs relatifs de refus (ex. AOP/IGP)
Arnaud Folliard-Monguiral, EUIPO a identifié plusieurs thématiques :
La première concerne l’importance de l’identification de la catégorie à laquelle appartient la marque. Le choix de la nature de la marque demandée délimite le champ de la protection de la marque.
(Trib. UE, 27 juin 2017, aff. T-580/15, « Flamagas, SA / Euipo », « forme d’un briquet », pt 35 / CJUE, 21 janvier 2016, aff. C-170/15 P, « Enercon GmbH / Euipo », pt 29).
Dans le cadre d’une marque déposée en tant que marque tridimensionnelle, le Tribunal a relevé que l’élément essentiel est l’élément de forme et non l’élément verbal. Arnaud Folliard-Monguiral a relevé certains chevauchements entre marque figurative et marque de position. Une marque déposée comme marque figurative dont la description est qu’il s’agit d’une marque de position, composée de deux bandes arquées au développement circonférentiel substantiellement égales apposées sur les francs du pneumatique. Au final, ce qui ressort est que la marque de position se confond avec le produit (ne se détache pas des normes du secteur) (Trib. UE, 4 juillet 2017, aff. T-81/16, « Pirelli Tyre SpA / Euipo », « forme d’un pneu », pt 23-24).
Dans l’affaire préjudicielle pendante C-163/16, « Louboutin v. Van Haren Schoenen B.V », dépôt comme marque figurative avec la description: « la marque consiste en la couleur rouge Pantone 18-1683TP appliquée sur la semelle d’une chaussure telle que représentée (le contour de la chaussure ne fait pas partie de la marque mais a pour but de mettre en évidence l’emplacement de la marque ». Arnaud Folliard-Monguiral estime qu’à supposer que la semelle rouge soit une caractéristique qui donne sa valeur substantielle au produit, il faudrait l’apprécier au jour du dépôt de la marque ; en effet, il ne faudrait pas pénaliser « Louboutin » pour les investissements qu’il a effectués pour vendre ses chaussures à € 1000 et plus et le priver du succès qu’il a généré par la vente de ses chaussures. Le fait que la marque soit aujourd’hui reconnue comme donnant une valeur substantielle, un prestige particulier au produit ne peut pas être retenu contre la marque, si à la date de son dépôt, ce prestige n’existait pas. Selon lui, on doit faire abstraction des efforts de promotions réalisés qui ont contribué à enrichir la marque.
Arnaud Folliard-Monguiral a exposé ensuite trois types de marques différentes :
Marque individuelle – Marque de garantie – Marque collective
La question sur laquelle s’est penchée la cour de justice est celle de la fonction essentielle propre à chacune de ses marques.
En ce qui concerne la marque individuelle, dans un arrêt (CJUE, 8 juin 2017, aff. C-689/15, « W. F. Gözze Frottierweberei GmbH / Verein Bremer Baumwollbörse »), la Cour a considéré que lorsque l’usage d’une marque individuelle, tout en certifiant la composition ou la qualité des produits ou des services, ne garantit pas aux consommateurs que ces produits ou ces services proviennent d’une entreprise unique sous le contrôle de laquelle ils sont fabriqués ou fournis et à laquelle, par conséquent, peut être attribuée la responsabilité de la qualité desdits produits ou services, un tel usage n’est pas fait conformément à la fonction d’indication d’origine.
Arnaud Folliard-Monguiral a relevé que cela peut conduire à des situations injustes dans la mesure où les marques de garantie ont été introduites il y a peu de temps dans certains pays et que les titulaires de ces marques peuvent supporter les conséquences graves d’une catégorisation de la marque qui ne correspond pas à son usage.
En ce qui concerne la marque collective, Arnaud Folliard-Monguiral a exposé le cas « Darjeeling », opposition entre une marque de produits de lingerie et marque collective déposée pour du thé (CJUE, 20 sept. 2017, aff. C-673/15, « The Tea Board / Euipo »). La Cour a jugé que « c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé que la fonction essentielle d’une marque collective de l’Union européenne est de distinguer les produits ou les services des membres de l’association qui en est le titulaire de ceux d’autres entreprises, et non de distinguer ces produits en fonction de leur origine géographique».
Selon Arnaud Folliard-Monguiral, l’origine géographique des produits n’est en effet, pas un critère pertinent pour considérer que les produits seraient similaires.
Ainsi, la fonction essentielle de la marque collective est d’indiquer l’origine commerciale des produits et non de distinguer ces produits en fonction de leur origine géographique.
Détermination très claire de la Cour de Justice : marque individuelle, marque collective : fonction essentielle est la fonction de garantie d’origine / marque de certification a une fonction différente qui est celle de garantie de qualité.
