Le 7 novembre 2019 s’est tenu à Genève le 17e séminaire sur les « Développements récents en droit des marques », organisé conjointement par le Licensing Executive Society Switzerland et l’IPI.
Emmanuel Piaget, greffier au TF, a ouvert les feux de ce séminaire en présentant la jurisprudence récente du TF en matière de signes distinctifs. En se basant sur la période de juillet 2018 à octobre 2019, il a commencé par constater que seuls deux arrêts avaient été publiés (ATF 145 III 178, « APPLE » et ATF 145 III 83, « adb [fig.] ») sur les quinze rendus durant cette période, ce qui représente un pourcentage moins élevé que les années précédentes. Après avoir passé en revue les différents commentaires rendus au sujet de cette jurisprudence, il a présenté en détail quatre de ces arrêts, dans le but d’en tirer des enseignements utiles pour de futurs cas. Il s’agissait ainsi, d’une part, d’offrir aux participants un suivi de l’évolution du droit matériel et, d’autre part, de leur permettre de mieux appréhender la façon de penser des juges de Mon-Repos ainsi que les critères qui les guident dans leur prise de décision.
C’est en suivant cet objectif qu’il a commencé par évoquer l’arrêt publié « APPLE ». Dans cette affaire, l’IPI avait partiellement refusé la demande d’enregistrement du signe « apple » en invoquant le fait que ce terme constituait un thème possible ainsi qu’une forme, un motif ou un emballage qui n’était pas inattendu en lien avec une partie des produits en classe 14 et 28. Le TAF, saisi d’un recours, a retenu uniquement le caractère usuel de la forme et du motif de la pomme pour les bijoux, colliers et bracelets en classe 14, ainsi que pour les produits en classe 28. Il a donc partiellement admis le recours de la société Apple Inc. Dans son recours au TF, celle-ci n’a pas invoqué le fait que sa marque se serait imposée dans le commerce ou que sa notoriété devrait être prise en compte au stade de l’enregistrement, mais elle a fait valoir une modification de la signification du terme « apple ». Le TF a suivi son argumentation en retenant que, si le sens retenu ne correspond plus au sens lexical, mais qu’il renvoie à une entreprise déterminée en raison de la notoriété exceptionnelle de cette dernière, comme c’est le cas en l’espèce, ce sens ne peut être ignoré. Emmanuel Piaget a souligné le caractère particulier de cet arrêt (« exception au carré »), qui évoque à la fois certains aspects du caractère distinctif originaire, de l’imposition et du « secondary meaning », à savoir le fait pour une indication de provenance d’avoir acquis une seconde signification ayant pour conséquence la perte de son caractère trompeur. Il l’a qualifié, comme l’avait fait le professeur Marchand pour le concept de responsabilité fondée sur la confiance, « d’ornithorynque juridique ». Eric Meier a précisé que l’IPI interprétait l’arrêt « APPLE » de manière restrictive, aucun critère précis ne pouvant être tiré de ce jugement sans risque de léser le principe de la sécurité du droit.
Emmanuel Piaget est ensuite revenu sur l’arrêt « adb (fig.) ». Dans cet arrêt, le TF a rejeté la possibilité de se baser sur le droit de poursuivre l’usage antérieur d’une marque pour enregistrer à titre de marque un signe protégé par la loi fédérale concernant la protection des noms et emblèmes de l’Organisation des Nations Unies et d’autres organisations intergouvernementales (LPNE), en l’occurrence « adb » (Asian Development Bank), lorsque le signe que le déposant souhaite protéger est déposé dans une version différente de celle utilisée préalablement. Il a toutefois laissé ouverte la question de savoir si le droit de poursuivre l’usage antérieur d’une marque (qui n’a pas été modifiée) permet à l’utilisateur d’enregistrer son signe. La doctrine semble rejeter une telle possibilité (considérant 3.2 de l’arrêt précité). Il faut toutefois relever certaines exceptions isolées, par exemple l’autorisation de l’usage de la croix suisse dans le cas où cet usage aurait été autorisé à l’époque (art. 8 al. 4 let. f et 35 LPAP). Le Conseil fédéral cite notamment, dans son message relatif au projet « Swissness », l’exemple de la société Victorinox, qui pourrait demander le droit de poursuivre l’usage de l’armoirie suisse pour certains de ses produits (FF 2009, 7809). Emmanuel Piaget a émis des doutes quant à la possibilité d’enregistrer un signe en se basant sur le droit de poursuivre l’usage antérieur, aucune limitation ne semblant à ses yeux permettre un tel enregistrement. Il a attiré l’attention des participants sur le fait que cet arrêt reflétait tout à fait la façon de penser des juges du Tribunal fédéral, qui ne tranchent une question de principe que si elle se pose concrètement dans un cas d’espèce et qu’il n’est pas possible de résoudre le cas d’une autre façon.
