
Séminaire organisé par la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie et LES-CH
Inhaltsverzeichnis
I.Les créations d’employés
II.Débauchage et autres actes de concurrence déloyale au préjudice de l’employeur
III.La protection des données dans les relations de travail
Le jeudi 6 novembre 2008 s’est tenu à Lausanne un séminaire issu de la collaboration entre la Chambre vaudoise du commerce et de l’industrie et le LES Suisse. Celui-ci avait pour thème «La propriété intellectuelle et la concurrence déloyale dans les rapports de travail» et rassemblait, en tant que conférenciers, Ivan Cherpillod, docteur en droit, professeur à l’Université de Lausanne et avocat en cette même ville, Ralph Schlosser, docteur en droit, avocat également à Lausanne, ainsi que Jean-Philippe Dunand, docteur en droit, professeur à l’Université de Neuchâtel, co-directeur du Centre d’étude des relations de travail (CERT) et avocat à Genève.
Ivan Cherpillod a rappelé que l’art. 321b al. 2 CO ne traitait que de la question de la propriété matérielle des résultats produits par l’activité du travailleur et non de celle des droits de propriété intellectuelle. Il a passé en revue les dispositions légales pouvant entrer en compte s’agissant du sort des créations de travailleurs, démontrant ainsi l’absence d’homogénéité de la règlementation dans ce domaine. A cet égard, il a rappelé que l’art. 332 CO, qui règle le sort des inventions – brevetables ou non – ainsi que des designs, constitue un axe essentiel de la matière. Il a pour le surplus évoqué les art. 9 al. 1 LPOV, 17 LDA ainsi que l’art. 3 al. 1 de la LTo, de même que certaines règles de droit fédéral ou cantonal spécifiques au secteur public.
Ivan Cherpillod a ensuite présenté de manière approfondie la systématique de l’art. 332 CO. Il a rappelé que la loi distinguait trois types d’inventions, savoir les inventions de service, les inventions réservées ainsi que les inventions libres. Les premières, dites «de service» (art. 332 al. 1 CO), sont celles réalisées par le travailleur «dans l’exercice de son activité au service de l’employeur» (dans le domaine des connaissances acquises par l’employé dans son activité au sein de l’entreprise, selon la jurisprudence) et «conformément à ses obligations contractuelles» (soit les obligations, expresses ou tacites qu’a l’employé de développer les produits ou procédés techniques de l’entreprise). Par principe, les inventions de service appartiennent à l’employeur, ce sans qu’aucune cession de droits ne soit nécessaire. Il n’est dû aucune rémunération particulière à l’employé, le salaire constituant la contrepartie de l’activité créatrice de ce dernier. Sur ce dernier point, le conférencier a mentionné l’avis d’une partie de la doctrine qui réserve l’hypothèse exceptionnelle d’une lacune du contrat lorsque l’on se trouve en présence soit d’une invention d’une valeur économique telle qu’elle sortirait des prévisions des parties au moment de la fixation du salaire, soit d’une invention résultant d’efforts excédant complètement le cadre de ce qui peut être raisonnablement attendu de l’employé. La seconde catégorie d’inventions, soit celle des inventions dites «réservées» (art. 332 al. 2 à 4 CO), comprend les inventions faites par un employé «dans l’exercice de son activité au service de l’employeur» mais cette fois-ci sans que cet employé ne soit lié par une quelconque obligation contractuelle de déployer une activité inventive. Ces inventions demeurent sur le principe la propriété de l’employé à moins d’un accord écrit contraire par lequel l’employeur se réserve la faculté de les acquérir (al. 2). Si l’employeur acquiert effectivement la propriété de l’invention, il est en contrepartie et impérativement redevable d’une «rétribution spéciale équitable» (al. 4), soit indépendante du salaire et qui tienne compte de l’ensemble des circonstances. Le Prof. Cherpillod a relevé que ce concept juridiquement indéterminé n’a à ce jour fait l’objet d’aucune jurisprudence du Tribunal fédéral. Enfin, le troisième type d’inventions, soit celui des «inventions libres», englobe toutes les inventions qui ne tombent pas dans l’une ou l’autre des catégories précitées. Ces inventions appartiennent à l’employé et leur propriété ne peut être transférée à l’employeur que moyennant un acte de cession. A ce propos, Ivan Cherpillod a soulevé la question de savoir si l’on pouvait déduire du devoir de fidélité de l’employé une obligation pour ce dernier de proposer en priorité à son employeur la cession des droits. L’intervenant a répondu à cette question par l’affirmative, précisant toutefois que cette priorité n’impliquait pas encore d’obligation de conclure effectivement un accord de cession.