Arnaud Folliard-Monguiral a évoqué deux problématiques, la première concerne l’effet non rétroactif des arrêts CJUE (19 juin 2012, aff. C-307/10, « Chartered Institute of Patent Attorneys » (IP Translator) et 7 juill. 2005, aff. C-418/02, « Praktiker »), avec la question de l’effet rétroactif de la nouvelle législation (Art. 33(5) et (8) Règl. 2017/1001) ainsi que la problématique de l’imprécision du libellé qui joue en défaveur du titulaire de la marque (Trib. EU, 6 avril 2017, aff. T-39/16, « Nanu-Nana / Euipo » (§ 47-48).
Arnaud Folliard-Monguiral a poursuivi avec un arrêt qui illustre la portée de protection des marques faibles et la reproduction d’un signe dans une marque plus récente (Trib. UE, 27 juin 2017, aff. T-13/15, « Deutsche Post AG / Euipo », « PostModern / Post »). Le tribunal dit qu’il n’y a pas de risque de confusion ([§ 44] […]) le propre de la « combinaison ludique et ingénieuse » des mots « post » et « modern » conduit, dans l’évocation du courant stylistique « postmoderne » que permet le jeu de mots « post modern », comme l’a constaté à juste titre la chambre de recours, à un changement de signification desdits mots, le substantif « post » devenant le préfixe « post » avec une signification différente.
(§ 52) Du fait de sa nature ludique, la marque demandée, en tant que terme d’ensemble usuel, forme ainsi une unité logique dans laquelle l’élément « post » n’a pas d’autonomie conceptuelle.
La portée de l’usage de la marque a été traitée dans une affaire d’action en déchéance formée contre une marque de l’Union qui dans les faits est utilisée uniquement en Italie (Trib. UE, 6 oct. 2017, aff. T-386/16, «Falegnameria Universo dei F.lli Priarollo Snc / Euipo »).
(§ 46) […] il n’est pas exclu que, dans certaines circonstances, le marché des produits ou des services pour lesquels une marque de l’Union a été enregistrée soit, de fait, cantonné au territoire d’un seul État membre. […]
(§ 52) Il s’ensuit, au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, que la chambre de recours a considéré, à juste titre, que, premièrement, la documentation produite par la requérante, pour la période pertinente, ne justifiait un usage de la marque contestée que pour le seul territoire italien. Deuxièmement, aucun usage hors du territoire italien, pour la période pertinente, n’a été documenté par la requérante, contrairement à ce que laissait entendre la division d’annulation par l’emploi, dans sa décision, de l’adverbe « principalement ». Troisièmement, les produits en cause ne présentaient aucune spécificité territoriale justifiant que leur usage soit limité au seul territoire italien.
Arnaud Folliard-Monguiral s’est ensuite penché sur l’usage sous une forme modifiée.
Dans un premier cas, le tribunal donne raison à l’utilisateur (usage sur papier en tête avec adresse et avec un autre élément – pas d’interaction entre les deux) (Trib. UE, 18 juillet 2017, aff. T-110/16, « Savant Systems LLC / Euipo » (marque verbale « savant »)
(§ 32) En outre, la représentation de la marque en cause aux côtés des sous-marques de l’intervenante ne correspond pas à la situation dans laquelle la marque en cause est utilisée sous une forme qui diffère de celle sous laquelle celle-ci a été enregistrée, mais bien à la situation où plusieurs signes sont utilisés simultanément sans altérer le caractère distinctif du signe enregistré. Ainsi, il est possible que deux ou plusieurs marques fassent l’objet d’un usage conjoint et autonome.
Dans un second cas, le tribunal a estimé qu’il y a une certaine interaction mais l’interaction est minime car « quality » est faiblement distinctif et n’affecte pas le caractère distinctif de la marque (Trib. UE, 28 juin 2017, aff. T-287/15, « Tayto Group / Euipo »).
(§ 34) L’élément « quality », qui est situé en dessous de la marque en cause, principalement sous l’élément « real », qui est écrit en lettres capitales dans une taille de caractères plus petite que celle de l’élément verbal « real » et qui est de couleur bleue, ne revêt, quant à lui, qu’un caractère purement laudatif et est faiblement distinctif, ainsi que la chambre de recours l’a relevé à bon droit. En outre, l’ajout, dans la marque utilisée, de la stylisation sous forme d’étiquette, dans laquelle tant les éléments de la marque en cause que l’élément « quality » sont insérés, présente un caractère purement ornemental, dès lors qu’il est situé en arrière-fond de la marque en cause et occupe de la sorte une position accessoire, ce qui ne lui confère pas de caractère distinctif propre.