Emmanuel Piaget a ensuite présenté l’arrêt non publié « Avia » (TF, sic ! 2020, 29 ss), qui portait sur une éventuelle péremption de l’action en prévention et en cessation de l’atteinte ainsi que sur la question du risque de confusion entre plusieurs raisons sociales, à savoir « AVIA Fédération d’Importateurs Suisses indépendants en produits pétroliers, Société coopérative », « Avia SA » et « Swiss Avia Consult Sàrl ». Le TC fribourgeois avait rejeté l’objection de péremption et fait interdiction à la défenderesse d’utiliser le signe « Avia » figurant dans sa raison sociale. Suite au recours de la défenderesse, le TF a commencé par étudier la question de la péremption, en examinant si l’auteur de la violation avait acquis un intérêt digne de protection suffisant au fil de l’usage de sa marque, à savoir s’il risquait de subir de sérieux désavantages (notamment économiques) en cas d’abandon du signe. Après avoir répondu de manière négative à cette question, le TF s’est penchée sur la question du risque de confusion entre les raisons sociales des parties. À ce sujet, il a précisé que cette question avait déjà fait l’objet de trois arrêts du TF entre 1981 et 2000, pour des circonstances comparables. Le recourant n’ayant pas démontré en quoi l’appréciation de la Cour devait être remise en question depuis lors, et le risque de confusion étant toujours établi, le TF a rejeté le recours également sur ce point. Emmanuel Piaget a ainsi attiré l’attention des participants sur les dangers d’une jurisprudence « poisson rouge », qui verrait les mandataires soumettre plusieurs fois la même question au TF, dans l’espoir que celui-ci tranche une fois en leur faveur. La composition des Cours étant parfois similaire, même à plusieurs années d’écart, le risque que la question soit à nouveau soumise aux mêmes juges est important.
Emmanuel Piaget a terminé en présentant l’arrêt « Bentley » (TF, sic ! 2019, 87 ss) et en résumant les différents degrés de preuve que doivent apporter les parties en lien avec la vraisemblance, respectivement la preuve de l’usage d’une marque dans le cadre des procédures civiles, d’opposition et de radiation pour défaut d’usage. Il a rappelé que, dans le cadre d’une procédure d’opposition, l’opposant doit, suite à l’invocation du défaut d’usage par le défendeur, rendre (simplement) vraisemblable l’usage de la marque. Dans une procédure civile, si le demandeur doit rendre (simplement) vraisemblable le défaut d’usage, il appartient au défendeur d’apporter la preuve de cet usage. Dans l’affaire précitée soumise au TF, la société anglaise Bentley avait demandé en 2013 l’enregistrement de son signe notamment pour des produits en classe 14. Une société neuchâteloise, ayant déposé en 1988 le même signe pour les mêmes produits, s’est opposée à l’enregistrement de la marque. L’IPI a rejeté l’opposition, estimant que l’opposante n’avait pas rendu vraisemblable l’usage de sa marque. La société anglaise a ensuite ouvert action en constatation de la nullité de la marque de la société neuchâteloise, action rejetée par le TC fribourgeois au motif que cette marque était une marque d’exportation, qu’elle avait bien été apposée sur des produits en Suisse, que ceux-ci avaient été commercialisés à l’étranger et que, partant, le défaut d’usage ne pouvait être retenu. Saisi d’un recours de la société anglaise, le TF l’a admis en retenant que la défenderesse n’était pas parvenue à apporter la preuve de l’usage de sa marque, et a donc prononcé la nullité de la marque litigieuse. Dans cet arrêt, le TF s’est ainsi prononcé sur la question de « l’usage à l’exportation », en admettant ce critère dans le cas d’espèce. La marque « Bentley (fig.) » avait en effet été apposée sur le cadran de montres à l’étranger, lui-même posé sur les montres dans le cadre du processus d’assemblage en Suisse avant leur exportation. Le TF s’est ensuite penché sur la question de savoir si la marque avait été utilisée conformément à sa fonction à l’étranger, ce qu’il a nié. Il a en effet estimé que l’utilisation dans la sphère interne de l’entreprise, ou par des sociétés économiquement liées entre elles, ne constituait pas un usage à titre de marque, le critère décisif étant la perception de l’usage par le consommateur. Dans cette affaire, pour démontrer l’usage de la marque, la défenderesse aurait ainsi dû, sous l’angle du droit, convaincre la Cour que les consommateurs, malgré les « liens économiques étroits » (constatés) entre les sociétés (art. 105 LTF) peuvent percevoir que la marque est utilisée pour distinguer les produits et, sous l’angle du fait, démontrer que la constatation des « liens économiques étroits » est arbitraire.