En dernier lieu, Ivan Cherpillod a examiné le sort des autres œuvres créées par des travailleurs, soit en particulier celles qui ne tombent sous le coup ni de l’art. 332 CO, ni de l’art. 17 LDA. Il a rappelé que la question de la titularité des droits sur de telles œuvres était réglée, à défaut de disposition légale, par la théorie jurisprudentielle dite «de la finalité» («Zweckübertragungstheorie»), en vertu de laquelle une cession des droits à l’employeur n’intervient que si et dans la mesure où le but du contrat l’exige.
Tout au long de sa présentation, le conférencier a proposé à son auditoire bon nombre d’exemples de clauses contractuelles dont l’introduction dans le contrat individuel de travail, rendue possible du fait de la nature dispositive de la plupart des règles topiques, apparaît plus que souhaitable dans un domaine où la législation s’avère pour le moins laconique.
Ralph Schlosser a tout d’abord relevé qu’il convenait, de manière générale, de distinguer le comportement de l’employé avant la fin des relations de travail de celui qui intervient une fois que les relations contractuelles ont pris fin. Les conséquences de tels comportements sur le plan juridique varient en effet suivant le moment envisagé. Cela étant précisé, Ralph Schlosser a débuté l’analyse des différentes conduites à problème en abordant en premier lieu la question de l’activité concurrente. Il a rappelé que, par principe, toute activité concurrente exercée pendant la durée du travail sans l’accord de l’employeur contrevenait au devoir de fidélité qu’impose l’art. 321a CO et qu’un tel comportement constituait en règle générale un juste motif de résiliation immédiate. A contrario, une activité concurrente doit en principe être admise une fois les rapports de travail terminés, le devoir de fidélité s’éteignant à ce moment-là. Seule subsiste alors l’obligation de confidentialité (art. 321a al. 4). Me Schlosser a insisté sur la nécessité pour l’employeur qui souhaite se prémunir contre une activité concurrente post-contractuelle d’introduire une clause spécifique dans le contrat individuel de travail. Le conférencier a ensuite traité de la question de la préparation d’une activité concurrente ultérieure avant la fin des relations de travail. Sur ce point, il a indiqué que le Tribunal fédéral admettait un tel comportement à moins que les préparatifs de l’activité future ne contreviennent à la bonne foi. Me Schlosser a précisé qu’avaient en particulier été jugés inadmissibles les cas dans lesquels le travailleur débutait son activité alors qu’il était encore au service de l’employeur, négligeait son travail, débauchait des clients ou employés de son employeur ou encore violait par son comportement une obligation contractuelle.
Puis, l’intervenant a abordé la problématique du débauchage, distinguant une fois encore selon que le comportement incriminé intervient en amont ou en aval de la fin des rapports de travail. Me Schlosser a expliqué que le principe était à la proscription du débauchage tant que l’employé était au service de l’employeur, ceci même si le congé avait été signifié. L’employé a en revanche, sous certaines conditions, le droit d’informer la clientèle du fait que son engagement prend fin ainsi que de l’endroit où il travaillera à l’avenir. Quant à la question de l’activité de débauchage intervenant ensuite de la fin des rapports de travail, le conférencier l’a examinée sous deux éclairages, savoir d’abord celui de l’obligation de confidentialité, puis celui de la concurrence déloyale. Ralph Schlosser a ainsi rappelé qu’après la fin des relations de travail, l’employé demeurait tenu de respecter une obligation de confidentialité, et ceci tant que l’exigeait la sauvegarde des intérêts légitimes de l’employeur (art. 321a al. 4 CO). Me Schlosser a à cet égard cité la doctrine dominante selon laquelle cette obligation entraine uniquement une interdiction de divulgation des secrets mais non pas une interdiction d’exploitation de ceux-ci. Il faut ainsi en déduire que le devoir de confidentialité ne s’oppose pas au débauchage post-contractuel, lequel peut par exemple intervenir par l’utilisation de la liste de clients de l’ancien employeur.
Ralph Schlosser a abordé ensuite de manière approfondie la question du débauchage post-contractuel sous l’angle de la concurrence déloyale. Après avoir posé le principe de la licéité d’un tel comportement, il a détaillé les circonstances particulières qui pouvaient le rendre déloyal, à savoir:
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– la distorsion de la volonté du client ou du collaborateur débauché (tromperie, déclarations fallacieuses, contrainte, méthodes de vente agressives, remise d’une lettre de démission, promesse d’un «prix d’entrée» exorbitant);
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– l’entrave déloyale du concurrent (volonté de nuire, dénigrement, publicité comparative, perturbation de la paix du travail);
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– l’exploitation de secrets du concurrent (exploitation indue du «résultat du travail qui lui a été confié» ou du «résultat du travail d’un tiers», exploitation ou divulgation de secrets obtenus de manière indue);
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– le débauchage systématique.