Dans un troisième cas, « Cactus », marque enregistrée : élément verbal cactus avec élément figuratif cactus. L’usage de l’élément figuratif seul ne modifie pas le caractère distinctif de la marque (C-673/15 P & C-676/15P « Cactus »).
Compte tenu de la coïncidence dans le contenu conceptuel du mot et de l’objet qu’il représente, l’usage de l’élément figuratif seul suffit. Arnaud Folliard-Monguiral se réjouit de cette jurisprudence généreuse envers les utilisateurs.
Dans une affaire concernant la question de l’altération du caractère distinctif dans le cas d’une marque tridimensionnelle utilisée avec un élément verbal dessus (Trib. UE, 10 octobre 2017, aff. T-211/14 RENV, « Toni Klement / Euipo »), le tribunal a jugé que l’usage de la marque verbale avec la marque tridimensionnelle ne modifie pas la forme, car il s’agit d’un cas utilisation conjointe et autonome ; on perçoit toujours la marque de forme indépendamment de la marque qui est accolée dessus.
Arnaud Folliard-Monguiral a terminé son exposé en évoquant deux affaires de modèles (CJUE, 21 septembre 2017, aff. C-361/15P, « Easy Sanitary BV / Euipo »).
L’affaire concerne un drain pour douche composé de deux éléments : une cuve et une plaque de recouvrement. Le demandeur en annulation se fondait en particulier sur un catalogue dans lequel on voyait une plaque de recouvrement. La Cour de justice confirme qu’on ne peut pas comparer un produit complexe composé de deux éléments, (la cuve et la plaque de recouvrement) avec un seul de ses éléments (plaque de recouvrement).
Quid de l’Importance du secteur industriel ? Drain pour douche à usage domestique et cuve d’évacuation à usage industriel. La Cour de Justice dit que cela n’a pas d’importance pour l’examen de la nouveauté. Par le simple fait que le modèle antérieur a été divulgué dans un secteur industriel A. on doit considérer qu’il est également valable et opposable au titre de caractère individuel dans un secteur industriel B. même si les secteurs industriels sont différents.
Olivier Veluz, juriste en marque sénior à l’IPI, a regretté qu’il n’y ait pas encore eu de décisions dans le cadre de cette procédure de radiation. Un des facteurs de la longueur de la procédure est l’échange d’écritures double avec des prolongations de délai.
Olivier Veluz a tout d’abord présenté quelques chiffres. Il y a eu 42 demandes introduites entre le 1er janvier et le 31 octobre 2017, presque autant de marques suisses (26 procédures) que d’enregistrements internationaux (16 procédures), dont 19 titulaires sont domiciliés à l’étranger avec les difficultés de la notification à l’étranger exposées plus loin.
Olivier Veluz a ensuite présenté les expériences des notifications à l’étranger notamment en Australie, en Allemagne, en France, aux Pays-Bas, en Chine, aux États-Unis d’Amérique et en Belgique.
La notification de l’acte par lequel on invite une personne à désigner un représentant en Suisse est un acte de puissance publique uniquement si l’État en question tolère l’acte (Convention de La Haye relative à la signification et la notification à l’étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale).
Pour presque toutes les procédures (sauf 2 réglées par notification informelle), l’Institut fédéral de la propriété intellectuelle (IPI) a dû faire appel à la notification formelle. Pour les pays comme la France, les Pays-Bas et les Etats-Unis qui tolèrent la notification directe par voie postale, l’IPI a pu faire une notification directe par un courrier recommandé avec accusé de réception.
Pour l’Australie et l’Allemagne par exemple, l’IPI a dû faire appel à la notification formelle (Entraide via l’OFJ), procédure plus longue (ex, Australie : notification formelle: initiée le 18 avril 2017 ; acte notifié par l’Australie le 17 juillet 2017 ; récépissé des autorités australiennes reçu le 4 septembre 2017).
Olivier Veluz a abordé deux questions de procédures :
Selon l’art. 23 al. 4 OPM, l’IPI peut suspendre la procédure d’opposition lorsque la décision concernant l’opposition dépend de l’issue d’une procédure de radiation pour défaut d’usage, d’une procédure civile ou de toute autre procédure.
Dans une décision incidente du TAF (B-3788/2017 du 30 août 2017), celui-ci a rejeté la demande de suspension de la procédure de recours suite au dépôt d’une demande de radiation pour défaut d’usage. Le TAF a estimé que la procédure de radiation avait un objet différent de celui de la procédure d’opposition et que la demande de radiation ne concernait qu’une partie des produits et services et que cela n’avait aucune incidence sur la procédure de radiation. Le TAF considère cette décision comme un « Einzelfall »
Dans un cas similaire, Olivier Veluz précise que l’IPI suspendrait une telle procédure, même en cas de demande de radiation partielle : elle aura toujours une incidence sur le champ de protection sur la marque opposante et également sur le risque de confusion puisqu’il dépend du degré de similarité des produits et services.