Eric Meier a ensuite pris le relais pour présenter l’évolution récente de la pratique de l’Institut en matière de marques ainsi que les projets en cours dans le domaine de la cyberadministration.
Il a commencé par constater l’augmentation constante des demandes d’enregistrement de marques (+ 4 % par rapport à l’exercice financier 2017/2018), en particulier des enregistrements internationaux désignant la Suisse (+ 8 %), ce qui a eu un impact direct sur le délai d’examen des marques suisses (premier examen et traitement des maintiens/décisions). Le délai de traitement des demandes en examen anticipé ou accéléré reste toutefois très court, tout comme le délai de traitement prioritaire des demandes de marques suisses contenant une demande d’extension internationale ainsi que des procédures d’opposition et de radiation. L’investissement de ressources dans la cyberadministration, dont les mandataires peuvent profiter depuis janvier 2020, a également contribué à l’augmentation de ce délai d’attente. Face à cette situation insatisfaisante, l’IPI a adopté plusieurs mesures, notamment l’engagement de nouveaux collaborateurs, la création de deux sections d’examen supplémentaires et l’extension de l’examen anticipé aux demandes contenant jusqu’à trois termes non conformes à l’aide électronique à la classification. Eric Meier a relevé que la mise en place de ces mesures requiert toutefois du temps et que la situation devrait se stabiliser au cours de l’année 2020.
Il a poursuivi en relevant le bilan très positif de la nouvelle procédure de radiation pour défaut d’usage de la marque. Cette procédure, introduite il y a trois ans, vise à offrir une alternative simple, peu coûteuse et rapide au procès civil. Entre le 1er janvier 2017 et le 31 octobre 2019, l’IPI a reçu 137 demandes de radiation et rendu 77 décisions1. On ne constate pas d’essoufflement des demandes ni de dépôts massifs ou abusifs. Calquée sur les règles de la procédure d’opposition, qui fonctionne très bien, l’instruction des dossiers se déroule sans problème. La majorité des décisions (68 %) sont closes par une décision formelle, suite au retrait de la demande, d’un accord entre les parties ou de la radiation de la marque. Plus de 80 % des décisions matérielles ont conduit à la radiation de la marque attaquée, ce qui montre que la procédure est efficace. Cinq décisions ont fait l’objet d’un recours auprès du TAF.
S’agissant plus particulièrement de la vraisemblance du défaut d’usage, Eric Meier a précisé qu’elle est toujours examinée, même si la partie défenderesse ne répond pas ou ne la conteste pas expressément. Le défaut d’usage étant un fait négatif, il est souvent nécessaire d’avoir recours à un faisceau d’indices pour le rendre vraisemblable2. Lorsque le requérant estime que la marque n’a pas été utilisée conformément à l’art. 11 LPM, il doit le rendre vraisemblable, tout comme le fait que la marque n’a pas été utilisée autrement, par exemple sous une autre forme (décisions IPI no 100046 et 100047 « Wire Card et Wire Card [fig.] »). Quant à la vraisemblance de l’usage, elle n’a été examinée que dans six décisions. Dans chaque cas, l’usage n’a pas pu être rendu vraisemblable. La question de l’usage partiel n’a encore fait l’objet d’aucune décision.