Puis, Me Schlosser a évoqué les différents critères permettant d’apprécier le caractère licite d’un comportement au regard de la concurrence déloyale (position de l’employé débaucheur dans l’entreprise, circonstances du départ du ou des employés, moment du débauchage, potentiel dommageable, exploitation de la relation contractuelle, degré d’intensité du démarchage). Il a insisté sur les difficultés pratiques qui pouvaient parfois se présenter, notamment quant à la preuve d’un comportement déloyal, et rappelé l’importance cruciale, en matière de protection de secrets d’affaires, d’exprimer clairement le caractère confidentiel des documents à protéger. Me Schlosser a également présenté diverses clauses pouvant être introduites dans le contrat individuel de travail: prohibition de concurrence, prohibition du débauchage, obligation d’information quant à d’éventuels conflits d’intérêts, clause réglant la question de la communication à la clientèle concernant le départ de l’employé.
En conclusion de son propos, Ralph Schlosser a insisté sur le fait qu’il convenait, de manière générale, de rechercher un juste équilibre entre l’intérêt de l’employeur à la sauvegarde de ses acquis et celui du travailleur à pouvoir librement changer de place de travail, objectif qui pouvait parfois s’avérer ardu à atteindre, mais dont on pouvait faciliter la réalisation par l’introduction de certaines clauses dans le contrat de travail.
Jean-Philippe Dunand a rappelé les différentes sources de droit fédéral régissant le domaine en question, savoir la LPD, son ordonnance de même que l’art. 328b CO, cette dernière disposition constituant une lex specialis en la matière. Puis, le Prof. Dunand a présenté la systématique des art. 3 à 5 LPD. Il est en particulier revenu sur des questions de terminologie, rappelant que la loi opérait une classification des données personnelles en distinguant les données dites «sensibles» (soit celles qui portent sur les opinions, les activités religieuses, philosophiques, politiques ou syndicales, la santé, la sphère intime ou l’appartenance à une race, des mesures d’aide sociale, des poursuites ou sanctions pénales et administratives – art. 3 lit. c LPD) des autres données.
L’intervenant a ensuite passé en revue les principes généraux régissant le domaine de la protection des données (art. 4 et 5 LPD). Il est notamment revenu sur les principes de licéité (qui s’applique de manière particulièrement critique au moment de l’obtention des données), de la bonne foi (qui veut en particulier que la personne soit informée de la collecte de données), de proportionnalité (qui limite les atteintes à ce qui est nécessaire), de finalité (les données doivent en particulier être traitées conformément au but annoncé), de qualité (les informations traitées doivent être exactes, d’actualité; celles qui ne le sont plus doivent être rectifiées ou supprimées) et enfin de sécurité (qui veut que des mesures soient prises afin d’éviter toute prise de connaissance de données par des personnes non autorisées).
Jean-Philippe Dunand s’est ensuite penché de manière plus détaillée sur la protection des données dans le domaine spécifique des rapports de travail. Il a rappelé que la matière était avant tout réglée par l’art. 328b CO. Cette disposition stipule que «l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail». Pour illustrer cette liste exhaustive, le Prof. Dunand a cité, à titre d’exemples de données concernant les aptitudes du travailleur à remplir son emploi, celles attestant l’expérience professionnelle, telles l’obtention d’éventuels diplômes ou encore celles ressortant d’un curriculum vitae qui détaillerait notamment le parcours professionnel. Et le conférencier de relever que les choses pouvaient devenir particulièrement délicates s’agissant de données se rattachant aux aptitudes de l’employé à accomplir son travail, mais portant sur des éléments de nature plus subjective (par exemple, de manière très générale, sur la vision du monde qu’a le travailleur). Quant aux données nécessaires à l’exécution du contrat de travail, il a cité entre autres exemples le numéro AVS, l’état civil, d’éventuelles allergies à certains produits, etc.
Jean-Philippe Dunand a ensuite rappelé que si l’art. 328b CO apportait d’importantes précisions quant au type de données susceptibles d’être collectées par l’employeur, il était fait renvoi à la LPD s’agissant des autres principes généraux concernant le traitement des données.
Pour clore le volet théorique de son exposé, le Prof. Dunand a encore évoqué les art. 15 LPD et 28 ss CC, qui permettent d’assurer la mise en œuvre des principes théoriques susmentionnés.
Le conférencier a poursuivi sa présentation en illustrant de manière tout à fait pratique la problématique de la protection des données durant les différentes phases des relations de travail, soit lors des pourparlers précontractuels (entretien d’embauche), durant les rapports de travail et après la fin des relations contractuelles, offrant ainsi quelques pistes quant aux très nombreux problèmes auxquels le praticien peut être confronté au quotidien.
Cette dernière intervention a été suivie d’une séance de questions qui a mis en lumière les nombreuses difficultés pratiques qui peuvent se poser au sein des relations de travail, que ce soit dans la gestion des droits de propriété intellectuelle ou des données personnelles, ou encore lorsqu’il s’agit d’analyser des comportements au regard des règles régissant la concurrence déloyale; elle a en tous les cas démontré le vif intérêt que suscitent les thématiques abordées.