Olivier Veluz a présenté les moyens de preuve déjà reçus dans les procédures en cours :
- – Rapport de recherches d’usage (période de recherches étendue)
- – Extrait de recherches Google (ponctuelles ou avec archives Internet (Wayback Machine))
- – Extrait du registre du commerce (la faillite du titulaire n’est qu’un indice du non-usage et non une vraisemblance du non-usage)
Olivier Veluz a cité l’arrêt « Bentley » important pour la question du défaut d’usage (TC-FR (102 2015 287) du 22 août 2017) dans lequel le tribunal fribourgeois a considéré que le défaut d’usage constaté par l’IPI dans une décision sur opposition permet de rendre vraisemblable le défaut d’usage dans une procédure civile en nullité confrontant les mêmes parties (consid. 3.2). Selon Olivier Veluz, l’IPI ne devrait pas arriver à une conclusion différente dans une procédure de radiation.
Olivier Veluz a rappelé qu’Eric Meier dans les éditions précédentes avait indiqué que l’IPI avait une pratique différente du TAF en la matière. Lors des workshops, l’IPI avait informé les participants que l’IPI avait décidé de changer de pratique. Olivier Veluz profite de ce séminaire pour expliquer quelles étaient les bases de réflexion pour le développement de cette nouvelle pratique à l’aide de 5 exemples.
Le thème de l’usage partiel sera abordé en 4 points :
- – La problématique
- – Raisonnement en deux étapes
- – Raisons de la nouvelle pratique
- – Solution minimale étendue de l’IPI
Olivier Veluz a rappelé la teneur de l’art. 11 LPM concernant l’usage de la marque : la protection est accordée pour autant que la marque soit utilisée en relation avec les produits ou les services enregistrés.
1er exemple : dans le cadre d’une marque enregistrée pour une catégorie très large (cl. 19: Matériaux à bâtir non métalliques).
Usage rendu vraisemblable pour des Parquets à lames larges (Landhausdielen). Quel est l’effet de cet usage partiel.
1ère étape : est-ce que l’usage de la marque est couvert par ce qui figure au registre.
Dans l’exemple concernant la décision no 14159, « Yo / Yoka », Cl. 32: Bières ; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques; boissons de fruits et jus de fruits; sirops et autres préparations pour faire des boissons.
Usage rendu vraisemblable pour des Sirops de fruits avec différents arômes et sirops sans autres précisions.
2ème étape : dans ce cas, l’IPI est arrivé à la conclusion que l’usage est couvert uniquement pour les sirops et autres préparations pour faire des boissons (par la question de la subsomption). En effet, un sirop n’est pas quelque chose que l’on consomme tel quel mais qui sert à préparer une boisson.
Qu’en est-il de l’effet de l’usage partiel lorsque l’on est en présence d’une liste qui comprend beaucoup de produits. Oliviez Veluz a présenté les trois solutions possibles à savoir la solution minimale, (usage rendu vraisemblable uniquement pour les Parquets à lames larges (qui était la pratique de l’IPI jusqu’au 31 décembre 2016), la solution maximale, l’usage pour un simple produit permet de valider l’usage pour toute l’indication générale (à savoir Matériaux à bâtir non métalliques), ou alors une solution intermédiaire, la solution minimale étendue. Dans le cadre de la solution intermédiaire, à savoir la solution minimale étendue, Olivier Veluz identifie trois approches possibles :
Pratique du TAF (Jurisprudence « Gadovist » (B-5871/2011), qui correspond à la doctrine majoritaire (Marbach / Volken / Wang), l’usage valide le droit à la marque pour l’indication générale lorsque :
- – usage futur présumé et attendu par les destinataires
- – usage prototypique pour l’indication générale
- – indication générale définie de manière étroite et précise
- – assortiment courant d’un « fournisseur » (Anbieter) typique de la branche.
Pratique allemande Jurisprudence « Cynaretten » (BPatG 25 W (pat) 52/02) et « Culinaria » (BGH I ZR 85/11), l’usage valide le droit à la marque pour des produits relevant de la « même » catégorie de produits ou services (aus dem « gleichen » Bereich).
Catégorie de produits et services qui concordent quant à leurs propriétés, ainsi qu’à leur but et à leur destination.