Eric Meier a ensuite présenté deux changements de pratique récents3 de l’IPI quant aux indications relatives à la forme des produits ainsi qu’aux désignations de couleur. S’agissant du premier point, l’IPI considère, sur la base de l’arrêt du TAF du 27 juillet 2018, B-7402/2016, « KNOT », qu’une indication relative à la forme d’un produit n’est descriptive que si cette forme est usuelle (de manière générale) ou si elle représente un avantage pratique. Le principe selon lequel une forme, qui n’est pas usuelle mais tout de même possible et en tout cas pas inattendue, doit être considérée comme descriptive, est ainsi abandonné. Des marques comme CROCOS (IR 1238346 – classe 30) ou OCTOPUS (CH 734054 – classe 11) peuvent donc être admises à la protection. Quant aux désignations de couleur, le motif de refus selon lequel la couleur représente un critère d’achat pour le produit n’est plus appliqué. Le nom d’une couleur sera refusé si la couleur constitue un élément caractéristique ou typique du produit, par exemple « BLANC » pour du dentifrice. Ce changement de pratique fait suite à l’arrêt « MAGENTA » (TAF du 3 octobre 2017, B-7196/2015), confirmé par l’arrêt KNOT précité. Les autres critères énumérés dans les Directives de l’IPI en matière de marques (Partie 5, ch. 4.4.2.7.8) restent inchangés4.
Eric Meier a terminé son exposé par la présentation du projet actuel de cyberadministration au sein de l’IPI, dont le but est d’améliorer les services électroniques offerts aux clients, notamment en les associant aux procédures de l’IPI ainsi qu’au processus de la tenue des registres. Il a précisé que ce projet se concentre pour l’instant autour de trois axes, à savoir le développement d’une nouvelle base de données en matière de marques avec une recherche optimisée, les modifications en ligne du registre de marques ainsi que la communication électronique des écrits de l’IPI en matière de marques. La mise en place de ces nouvelles prestations est menée dans une approche itérative et en étroite collaboration avec les représentants des utilisateurs.
Le premier axe de développement concerne la communication électronique des écrits5. Eric Meier a souligné qu’elle doit être menée dans un cadre légal bien précis, incluant notamment la loi fédérale sur la procédure administrative (PA), l’ordonnance sur la communication électronique dans le cadre de procédures administratives (OCEI-PA) ainsi que la loi sur la signature électronique (SCSE). Si la signature électronique et l’utilisation d’une plateforme reconnue par la Confédération sont facultatives pour les communications d’écrits des usagers à l’IPI, ce n’est en revanche pas le cas pour certains écrits adressés aux usagers par l’IPI, comme les décisions incidentes ou finales, qui doivent être munies d’une signature électronique qualifiée ou d’un cachet électroniquement réglementé. La mise en place du nouveau système permettra à l’utilisateur de recevoir notamment les décisions finales et incidentes sous forme d’e-mail « recommandé », tandis que les autres documents, comme les certificats de dépôt, les extraits de registre ou les modifications du registre lui seront communiqués par le biais d’un simple e-mail « signé ». Pour bénéficier de la transmission des écrits sous forme électronique, l’usager devra s’inscrire (gratuitement) à l’une des deux plateformes reconnues par la Confédération (IncaMail et PrivaSphere) et donner son accord pour recevoir les écrits sous forme de « recommandé eGov Suisse ». De manière facultative, il est également possible d’intégrer l’une de ces plateformes dans son service de boîte e-mail habituel; cette intégration est cependant payante. En outre, l’usager devra demander de manière expresse à l’IPI ce mode de communication, par le biais d’une nouvelle demande ou d’une requête séparée dans une procédure en cours avec la liste des procédures et des titres de protection concernés.
Le deuxième axe de développement portera sur l’instauration d’une nouvelle base de données en matière de marques, avec une recherche plus performante et permettant la prise en compte de certains critères particuliers, comme le caractère de marque imposée, ou la combinaison de plusieurs critères de recherche. Cette base de données existera dans un premier temps parallèlement à Swissreg, qui restera l’organe de publication. Enfin, la troisième innovation prévue consiste à permettre à l’usager de faire ses demandes de modifications du registre en ligne.
Le séminaire s’est poursuivi avec la présentation de la jurisprudence récente de l’UE par Arnaud Folliard-Monguiral, juriste auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).
S’agissant de la clarté et de la précision du libellé de la liste des produits et des services, Arnaud Folliard-Monguiral a d’abord invité les participants à surveiller l’affaire « Sky plc v Skykick » (CJUE, C-371/18) sur laquelle la CJUE devait alors bientôt se prononcer6, puisqu’elle présente un intérêt pratique pour les déposants et leurs mandataires. La Cour devait notamment se déterminer sur la question de savoir si une marque de l’UE ou une marque nationale peut être déclarée partiellement ou totalement nulle au motif que la formulation d’un ou de plusieurs produit(s) et/ou service(s) n’est pas suffisamment claire, puisque cela empêcherait les autorités et les tiers de déterminer avec précision le champ de protection de la marque. Elle devait également décider si le terme « logiciel » doit être considéré comme étant trop vague et, le cas échéant, si ce terme se révèle contraire à l’ordre public, car induisant un monopole indu pour le titulaire de la marque. Enfin, la Cour devait déterminer si le fait de déposer une marque sans intention de l’utiliser relève de la mauvaise foi et, si oui, si cela peut être le cas pour une partie seulement des produits et services revendiqués. Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite évoqué l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne « Fight Life » (TUE du 24 janvier 2019, T-800/17), qui précise les exigences de formulation des services de vente au détail de produits, ceux-ci devant être suffisamment précis pour déterminer la sphère de protection de la marque. Ainsi, l’indication « services de vente de produits de santé » est suffisamment précise pour permettre une comparaison avec différents produits diététiques et pharmaceutiques, car le consommateur s’attend à trouver ces produits dans une pharmacie. Il en serait de même pour des produits de bricolage. Dans un autre cas, l’expression « vente au détail, en gros et par correspondance en relation avec les articles ménagers, produits électroniques » a par contre été jugée trop imprécise (TUE du 1er décembre 2016, T-775/15, « Ferli »). Ces exigences quant à la formulation des services de vente au détail découlent originairement de l’arrêt CJUE du 7 juillet 2005, C-418/02,« Praktiker » (ch. 52 en relation avec le ch. 34), dans lequel la Cour avait estimé qu’il n’était pas nécessaire de désigner concrètement le service fourni dans le cadre du commerce de détail de produits, mais que des précisions quant aux produits ou types de produits concernés par ces services étaient en revanche nécessaires.
Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite successivement présenté les arrêts les plus importants en matière de motifs absolus d’exclusion. S’agissant des exigences de clarté et de précision du signe, il a évoqué l’arrêt « Oy Hartwall Ab » (CJUE du 27 mars 2019, C-578/17), qui portait sur la marque suivante :

Cette marque ayant été déposée comme marque de couleur. La Cour a estimé qu’elle ne répondait pas aux exigences de clarté et de précision de la marque, puisqu’elle est délimitée par un contour. Il existe donc une contradiction entre la représentation et la qualification de la marque, qui ne permet pas de déterminer clairement l’étendue de la protection. Dans le même domaine, Arnaud Folliard-Monguiral a également cité l’arrêt « Red Bull GmbH (CJUE du 29 juillet 2019, C-124/18), qui portait sur la protection à tire de marque de deux couleurs juxtaposées, à savoir :

Cette représentation graphique était accompagnée de deux descriptions, la première indiquant que la proportion occupée par chacune des deux couleurs était « d’environ 50 % – 50 % », la deuxième que les deux couleurs étaient juxtaposées et qu’elles seraient appliquées de façon égale.
Dans cet arrêt, la Cour rappelle ses exigences quant au degré de précision de la marque de couleur, à savoir que la représentation de deux ou plusieurs couleurs, désignées de manière abstraite et sans contour, doit comporter un agencement systématique pour permettre au consommateur d’appréhender et de mémoriser une combinaison précise (CJUE du 24 juin 2004, C-49/02, « Heidelberger Bauchemie »). La juxtaposition de deux ou de plusieurs couleurs sans forme ni contour ou la mention de deux ou de plusieurs couleurs « sous toutes les formes imaginables » ne sont ainsi pas suffisamment précises. Dans le cas « Red Bull GmbH », une simple indication des proportions de chaque couleur ne permet pas au consommateur de se faire une image précise de la marque, de sorte qu’elle ne satisfait pas aux exigences de précision précitées et doit être annulée. Lorsque la marque a été enregistrée sur la base d’un caractère distinctif acquis par l’usage, les preuves de l’usage concret des couleurs peuvent être utilisées pour conclure à la multiplicité des interprétations possibles.