Pratique EUIPO / T-UE Jurisprudence « Aladin » (T-UE T-126/03) et « Respicur » (T-UE T-256/04), l’usage pour un produit spécifique appartenant à une catégorie plus large de produits valide le droit à la marque pour la sous-catégorie autonome à laquelle ce produit spécifique appartient, les sous-catégories autonomes étant définies au regard de la finalité et de la destination des produits.
La nouvelle pratique de l’IPI est due à l’introduction au 1er janvier 2017 de la nouvelle procédure de radiation pour défaut d’usage: l’usage partiel a un effet direct sur le registre, et la question de l’usage partiel ne peut pas être laissé ouverte. L’IPI a ainsi choisi de développer une pratique qui tient compte des solutions EUIPO/T-UE et des tribunaux allemands, à savoir une solution minimale étendue (TAF B-6249/2014, consid. 4.6, « Campagnolo (fig.) / F.LLI Campagnolo (fig.) » : approche du TAF correspond à la solution minimale étendue du droit allemand).
La casuistique est établie depuis 2003 et implique une meilleure prévisibilité des décisions ainsi qu’une « harmonisation » des pratiques des membres de l’Union européenne. Oliviez Veluz précise que dans la mesure où ces cas s’apparentent à des case law, qui dépendent de ce qui est inscrit au registre, pour quels produits la marque est utilisée et les conclusions des parties, tous les cas de figure ne sont pas couverts par la jurisprudence UE, il faudra voir l’évolution de la pratique de l’IPI ainsi que la jurisprudence du TAF et TF.
Ainsi, l’IPI va dorénavant procéder à cette analyse dans chaque cas. A certaines conditions, l’usage pour un produit spécifique valide le droit à la marque pour l’indication générale qui l’englobe. L’IPI n’utilise pas les critères de la similarité des produits et services de l’art. 3 al. 1 let. b et c LPM, qui sont trop vastes, l’IPI n’utilise pas non plus le critère de leur lieu de fabrication ou de distribution habituel, qui est plutôt un critère de la similarité des produits.
Olivier Veluz a précisé ce qu’était une Indication formulée en des termes larges et sous-catégories : elle recouvre une indication/catégorie qui regroupe une vaste gamme de produits ou services ou qui comprend des produits ou services par nature différents. Ainsi, le droit à la marque ne peut s’étendre qu’à des produits ou services suffisamment différenciés pour pouvoir constituer des catégories ou sous-catégories de produits ou services cohérentes, ces catégories ne pouvant être divisées sans arbitraire (Directives IPI, Partie 5, ch. 5.4.5.2).
L’IPI procède à l’analyse selon le schéma suivant : à certaines conditions, l’usage pour un produit spécifique valide le droit à la marque pour l’indication générale qu’il englobe.
Tout d’abord, l’IPI fait la subsomption : on a comme résultat de la subsomption une catégorie formulée en des termes plus ou moins large. Si elle est suffisamment cohérente pour former un tout, (pas de subdivision possible), l’effet de l’usage partiel est étendu à cette catégorie générale. En revanche, si une sous catégorisation est possible, on la définit avec une mini-Subsomption et on examine sous quelle catégorie le produit tombe et on va vérifier si cette sous-catégorie est suffisamment cohérente ou non et ainsi de suite.
Olivier Veluz a indiqué quels sont les critères pour délimiter les sous-catégories.
Produits ou services qui concordent d’un point de vue objectif quant à leurs propriétés, leur finalité et leur destination (Directives, Partie 6, ch. 5.4.5.2). Ce sont des critères primordiaux, car le consommateur recherche avant tout un produit ou un service qui pourra répondre à ses besoins spécifiques, ils sont essentiels dans l’orientation du choix du consommateur, appliqués préalablement à tout achat (T-UE 256/04 § 29, « Respicur »)
Les critères de la propriété, de la finalité et de la destination peuvent être définis par les questions suivantes : À quoi sert le produit ou le service ? Et pourquoi ou dans quel but le produit ou le service est-il acheté en principe du point de vue de son destinataire final?
Olivier Veluz a fourni quelques exemples :
- – Médicaments à base de tamsulosine utilisés dans le traitement des symptômes de l’hyperplasie bénigne de la prostate → médicaments dans le domaine de l’urologie (TAF B-2678/2012, « Omix / Onyx Pharmaceuticals »)
- – CD et DVD enregistrés → supports enregistrés (Chambre de recours EUIPO R 1932/2014-2, « Celluloid Records / Celluloid »)
- – Décision d’opposition n° 14159 « Yo / Yoka » :
Marque enregistrée en cl. 32 : Bières; eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques; boissons de fruits et jus de fruits ; sirops et autres préparations pour faire des boissons.Usage rendu vraisemblable pour : Sirops de fruits avec différents arômes et sirops sans autres précisions.Effet de l’usage partiel: Sirops et autres préparations pour faire des boissons.