À titre de comparaison, Arnaud Folliard-Monguiral a cité la marque suivante, qui a été jugée suffisamment claire et précise par le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPICE du 28 octobre 2009, T-137/2018) :

The arrangement is described as being « green for the vehicle body and yellow for the wheels », as is shown by a picture attached to the application and reproduced below.

Il a également évoqué la marque de couleur « Stihl », actuellement pendante, qui devrait être tranchée dans le même sens (TUE, T-193/18).
Arnaud Folliard-Monguiral s’est ensuite arrêté sur le caractère distinctif d’une marque, en relevant que toutes les modalités d’usage crédibles ou « significatives » d’une marque dans un secteur donné doivent être prises en considération lors de l’examen de sa capacité distinctive et non pas seulement la modalité la plus probable (CJUE du 12 septembre 2019, C-541/18, « Signe à mot-dièse [hashtag] »). Ainsi, dès que la marque présente un caractère distinctif dans au moins une de ses modalités d’usage, le signe doit être admis à la protection. C’est par exemple le cas d’une marque susceptible d’être apposée tant sur l’extérieur d’un vêtement, comme ornement non distinctif, que sur l’étiquette intérieur de ce vêtement.
S’agissant des formes fonctionnelles, Arnaud Folliard-Monguiral a évoqué le cas « Rubik » (TUE du 24 octobre 2019, T-601/17), marque tridimensionnelle reproduite ci-dessous :

Dans cet arrêt, le Tribunal de l’Union européenne a précisé les conditions d’application de l’article 7(1)(e)(ii) du RMUE. L’analyse d’une telle forme doit ainsi intervenir en deux temps, d’abord par l’identification des caractéristiques essentielles du signe tel que représenté, sans égard au produit concret, puis par l’analyse de la fonctionnalité de ces caractéristiques, en tenant compte cette fois de la fonction exercée par le produit concret. En l’espèce, le Tribunal a constaté que l’une des caractéristiques essentielles à la fonction du puzzle tridimensionnel était située à l’intérieur (non visible) du cube, de sorte qu’elle se révélait insuffisante. Toutefois, en lien avec la seconde caractéristique apparaissant de manière suffisante dans le signe, à savoir la présence de carrés et de lignes noires, la caractéristique manquante |participe au résultat technique final, de sorte qu’il est possible d’en tenir compte dans le cadre de l’analyse de la fonctionnalité des caractéristiques essentielles de la marque. Sur ce thème, Arnaud Folliard-Monguiral a également cité l’arrêt relatif à la représentation de la rainure de pneu (TUE du 24 octobre 2018, T-447/16), arrêt faisant actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation auprès de la CJUE (CJUE, C-818/18 P). Selon la jurisprudence citée ci-dessus, Arnaud Folliard-Monguiral a indiqué qu’il est très probable que cet arrêt soit annulé.
Arnaud Folliard-Monguiral s’est ensuite intéressé à l’acquisition du caractère distinctif par l’usage, autrement dit l’imposition d’un signe à titre de marque. Il a cité l’exemple de la marque d’Adidas représentée ci-après :

Dans cette affaire, Adidas prétendait que sa marque avait acquis un caractère distinctif par l’usage. Dans l’examen des preuves soumises, le Tribunal a constaté qu’une partie des preuves se référait au contraste inversé de la marque, à savoir des bandes blanches sur fond noir. Il a donc rejeté ces moyens de preuve, estimant que le schéma de contraste de bandes noires sur fond blanc était une caractéristique essentielle de la marque. Bien que la preuve du caractère distinctif d’une marque puisse résulter d’un signe « globalement équivalent », la probabilité qu’une caractéristique essentielle de cette marque soit altérée est proportionnelle à son degré de simplicité. Le Tribunal a précisé que la renommée d’Adidas ne doit pas jouer de rôle dans l’examen de ce caractère distinctif.
S’agissant du grief de la mauvaise foi, la Cour a constaté que l’intention du demandeur d’une marque constitue un élément subjectif qui doit toutefois être déterminé de manière objective par les autorités judiciaires (CJUE du 12 septembre 2019, C-104/18P). La mauvaise foi n’exige pas l’utilisation par un tiers d’un signe identique ou similaire pour un produit ou un service identique ou similaire prêtant à confusion. Elle peut vicier l’ensemble d’un dépôt, même pour des produits et services pour lesquels les intérêts du tiers ne sont pas lésés. La mauvaise foi peut être établie par un large faisceau d’indices, dans des contextes différents, pour d’autres marques ou pour des produits non similaires (TUE du 23 mai 2019, T-3/18, « ANN TAYLOR »).
Arnaud Folliard-Monguiral a ensuite présenté quelques arrêts relatifs à l’usage sérieux d’une marque. Dans l’affaire « Boswelan » (CJUE du 3 juillet 2019, C-668/17), le titulaire justifiait l’absence d’usage de la marque par le retard accumulé dans la procédure de commercialisation du produit. La Cour a rappelé que l’usage sérieux suppose la commercialisation des produits ou services visés ou des actes préparatoires rendant cette commercialisation imminente. La phase d’essai clinique ne justifie pas le non-usage d’une marque. Arnaud Folliard-Monguiral en a déduit que le dépôt d’une marque ne doit pas être effectué trop tôt en amont des essais cliniques. Il a ensuite évoqué le cas d’une marque tridimensionnelle représentant un four, qui avait été utilisée en lien avec un élément verbal (CJUE du 23 janvier 2019, C-698/17). La Cour a estimé, au contraire de l’opinion d’Arnaud Folliard-Monguiral, qu’il convenait de lier les deux éléments dans l’examen de l’usage de la marque et que cet usage conjoint n’altère pas le caractère distinctif du signe tridimensionnel si celui-ci est distinctif à un degré plus élevé. Elle avait déjà eu l’occasion d’examiner cette question dans l’arrêt « SPECSAVERS » (CJUE du 18 juillet 2013, C-252/12), dans lequel elle avait considéré que la condition d’usage sérieux peut être satisfaite lorsqu’une marque figurative n’est utilisée qu’en combinaison avec une marque communautaire verbale qui lui est surimposée, la combinaison de deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque communautaire, pour autant que les différences entre la forme sous laquelle la marque est utilisée et celle sous laquelle cette marque a été enregistrée n’altèrent pas le caractère distinctif de ladite marque telle qu’enregistrée. Enfin, dans le cas d’une marque enregistrée notamment pour un logiciel ayant pour seule finalité de permettre la commande de produits tiers, l’usage n’a pas été considéré comme sérieux, puisqu’il ne visait pas à assurer un débouché pour le logiciel en soi mais pour le produit à l’achat duquel ce logiciel était indispensable (TUE du 11 avril 2019, T-323/18, « Représentation d’un papillon »).
Arnaud Folliard-Monguiral a conclu son exposé par une brève présentation de l’harmonisation jurisprudentielle des conditions pour qu’un dessin ou un modèle soit qualifié d’œuvre et bénéficie ainsi de la protection accordée par la législation sur le droit d’auteur. Le demandeur doit notamment être en mesure de prouver qu’un tel dessin ou modèle porte une empreinte personnelle pour qu’il soit qualifié d’œuvre, ce qui est très difficile à démontrer. Par exemple, le fait que des vêtements génèrent un effet visuel propre et notable du point de vue esthétique n’est pas de nature à justifier leur qualification d’«œuvres» (CJUE du 12 septembre 2019, C-683/17, « Cofemel »).
Lorenza Ferrari Hofer, avocate en l’étude Pestalozzi Avocats SA, a conclu le séminaire en présentant diverses règles de compétence en matière d’élection de for dans un contexte national et international. Elle a évoqué la décision de la CJUE « AMS Neve vs Heritage Audio », qui a interprété l’art. 97 par. 5 du règlement no 207/2009 en ce sens que « le titulaire d’une marque de l’Union européenne, qui s’estime lésé par l’usage sans son consentement, par un tiers, d’un signe identique à sa marque dans des publicités et des offres à la vente affichées par la voie électronique pour des produits identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, peut introduire une action en contrefaçon contre ce tiers devant un tribunal des marques de l’Union européenne de l’État membre sur le territoire duquel se trouvent des consommateurs ou des professionnels visés par ces publicités ou ces offres à la vente, nonobstant le fait que ledit tiers a pris les décisions et les mesures en vue de cet affichage électronique dans un autre État membre » (CJUE du 5 septembre 2019, C-172/18). Par le biais de ce « test de la focalisation », le requérant dispose donc d’un for au lieu où se trouve le public cible de la publicité et des offres en ligne, et non plus au lieu où la publicité et les offres en ligne sont mises en ligne. Lorenza Ferrari Hofer a ensuite rappelé les critères découlant de la Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (Convention de Lugano) et de la jurisprudence suisse en matière de for, en interrogeant les participants sur l’impact que pourrait avoir la décision de la CJUE sur la jurisprudence future. La multiplicité actuelle des fors peut en effet avoir certains avantages stratégiques pour les mandataires (« forum shopping »), avantages qui pourraient être limités par l’adoption du test de la focalisation en Suisse. Par ailleurs, la jurisprudence indûment restrictive quant à la détermination de la compétence des tribunaux suisses à raison du lieu, par exemple dans l’arrêt du TF du 12 janvier 2017, 4A_360/2016, pourrait être modifiée. L’illustration de ces principes à l’aide d’un cas fictif a permis de démontrer la grande variété de normes applicables en matière de compétence à raison du lieu ainsi que la difficulté de reconnaissance d’une décision obtenue dans un autre pays.