- – Décision d’opposition n° 14368 « bianca / biancaluna »
Marque enregistrée en cl. 25 : Vêtements.Usage rendu vraisemblable pour : Vêtements pour femme, à savoir pantalons, chemisiers, vestes, t-shirts, blazers et jupes et écharpes.Effet de l’usage partiel : Vêtements de dessus pour femme et écharpes.Ceci correspond à la jurisprudence européenne (T-UE T-392/04, « Manou / Manu Manu Manu », T-UE T 336/16, « Versace » : vêtements de luxe ≠ sous-catégorie autonome
- – Décision d’opposition no 13 680,« Paradix / Rouge du Paradis »
Marque enregistrée en cl. 33 : Alcools et eaux-de-vie, liqueurs, spiritueux et apéritifs divers.Usage rendu vraisemblable pour : Eaux-de-vie de vin bénéficiant de l’AOC Cognac.Effet de l’usage partiel : Eaux-de-vie de vin, brandy, eau-de-vie de marc de raisin et eau-de-vie de raisin sec.Origine géographique ≠ critère pertinent (cf. ég. T-UE T-489/13 « Villa Alberi (fig.) / V Viña Alberdi »)L’IPI s’est servi de la législation suisse qui prévoit des catégories très spécifiques.
- – Décision d’opposition no 14384 « tilo / Tilag »
Marque enregistrée en cl. 19 : Matériaux à bâtir non métalliques.Usage rendu vraisemblable pour : Parquet à lames larges.Effet de l’usage partiel: Revêtement de sol d’intérieur en bois.
- – Décision d’opposition n° 14138 « IPAD / MI PAD »
Marque enregistrée en cl. 9 : Ordinateurs, matériel informatique (…)Usage rendu vraisemblable pour : Tablettes informatiques.Effet de l’usage partiel : Ordinateurs portables.Peut-on faire des sous-catégories pour les ordinateurs portables ? Si on regarde la réalité du marché, ce n’est pas justifié de faire des sous-catégories.= prise en compte de ce qui existe sur le marché (ultra-portable)≠ créer des sous-catégories artificielles (cf. ég. Chambre de recours EUIPO R 1010/2016-4, « VIETA »)
Olivier Veluz a conclu en précisant que depuis le 1er janvier 2017, l’IPI a rendu environ une quinzaine de décisions et le critère de l’usage partiel figure maintenant dans l’aide à l’examen.
Selon Me Michele Burnier il existe des dispositions dans le CPC (intérêts dignes de protection des parties [art. 156 et 163 al. 2 CPC]), dans la PA (intérêts privés importants [art. 27 al. 1 let. b et 27 al. 2 PA] et prise en considération des pièces tenues secrètes [art. 28 PA] ainsi que dans les lois spéciales, dans la LBI (sauvegarde du secret de fabrication ou d’affaires [art. 68 LBI], et mesures provisionnelles [art. 77 al. 1 let. b et al. 3 LBI].
Me Burnier renvoie pour la définition du secret à la publication de Me Schlosser. La notion de secret est une disposition large qui englobe aussi les droits de la personnalité, des parties et des tiers. Elle retient la définition du Tribunal Fédéral :
« Constitue un secret, au sens de ces dispositions, toute connaissance particulière qui n’est pas de notoriété publique, qui n’est pas facilement accessible, dont un fabricant ou un commerçant a un intérêt légitime à conserver l’exclusivité et qu’en fait il n’entend pas divulguer. […] Par secrets de fabrication, on entend les recettes et moyens de fabrication qui ne sont pas publics et qui revêtent une grande valeur pour le fabricant; par secrets commerciaux, on entend la connaissance de sources d’achat et de ravitaillement, et celles relatives à l’organisation, la calculation du prix, la publicité et la production ». ATF 103 IV 283; cf. également TF 2C_1009/2014 et une définition plus restrictive en droit du travail « Pour être qualifiées de secrets d’affaires ou de fabrication, les connaissances acquises au sein de l’entreprise doivent toucher à des questions techniques, organisationnelles ou financières, qui sont spécifiques et que celle-ci veut garder secrètes; il ne peut s’agir de connaissances qui peuvent être acquises dans toutes les entreprises de la même branche ».
C’est une notion qui est subjective au domaine en question, notamment dans le monde du droit du travail.
Parmi les diverses mesures de sauvegarde visant à sauvegarder les secrets, on peut citer notamment le caviardage des documents, la consultation au greffe et l’interdiction de lever des copies, l’interdiction à une partie de participer à l’audition d’un témoin, l’engagement écrit de garder le secret sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP. Dans la pratique en ce qui concerne le caviardage, Michele Burnier préconise d’envoyer deux exemplaires au juge dont un seul est caviardé afin que le juge ait les informations nécessaires.
Dans la mesure où la sauvegarde d’un secret limite le droit d’être entendu, le secret est à interpréter restrictivement, la vraisemblance de l’existence d’un secret devrait suffire selon la doctrine. Un recours au TF est possible contre une ordonnance de preuves rendue par le juge, s’il y a un risque de préjudice irréparable.
Me Burnier a souligné que les mesures de sauvegarde préconisées sont similaires (TF 1A.241/2003, 5A_361/2010 et TAF A-1936/2006 (résumé de rapports), anonymisation (VPB 67 (2003) N 59), mais que la jurisprudence semble exiger un intérêt prépondérant (überwiegend) plutôt qu’un intérêt important (wesentlich) à garder le secret (27 PA).
Disposition dans les lois spéciales :
Art. 36 al. 3 OPM : Lorsqu’un document justificatif contient des secrets de fabrication ou d’affaires, il est, sur demande, classé à part. Ce fait est mentionné dans le dossier.
Art. 65 LBI et 89 al. 2 OBI
Art 65 : Après la publication de la demande de brevet, toute personne peut consulter le dossier. Le Conseil fédéral ne peut limiter ce droit de consultation que lorsque des secrets de fabrication ou d’affaires ou d’autres intérêts prépondérants s’y opposent.
Art. 89 al. 2 : Celui qui joint aux pièces un titre probant et déclare que celui-ci divulgue des secrets de fabrication ou d’affaires peut demander qu’il soit classé à part. L’existence de tels titres est mentionnée dans le dossier. Art. 27 al. 2 LDes et 22 al. 2 ODes.
Art. 27 al. 2 : Le dossier des designs enregistrés peut également être consulté. Le Conseil fédéral ne peut restreindre le droit à la consultation du dossier qu’à la condition que le secret de fabrication ou d’affaires ou d’autres intérêts prépondérants s’y opposent.
Art. 22 al. 2 : Les titres probants contenant des secrets de fabrication ou d’affaires ainsi que d’autres informations, à la non-divulgation desquels le déposant a un intérêt légitime, sont classés à part sur requête. Ce classement à part est mentionné dans le dossier.
Me Burnier a enfin posé la question de l’applicabilité future de la LPD révisée et son incidence sur le droit de la consultation ainsi que de l’applicabilité de la Ltrans avant de passer la parole à Me Schlosser qui a passé en revue la question de la formulation des conclusions au travers de plusieurs arrêts. Il a souligné l’importance de ces conclusions qui doivent être suffisamment précises.
Le TAF a précisé que les conclusions en interdiction doivent décrire avec précision le comportement dont le demandeur sollicite l’interdiction. La partie visée doit comprendre ce qu’elle n’est plus en droit de faire et les autorités d’exécution ou les autorités pénales doivent savoir quels actes elles doivent empêcher ou assortir de sanctions (ATF 131 III 70 consid. 3.3, « Sammelhefter »).
Sont irrecevables (le cas échéant partiellement) les conclusions comprenant les éléments suivants car elles ne sont pas suffisamment précises : « et toute autre dénomination susceptible de créer un risque de confusion avec le signe Y », « seule ou avec des adjonctions dépourvues de force distinctive », « utiliser à titre de signe distinctif » (CR PI, art. 55 LPM N 5 ; SHK MSchG, art. 55 N 37).
Dans l’arrêt TF, 5A_658/2014, « Carl Hirschmann », le tribunal a estimé que « si le litige porte sur l’interdiction de communications futures, on ne peut exiger du demandeur qu’il formule des conclusions dans lesquelles il anticipe et précise jusque dans les moindres détails le texte par lequel l’entreprise de médias menace de porter atteinte à sa personnalité ».
Me Burnier s’est ensuite penchée sur la légitimation active et passive dans les groupes de sociétés. Elle a rappelé que la légitimation active et passive (ou respectivement la qualité pour agir) dépend toujours de la nature et de l’objet de l’action intentée et que les dispositions des lois spéciales (LPM, LBI, LDes, LDA) prévoient plusieurs types d’actions (en interdiction, en cessation, en fourniture de renseignements, réparatrices, en nullité, en confiscation, en cession) pour lesquelles la légitimation peut considérablement varier.
En ce qui concerne la légitimation en procédure d’opposition, Me Burnier a évoqué une décision (TAF B-6608/2009) selon laquelle dans le cadre d’un usage au sein d’un groupe de sociétés, l’opposition est irrecevable car la licence a été octroyée après le terme du délai d’opposition (également TAF B-5165/2011). Par ailleurs, la « légitimation active » est une condition de recevabilité qui, si elle fait défaut à l’échéance du délai d’opposition, conduit à « l’irrecevabilité de l’opposition ».