En conclusion, Lorenza Ferrari Hofer a constaté que les règles de compétence à raison du lieu en matière de droits de la propriété intellectuelle présentent différents avantages pour les mandataires. Le choix du for peut notamment influencer les coûts de la procédure selon le pays ou le canton choisi ou nécessiter la mise en place de services de traduction, également coûteux. Du point de vue du consommateur, le « forum shopping » entraîne une certaine insécurité juridique. Elle a également rappelé les limites d’un tel système, notamment quant à la catégorie d’action envisagée par le requérant ainsi qu’à la reconnaissance des décisions à l’étranger. Elle a salué l’adoption du test de la focalisation, en précisant toutefois qu’un tel test peut également avoir des effets indûment limitatifs dans certains contextes nationaux. Elle a notamment évoqué les éventuelles préférences cantonales par rapport à certaines catégories de produits. Lorenza Ferrari Hofer a toutefois constaté que ces débats sont plutôt relatifs de nos jours, la plupart des violations de droits de propriété intellectuelle ayant désormais lieu sur les réseaux sociaux, qui sont liés par des règlements contractuels. La question ouverte, qui a clôt ce séminaire, de l’éventuelle confrontation d’un for choisi par ce biais avec un for de compétence lié aux droits intellectuels, a permis d’ouvrir l’esprit des participants sur cette thématique résolument tournée vers l’avenir.
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Titulaire du brevet d’avocat, MLaw, juriste en marque à l’IPI, Berne. |
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État au 31 octobre 2019. A titre informatif, il est utile de préciser que les décisions de l’IPI relatives aux procédures de radiation pour défaut d’usage d’une marque peuvent être consultées sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/proteger-votre-pi/marques/apres-lenregistrement/utiliser-votre-marque/procedure-de-radiation-pour-defaut-dusage-dune-marque.html>, mars 2020. |
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Pour un exemple de cas où le défaut d’usage (utilisation de la marque pour des produits n’étant pas de provenance suisse) a été rendu vraisemblable à l’aide d’une preuve directe : voir décision de l’IPI n° 100092, partie V, let. B, ch. 9. |
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Ces changements de pratique sont entrés en vigueur le 1er juillet 2019 ; voir la Newsletter de l’IPI 2019/07, sous <www.ige.ch/de/datensatzsammlung/ige-newsletter/ige-franzoesisch/newsletter-marques/newsletter-201907-marques.html>, mars 2020. |
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Les Directives de l’IPI en matière de marques sont disponibles sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/prestations/documents-et-liens/marques.html>, mars 2020. |
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Depuis janvier 2020, l’IPI offre la possibilité de recevoir les écrits qu’il envoie dans le cadre des procédures en matière de marques par voie électronique; lire à ce sujet la Newsletter de l’IPI 2020/01, sous <www.ige.ch/de/datensatzsammlung/ige-newsletter/ige-franzoesisch/newsletter-marques/newsletter-202001-marques.html>, ainsi que la section consacrée à ce sujet sur le site internet de l’IPI, sous <www.ige.ch/fr/prestations/communication-et-paiement/soumission-et-reception-des-ecrits/communication-electronique.html>, mars 2020. |
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L’arrêt a entre-temps été rendu: voir arrêt CJUE du 29 janvier 2020, C-371/18, « Sky plc v Skykick ». |