Dans le cadre de la procédure administrative d’invalidation, la légitimation active est donnée à toute personne qui peut déposer auprès de l’IPI une demande de radiation de la marque pour défaut d’usage au sens de l’art. 12 al. 1 LPM ; il n’est pas nécessaire de justifier d’un intérêt particulier. La légitimation active en procédure civile varie en fonction de la nature de l’action. Dans le cadre de l’action en constatation (ATF 136 III 102, « Yello »), le TF a précisé que la constatation du demandeur ne doit pas être restreinte aux mêmes classes de produits ou de services que celles pour lesquelles le demandeur a fait inscrire un signe dans le registre des marques. Dans un arrêt du TF (sic! 2017, 311), il a été précisé dans le cadre de la légitimation passive de l’action en exécution que l’utilisation d’une marque protégée par un tiers ne signifie pas que celle-ci se fait avec le consentement du titulaire, même si le tiers est membre du même groupe de société.
Me Schlosser a ensuite présenté plusieurs arrêts concernant l’expertise privée, qui est un moyen de preuve admissible en procédure administrative. Toutefois, la valeur probante est en général moindre que celle d’une expertise judiciaire. En effet, dans une expertise privée, la partie soumet à l’expert une présentation subjective des faits litigieux et l’expert ne s’expose pas à des sanctions pénales. En ce qui concerne la force probante d’un sondage d’opinion, il dépend avant tout de la formulation des questions (TAF, B-5169/2011, 17 février 2012, consid. 5.3, « Oktoberfest-Bier »).
Avant l’entrée en vigueur du CPC en 2011, l’expertise privée était un moyen de preuve admissible (SG, AG, AI). Dans un arrêt, le TF a estimé qu’en favorisant une expertise privée par rapport à l’autre, le juge s’est fondé sur une simple allégation de partie dans une matière faisant appel à des connaissances techniques spécialisées (ATF 132 III 83 consid. 3.5). Aujourd’hui, le CPC ne mentionne pas l’expertise privée parmi les moyens de preuve (art. 168 al. 1). Dans son message du 28 juin 2006, le Conseil fédéral a indiqué que l’expertise privé n’est pas un moyen de preuve, mais reste admissible, en tant qu’allégations d’une partie, aux conditions de recevabilité de celle-ci.
Pour certains auteurs, l’expertise privée devrait être admise comme moyen de preuve, dont la valeur probante serait appréciée librement par le juge (cf. art. 157 CPC) (F. Trezzini / F. Bohnet, RSPC 2017, 367 ss ; D. Rüetschi, in : FS Meisser, spéc. 14). TF, 4A_128/2012, « Vogue »). Ralph Schlosser souligne qu’en matière de PI, pour les sondages d’opinion l’expert a une crédibilité et on peut y attacher une certaine importance.
Me Schlosser a fait référence à l’arrêt Vogue (TF, 4A_128/2012) qui mentionne « C’est à juste titre que l’autorité cantonale s’est référée, à titre d’indices, à une enquête démoscopique réalisée à la requête des demanderesses, la méthodologie suivie par l’institut de sondage n’ayant pas été remise en cause ». Dans l’arrêt « Smarties » (ATF 131 III consid. 7.2), le TF admet que l’imposition puisse être démontrée moyennant un sondage pour autant que celui-ci soit concluant par rapport aux personnes interrogées et à la méthode employée.
Il est recommandé toutefois de produire le rapport d’expertise privée et de le citer de manière détaillée dans l’écriture, de requérir l’audition de l’auteur du rapport en qualité d’expert-témoin et de requérir subsidiairement une expertise judiciaire (SHK MSchG-Kaiser / Rüetschi, Beweisrecht N 28).
Me Schlosser a conclu avec un arrêt tout récent pour illustrer la pratique nuancée en matière de droit des marques dans le cadre d’une action en nullité de marque pour défaut d’usage (TF, 4A_299/2017, « Abanka / Abanca ») « les expertises privées peuvent, avec d’autres indices, fournir la preuve d’un fait. Cela est d’autant plus vrai lorsque le fait doit être simplement rendu vraisemblable » (consid. 4.1). Ainsi, le défaut d’usage est rendu vraisemblable par un rapport de recherche, mais aussi par la preuve de l’absence de filiale et de personnel en Suisse et l’interrogatoire de la défenderesse dont est résulté le constat d’absence de réclame en Suisse.
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Lic. jur. LL.M en droit européen, Juriste auprès de l’institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle (IPI). |